Derniers Remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz
Derniers Remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz
Retour à la maison familiale: elle ne protège plus mais se fissure en minuscules et terribles guerres, séparations et malentendus entre les personnages à la recherche d’un passé irrattrapable : ces thèmes travaillent et obsèdent Jean-Luc Lagarce. J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, Juste la fin du monde, Le Pays lointain … c’est toujours l’histoire d’un homme qui revient au pays et qui n’arrive pas à dire la chose exacte pour laquelle il est venu. Ici, ils sont trois avec leurs conjoints et la fille adolescente d’Hélène. De ces amis de longue date, deux ont refait leur vie, Paul et Hélène se sont séparés et remariés chacun de son côté. Et ce jour-là, (les vingt-quatre heures de la tragédie classique), Paul et Hélène sont venus prendre les arrangements nécessaires pour vendre la maison, l’abri enchanté de leur jeunesse que Pierre habite encore, contre un loyer. Chacun affirme vouloir « régler les choses », « ne pas faire d’histoires ». Et c’est là que tout commence.
Guillaume Séverac- Schmitz, son dramaturge Clément Camar-Mercier et le collectif Eudaimonia ont travaillé le potentiel comique de l’écriture de l’auteur. Infini respect des mots, les siens et ceux de l’autre, souci scrupuleux de l’expression exacte produisent l’inverse de l’effet attendu : les précautions de langage se retournent et créent le soupçon : qu’y a-t-il sous ce mot de « taciturne » qu’Hélène assène à Pierre (qui vient du reste de parler d’abondance) ? Quel noir dessein, quelle perfidie, quel non-dit, tout simplement ? Les personnages pataugent, s’enfoncent, et partiront sans avoir rien réglé. Jean-Luc Lagarce sait comme nous, que le «une fois pour toutes» n’existe pas. Quant aux pièces rapportées, elles ironisent, en tout conscience ou involontairement, sur la situation et rétablissent un calme objectif.
Prenons donc la pièce comme une comédie. Ce qui fait rire? La situation paradoxale créée par ce souci d’un langage exact, mais surtout par l’inquiétude des personnages. Vendre la maison, ce serait effacer une fois pour tous les rêves de jeunesse. Ce serait simple, en effet. Mais ces rêves balayés s’obstinent là, comme un inconfort, un tourment interne. Et voilà un ressort comique puissant : l’effort humain, voué à l’échec, pour maîtriser son bonheur…Pour autant, Guillaume Séverac-Schmitz n s’est pas focalisé sur le rire et accorde autant d’attention aux moments de respiration, d’ouverture, qu’aux tensions. Comme avec Richard II de Shakespeare et La Duchesse de Malfi de John Webster (voir Le Théâtre du Blog). Le metteur en scène revendique la théâtralité, ne l’efface pas au bénéfice de la fable, de l’émotion qu’elle doit provoquer ou d’une illusion de réalité. Les scènes se mettent en place dans un espace unique dont les délimitations changent avec la lumière, ce qui rythme le jeu et déplace notre regard: question de point de vue. ..Et dans cette théâtralité très dessinée, le metteur en scène laisse la place à des moments où les rapports entre les personnages ne sont pas résolus. Ce qui apporte une certaine gravité et nous ramène au propos de la pièce : non, on ne revient pas sur ses pas, on en fait d’autres, ailleurs. La nostalgie se défait d’elle-même et cela n’empêche pas de vivre. Quant à tourner la page ? Voilà un bon spectacle, ombres et lumières. Il n’épuise pas la pièce de Jean-Luc Lagarce, ce qui est plutôt bon signe et lui donne, sans forcer, une belle puissance comique. C’est appréciable.
Christine Friedel
Le spectacle a été créé au Cratère, Scène Nationale d’Alès (Gard).
Le 25 février, Théâtre des Trois Ponts, Castelnaudary (Aude) ; les 27 et 28 février, Théâtre Le Sillon, Clermont-L’Hérault (Hérault). Le 10 mars, Scène Nationale du Grand Narbonne (Aude). Du 22 au 24 avril, Théâtre Daniel Sorano, Toulouse (Haute-Garonne). Les 12 et 13 mai, Théâtre-Scène Nationale d’Angoulême (Charente).
La pièce et l’œuvre de Jean-Luc Lagarce sont publiées aux éditions Les Solitaires Intempestifs.