Paradoxe(s) Thierry Hancisse s’entretient avec Laurent Goumarre
Paradoxe(s) Thierry Hancisse s’entretient avec Laurent Goumarre
«Je n’aime pas ce qui est normal. Le comédien le prouve par sa longue fidélité à la Comédie-Française où il est entré comme artiste auxiliaire (après un bref passage au cours Florent) à vingt-et-un ans, en 1985. Remarqué par Yves Gasc et Jean-Luc Boutté, il y devient sociétaire en 1993. Formé aux arts plastiques à Namur, dans sa Belgique natale, il monte et joue Escurial de Michel de Ghelderode à dix-neuf ans. Son premier choc de théâtre : il fait un malaise sur le plateau à la première mais vit un moment de grâce, il se sent bien : «La scène est l’endroit précis où l’émotion que je ressens, s’exprime par des gestes.»
Jean-Luc Boutté lui pose une question qui va bouleverser sa façon d’aborder un personnage : «De quel droit te présentes-tu sur scène pour faire rire ou pleurer? » Il trouvera la réponse plus tard en jouant La Vie est un Songe de Calderon, mise en scène par José Luis Gomez à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en 1992. Quand beaucoup de ses camarades meurent du sida, il est ému par le témoignage d’un enfant atteint après une transfusion sanguine. Il pense à lui pendant toutes les répétitions. A ce moment-là, dit-il, «son conscient émotionnel est venu chercher l’inconscient du public. » Il découvre cette boucle sensorielle où l’acteur, en état de grâce, touche la sensibilité du public. Pour lui, il ne faut aucun cas s’enfermer dans la rigidité d’un personnage.
Son parcours d’acteur, non linéaire, se nourrit de déflagrations qui font évoluer son jeu. Ainsi, sa rencontre en 2002, avec Anatoli Vassiliev pour Amphitryon de Molière, marque un tournant dans sa vie artistique. Il apprend alors à se créer un solide bagage émotionnel sur lequel se place naturellement le texte. «Ne joue, que si cela t’est nécessaire. Ce n’est pas parce que c’est écrit, qu’il faut le faire», lui dit le metteur en scène russe, pour qui le résultat final est moins important que les étapes de construction et déconstruction du texte pendant les répétitions.
Thierry Hancisse se découvre un lien particulier à l’œuvre. Doté d’une bonne mémoire, il ne lit pas la pièce avant les premières répétitions : «J’essaie d’en retarder au maximum, l’apprentissage.» Modeste, il n’a pas d’exigences par rapport à tel ou tel rôle: «Je fais partie de la troupe, on me prend ou on ne me prend pas. » Laurent Goumarre et le public ont été impressionnés par la sincérité de ce comédien. Il reste le moins de temps possible dans sa loge qu’il voit comme un lieu de passage. «Il n’y a pas pour moi de transition entre la vie et le théâtre. » Et, à peine sorti de cet entretien, il a filé salle Richelieu pour jouer dans La Puce à l’oreille de Georges Feydau (voir Le Théâtre du Blog).
Jean Couturier
Unique représentation vue le 3 février, Studio de la Comédie-Française, Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T. : 01 44 58 98 58.