Nos disques sont rayés #4 /Réparer le Monde

Nos disques sont rayés #4 / Réparer le monde

Quatrième édition de cette manifestation consacrée à l’état du monde, «pour sortir de la morosité et du découragement», alors que certains médias annoncent l’apocalypse. Artistes, écrivains et scientifiques viennent éclairer notre lanterne, le temps d’une causerie. La première en 2017, inaugurée par Mediapart, précédait les élections présidentielles et les invités sonnaient l’alarme avant le scrutin.
En 2018, on interrogeait la démocratie et  l’an passé, on se penchait sur les inégalités sociales et territoriales; alors que fleurissait le mouvement des Gilets jaunes. Devant les alarmes lancées par les collapsologues, cette année, ingénieurs et fantaisistes, polémistes et scientifiques viennent nous livrer leur vision de la fin du monde ! Neuf soirées qu’on peut revoir dans la foulée, en vidéo ou podcast. Dont l’une ouverte à François Bégaudeau.

Neuf Moyens infaillibles de changer le monde, conférence-performance de François Bégaudeau

EB7C5F24-3565-4579-809D-44E7A0D60A39L’écrivain commence fort en contestant le titre de la manifestation. Il ne s’agit pas de réparer l’irréparable mais de se mobiliser, pour changer radicalement de disque. Et, après tout, qu’entendons nous par le monde ? « Quel point commun entre un berger malien et moi, devant des gens qui n’en ont rien à foutre? » Pourtant : « La France va très très mal depuis  83.  Aucun Français n’a gagné Roland Garros ». « Pire, la dernière victoire à l’Eurovision remonte à 1978 avec L’Oiseau et l’enfant de Marie Miryam: «Vois comme le monde est beau ! », dit la chanson. Suffirait-il de changer nos yeux ou notre cœur et retrouver ceux de l’enfant pour changer le monde ?

«Mon cœur, greffé à Xavier Niel, serait-il de gauche ? »poursuit François Bégaudeau. Pour lui, Niel est irréparable car il pilote, entre autres personnes de son espèce, un système mortifère, «une machine folle qui accumule et détruit ». «Le capitalisme, il lui faut tout bousiller» pour produire plus, faire consommer plus et gagner plus… Et, comme il vaut mieux en rire qu’en pleurer et que l’humour sauve, l’écrivain va nous proposer neuf solutions salvatrices et plus ou moins fantaisistes, pour tout changer. Et quand on épingle le consumérisme, il cite Coluche : « Il suffirait d’acheter moins, pour que ça ne se vende plus. » Nous pourrions alors mener « une vie de patates,  amour et art, nous y serons joyeux». Tout cela a le mérite d’être clair, drôle et le public s’en réjouit.

Histoire de ta bêtise, texte et adaptation de François Bégaudeau, mise en espace de Valérie Grail

9E1BC413-EDA0-4575-9F2B-477113E20D1FEn écho à la conférence de François Bégaudeau, Christophe Brault prête sa voix à cet essai dense et offensif qui a alimenté bien des polémiques. «Le livre, dit l’auteur, est parti de la dernière séquence présidentielle qui fut un sommet en matière d’énoncés creux. Et puis, j’ai extrapolé vers la classe qui produisait ce vide, cette minorité audible qui monopolise, ou presque, la parole médiatique. Qu’est-ce qui fait que des cerveaux valides produisent ce vide ? Étudier la chimie de la bêtise de la bourgeoisie impliquait d’examiner à nouveau, ce que bourgeois signifiait. »
 
Il faut la désinvolture du comédien, son humour et quelques respirations musicales bien choisies, pour faire entendre une pensée ardue, en marche et en marge. Le théâtre offre une belle tribune à cette parole adressée à un :Tu, ciblé et pluriel où chacun peut reconnaître telle ou telle figure sociale. Ou la sienne ! Un miroir tendu au monde sans complaisance, un décryptage méthodique du système fautif où nous vivons, de ses idéologies aveuglantes et des hauts-parleurs médiatiques dont il dispose.

Christophe Brault a déjà pratiqué cet auteur avec Bonne nouvelle, mise en scène par Benoît Lambert en 2017 (voir Le Théâtre du Blog). Avec élégance et intelligence, il interprète, exercice difficile, ce texte-brûlot où fusent les mots d’esprit et les piques contre les bourgeois, y compris ceux qui se disent de gauche : «Tu es bourgeois. Mais le propre du bourgeois est de ne jamais le reconnaître. » Au sortir de cette conférence-performance dont Valérie Grail aimerait faire un spectacle, on peut prolonger la réflexion par la lecture d’Histoire de ta bêtise, un livre dont Franz Kafka dirait : «Il me semble qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons, ne nous réveille pas d’un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire. »  (…) « Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. » Il faut prendre le risque de l’ouvrir ! *

Mireille Davidovici


Spectacle vu le 7 février. Les autre soirées ont lieu jusqu’au 15 février au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIIIème) T. :01 44 95 98 00. Les programmes sont à revoir et réécouter sur ventscontraires.net ou mediatv.fr

Histoire de ta bêtise, éditions Pauvert, (2019).

*Lettres à Oskar Pollak de Franz Kafka (1904).


Archive pour 9 février, 2020

L’Eden Cinéma de Marguerite Duras, mise en scène de Christine Letailleur

L’Eden Cinéma de Marguerite Duras, mise en scène de Christine Letailleur

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Cette pièce écrite (1977) à partir d’Un Barrage contre le Pacifique, un texte écrit vingt-sept ans plus tôt,  fut créée la même année par Claude Régy. Suzanne et Joseph racontent la vie de leur mère, arrivée en Indochine en 1912. Dans les années vingt, enseignante et veuve, elle travaille comme pianiste à L’Eden, un cinéma de Saïgon, pour élever ses enfants. Après dix ans d’économies, elle réussit à acheter une concession pour en tirer un bénéfice qu’elle tirerait l’agriculture. Mais trop proche de la mer, elle n’est pas cultivable et il aurait fallu verser des pots de vin aux agents du cadastre, pour obtenir de bonnes terres à travailler… Mais cette mère obstinée mais brisée l’apprendra-t-elle plus tard et elle n’aura vécu que pour reconstruire le barrage.

Peu d’estime accordée aux «petits Blancs», placés juste au-dessus des «Indigènes » dans l’échelle sociale des colonies françaises. A travers la lutte de cette femme qui voit ses efforts ruinés par une administration coloniale corrompue, le fils et la fille revivent un passé prégnant. Pour la metteuse en scène qui avait monté Hiroshima mon amour de Marguerite Duras en 2009, la pièce est une autobiographie romancée… Un voyage exotique et trivial dans un espace mémoriel revisité, avec aussi un éveil universel du désir et un réquisitoire contre le colonialisme.

 «Les barrages, écrivait Marguerite Duras, ce serait des talus de terre étayés par des rondins de palétuvier – imputrescibles – qui devaient tenir cent ans, au dire de la mère …  Ecoutez  les paysans de la plaine, eux aussi, elle les avait convaincus. Depuis des milliers d’années que les marées de juillet envahissaient les plaines… Non… disait-elle. Non… Les enfants morts de faim, les récoltes brûlées par le sel, non, ça ne pouvait aussi pas durer toujours. Ils l’avaient crue. »

Le dépouillement et l’abstraction de cette écriture fascinent Christine Letailleur. Et L’Eden Cinéma participe d’une déambulation entre théâtre, cinéma et littérature. Dans une prose poétique avec narrations, dialogues, monologues,  aux époques et espaces enchevêtrés. Les didascalies indiquent un espace vide autour du bungalow, la plaine de Kam dans le Haut-Cambodge, entre le Siam et la mer. Quand les personnages entrent dans l’Eden cinéma, la mère joue du piano et on voit sur l’écran des extraits de films muets en noir et blanc : avec des images de couples dans Erotikon de Gustave Machaty (1929) et Le Village de Namo : panorama pris d’une chaise à porteurs de Gabriel Veyre (1900), en lien avec la sensualité à fleur de peau des jeunes gens éprouvés.

 Il y a de constants allers et retours entre passé et présent, entre récits et scènes jouées, selon les souvenirs d’une expérience singulière. Les périodes varient, les acteurs changent, jouant un personnage jeune ou plus âgé. Et la narratrice Suzanne, fort attentive à l’existence, se réconcilie avec sa propre histoire. Ici, cet alter ego de Marguerite Duras a un seul frère, Joseph qui est à la fois l’aîné, Pierre, le bandit, le préféré de la mère et le petit Paul.

Avec cette fiction romanesque, l’auteure nous invite à un retour sur soi et nous donne à voir une relation incestueuse entre le frère et la sœur qui privilégie ce chasseur indiscipliné, au détriment de M. Joe. Et pour la jeune Suzanne, ce fils indigène d’un riche spéculateur possédant des plantations de caoutchouc, sera un prétexte : elle se prostituera afin d’aider financièrement et moralement sa mère. Il y a une ségrégation entre blancs et autochtones mais davantage encore entre riches colons et petits colons. M. Joe ne peut épouser Suzanne, une fille de déclassés : son père le déshériterait. La mère hystérique veut se venger et s’ enrichir à l’arrache… Pourtant, l’amour circule : « Les enfants embrassent les mains de la mère, caressent son corps toujours. E t toujours, elle se laisse faire. Elle écoute le bruit des mots. ».

 Sur les notes de La Valse de l’Eden de Carlos d’Alessio, nous abordons l’imaginaire de Marguerite Duras : le bungalow, la plaine, les bords de mer, les rues de Saïgon. Emmanuel Clolus a conçu un espace pur et troublant, onirique : une piste de danse à Réam, en bordure de l’océan et de la forêt proche, le sol de bois d’un bungalow surélevé et limité par trois châssis coulissants. Annie Mercier est cette mère mythique attachante : une figure populaire, dure et têtue. Caroline Proust interprète Suzanne, encore jeune fille ou bien femme jeune, envahie par une passion pour son frère et sa mère. Le tonique Alain Fromager incarne le mauvais garçon, amant symbolique et dévoyé d’une mère et d’une sœur. Et  l’étrange M. Joe est joué par Hiroshi Ota, cet acteur japonais jouait déjà avec Valérie Lang dans Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, dans la mise en scène de Christine Letailleur et ici il parle quelquefois en vietnamien. Une belle balade entre jeunesse et suite de la vie, désir et renoncement.

Véronique Hotte

Théâtre National de Strasbourg, 1 avenue de Marseille, Strasbourg (Bas-Rhin), jusqu’au 20 février. T. : 03 88 24 88 24.

Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris ( XVIII ème), du 2 au 19 décembre.

Le Système de Ponzi de David Lescot, mise en scène de Michalis Sionas

Le Système de Ponzi de David Lescot, traduction en grec d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Michalis Sionas

 
_ELG7340 - copieOn retrouve chez l’auteur un esprit d’utopie et de résistance. Il mêle rêve et réalité afin d’ouvrir au théâtre, le champ des possibles. Avec un esprit adapté au nouvel état de la planète, de l’Europe et au désenchantement du monde.  Son écriture et son travail scénique comportent du  théâtre mais aussi de la musique, de la danse et une matière documentaire. Cet opéra parlé, écrit en 2012, participe d’un récit épique où l’auteur crée un espace et une esthétique de la dislocation et du réagencement permanent, à l’image d’un monde-champignon qui se dresse, s’écroule et renaît sans relâche.

A partir d’une thématique de l’argent et du profit, l’écrivain veut provoquer notre  conscience et, sans bavardage, transpose ici une question aigüe, celle de la valeur des choses. Dans un monde qui tourne selon les actions de la Bourse,  nous réagissons comme des marionnettes manipulées par les capitalistes. L’Italien Charles Ponzi (1882-1949) émigra aux États-Unis au début du vingtième siècle et monta à Boston une monumentale escroquerie dont s’est ensuite inspiré Bernard Madoff… Fondée sur un principe simple: une structure pyramidale avec des intérêts versés aux épargnants ..mais prélevés sur les sommes placées par les souscripteurs suivants. Et, pour que les recettes couvrent ces intérêts, il faut évidemment une croissance permanente des souscriptions… Souvent condamnée et strictement interdite, cette pratique, très dangereuse, ne peut fonctionner très longtemps! Charles Ponzi garantissait aux investisseurs 50% d’intérêts en quatre-vingt dix jours! Une escroquerie devenue emblématique des fausses promesses de la Finance et dont la crise des «subprimes » est le plus récent écho.

Michalis Sionas a conçu une mise en scène minimaliste -ni musique ni danse- avec, pour seuls accessoires, deux  téléphones, des billets de banque et des journaux. Il met en valeur les improvisations corporelles et le jeu des acteurs, excellents dans la narration. Dans une salle carrée, rien d’autre que des bancs. Au début, les  personnages restent muets et immobiles. Par la suite, paroles et mouvements emplissent la scène et donnent vie aux aventures de Ponzi. Séquence après séquence, Diamantis Adamantidis (Ponzi), Tryfonia Aggelidou, Yannis Sampsalakis et Maria Hanou interprètent plus des trente personnages. Le metteur en scène privilégie un discours politique qui va du particulier, au général et nous nous sentons donc tous concernés. Un spectacle  ne pas manquer !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre 104, 41 rue Evmolpidon, Athènes. T. : 0030 34 55 020

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