Mon dîner avec Winston d’Hervé Le Tellier, mise en scène et interprétation de Gilles Cohen

©Julien Piffaut

©Julien Piffaut

 

Mon Dîner avec Winston d’Hervé Le Tellier, mise en scène et interprétation de Gilles Cohen

Entre deux tournages au cinéma ou à la télévision, l’acteur aime à retrouver les planches et la mise en scène, ses premières amours. Féru d’histoire, il souhaitait consacrer une pièce à Winston Churchill et à ses discours. Et il a demandé à Hervé Le Tellier de lui écrire une texte. Il crée ce nouveau spectacle, comme les six précédents, après une résidence à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône dont le nouveau directeur, Nicolas Royer, poursuit une politique d’accueil de compagnies en production (voir Instances 2019 dans Le Théâtre du Blog ).

Seul en scène pendant une petite heure, Gilles Cohen est Charles, un homme de rien, largué par sa femme : «Tu peux peu, lui disait son père, mais fais ce que tu peux. » Il s’imagine en hôte de sir Winston Churchill, le temps d’un repas. En attendant son invité, il s’active à la cuisine, prépare un dîner bien arrosé et des cigares. Il lui fait aussi couler un bain:—Winston Churchill avait coutume de boire et fumer dans sa baignoire— au grand dam de son voisin dont il finira par inonder l’appartement. Entre les coups de téléphone répétés d’un certain A. Rodriguez, en panne sur une petite route de Bavière —il est employé chez un loueur de voitures— il s’adresse à son invité absent.

La pièce s’est construite grâce à des allers et retours entre le comédien et l’auteur et aborde la biographie du grand homme par le biais de l’intime, celui du personnage historique et de Charles : «Nous nous sommes mis d’accord : il fallait éviter de faire un spectacle historique ou pédagogique, dit Gilles Cohen, c’est pourquoi Hervé a inventé une petite histoire (la vie de Charles) dans la grand Histoire (celle de Winston Churchill). » Derrière leurs dissemblances, Charles le « looser » va se trouver des similitudes avec le chef de guerre que les circonstances dramatiques ont conduit à devenir un héros et à «sauver le monde». Après une enfance malheureuse et des échecs cuisants comme le désastre des Dardanelles en 1914, alors qu’il était premier lord de l’Amirauté britannique. Alors, pour Charles : «tous les espoirs sont donc permis » «Vous savez, vous aviez dit que “le succès, c’est d’aller d’échec en échec, en gardant le même enthousiasme“ (…) «Si vous, en étant alcoolique et dépressif, vous avez pu devenir Winston Churchill… Enfin je me comprends. »

Pendant sa vaine attente, Charles reprend des bribes des discours volontaristes de son hôte imaginaire, aux grandes heures de la bataille d’Angleterre. Il alimente son monologue du discours fougueux de Richmond à ses troupes dans Richard III et de la fameuse tirade: « We few, we happy few, we band of brothers… » du roi Henry V dans la pièce éponyme de William Shakespeare: Ou bien il chante la complainte des pirates dans L’Ile au Trésor de Robert-Louis Stevenson, une des lectures favorites de son héros: «Nous étions quinze sur le coffre du mort Yo – ho – ho !/Et une bouteille de rhum/La boisson et le diable ont emporté les autres… »

Hervé Le Tellier, en bon Oulipien, sait conjuguer sérieux et fantaisie, mêler prosaïsme et lyrisme, jouer avec les citations et bâtir une fiction. Ce Grand Prix de l’humour noir 2013 ne ménage pas les bons mots, tout en nous offrant une figure touchante d’un fan de Churchill. Ce brave type se raccroche à son modèle, dépressif comme lui, pour rester debout… Le texte ne manque pas de relief et nous offre une leçon d’histoire originale mais Gilles Cohen, dans ce dialogue face public avec Winston Churchill, se tient trop en retrait. On aurait aimé un jeu plus affuté, plus vif pour servir ce texte aux belles saillies. Dans ce solo, un exercice difficile… la mise en scène manque de rythme et d’invention. Comme si l’acteur restait un peu livré à lui-même sur le plateau. Mais  Mon Dîner avec Winston devrait trouver son allure de croisière au fil des représentations…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 6 février à l’Espace des Arts-Scène Nationale de Chalon-sur-Saône, 5 B avenue Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).

 Du 4 mars au 5 avril, Théâtre du Rond-Point, Paris (VIII ème)


Archive pour 10 février, 2020

Lalalangue – Prenez et mangez-en tous, une revue familiale, de et par Frédérique Voruz

Lalalangue-Prenez et mangez-en tous, une revue familiale de et par Frédérique Voruz, sous le regard bienveillant de Simon Abkarian

Crédit photo : Antoine Agoudjian.

Crédit photo : Antoine Agoudjian.

Une histoire à la fois singulière et universelle, tragique et joyeuse. Ou comment une fillette s’est protégée de la folie de sa mère et a trouvé les stratégies pour survivre et résister jusqu’à sa majorité. Distance, mise en perspective, humour et ironie… Vivre sous son regard et vouloir s’en défaire pour être enfin soi-même et s’ouvrir à la création personnelle en transcendant un milieu hostile… Passionnée d’escalade en montagne, cette mère a perdu sa jambe gauche dans les calanques de Marseille et elle dira sur son lit d’hôpital : «Je me vengerai sur les enfants.» Les personnages qui accompagnent le parcours de l’auteure sont tous fous, violents et extraordinaires. Mais ce conte cruel finira bien, malgré tout, avec des parents dignes de la famille inquiétante du Petit-Poucet qui n’aurait pas le projet conscient de faire le mal. La toute-puissance maternelle est souvent à l’honneur dans les contes de fées, via les mythiques ogres et ogresses honnis et mangeurs d’enfants…

Les  petits n’en éprouvent pas moins de la jubilation, quand on leur raconte cette histoire terrifiante où on a très peur d’être mangé et de se sentir disparaître dans un monstre. La «lalalangue» étant, en psychanalyse lacanienne, le nom d’un dictionnaire familial, avec des mots qui veulent dire seulement quelque chose pour un ensemble de gens. Pour la mère recluse dans ses obsessions, les mots ont leur poids  à partir desquels on peut imaginer un autre univers fictionnel et aussi qu’ils fassent réalité. Car, répète-t-on. les choses portent un nom qui les désigne précisément. Le plaisir de la mère, empêcheur de tourner en rond et grand casseur de joie, interdit ainsi l’expression du désir et du plaisir. Elle, nécessairement, de par sa posture originelle, représente la puissance et la séduction. Le monde est en effet maternel, avec des perceptions directes pour l’enfant et, qui, psychanalyse pour les nuls, trouvera sa place et existera vraiment, à la seule condition d’être exclu de la sphère originelle et chassé du paradis utérin.

On recommande donc à une maman de le voir comme un être distinct d’elle-même et d’accepter qu’il soit un autre, hors d’elle, séparé de façon symbolique.  Un projet impossible : même s’il en est détaché physiquement, elle ne le considère pas comme un autre… Pour celle de Frédérique Voruz, ses enfants, ses chiens et autres exclus faisaient partie d’elle, comme des extensions de son corps. Réfugiée dans une jouissance chrétienne de martyre, elle se privait de tout, emmenait ses filles visiter les malheureux, sûre que Dieu les regardait d’en haut… La petite fille, prise dans les rets de cette folie, s’en sortira en se racontant des histoires puis elle fera appel à une psychanalyste, comme Frédérique Voruz qui enfin raccrochée à la vie, lui devra son salut

Un passé accepté comme tel et livré ici avec beaucoup de second degré. Elle interprète avec une belle voix posée, des chansons d’enfance, des chants d’église et des compositions personnelles. Un spectacle à la scénographie épurée : une chaise, un projecteur à diapositives égrainant des photos de famille qui ponctuent ainsi le récit et créent une intimité avec le public. Mais pour qu’il y ait théâtre, il fallait un rendez-vous avec la transcendance et les métamorphoses de l’actrice. Elle y réussit merveilleusement, en n’en finissant pas de peupler ce monde enfantin des silhouettes qu’elle a côtoyées. Une mère abusive, claudicant et ménageant son moignon, un père refermé sur son imaginaire, peu éloquent, dialoguant avec les éléments et les arbres et une sœur aînée punk trouvant assez vite les voies de la liberté en s’enfuyant de la maison.

Saleté et réclusion:les enfants subissent une maltraitance permanente… Peu d’affection, une place disproportionnée accordée aux chiens et à tous les laissés pour compte que la Mère protège. Mais la puissance de vivre de la jeune fille est hors-normes et elle décidera de faire, du théâtre, son métier et sa raison de vivre. Elle est à la fois désinvolte et subversive. Ce qui lui a donné une identité et ici, elle fait feu de tout bois, s’amuse des travers, défauts et obsessions de la Coupable…Dansant, virevoltant, puis prenant assise sur une chaise, une jambe repliée pour rappeler cette femme handicapée, elle irradie la scène de la lumière qu’elle recèle.

Véronique Hotte

Théâtre du Soleil, Cartoucherie, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). Métro :Château de Vincennes+ courte navette gratuite, jusqu’au 9 février. T. : 06 21 27 17 75.

Magma,chorégraphie de Marie-Agnès Gillot et Andrés Marín, direction artistique de Christian Rizzo.

Magma, chorégraphie de Marie-Agnès Gillot et Andrés Marín, direction artistique de Christian Rizzo.

 

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Trois personnalités fortes se sont associées pour réaliser cette pièce qui clôture la quatrième Biennale d’art flamenco. Marie-Agnès Gillot,  ancienne étoile de l’Opéra de Paris et égérie de Pina Bausch, a participé à de multiples aventures artistiques hors-cadre notamment avec Sophie Calle, Pippo Delbonno, Katia et Marielle Labèque… Andrés Marín, issu d’une lignée de danseurs de Séville, a multiplié lui aussi les collaborations avec Bartabas, Bianca Li, Kader Attou. Christian Rizzo d’abord formé aux arts plastiques, est directeur du Centre Chorégraphique National de Montpellier. 

 Didier Ambact à la batterie et Bruno Chevillon à la contrebasse jouent la partition qu’ils ont composée avec Vanessa Court. Marie-Agnès Gillot et Andrés Marín  sont remarquablement éclairés par les lumières de Caty Olive qui travaille sur les ombres portées des artistes. Et l’étonnant dispositif scénique de Christian Rizzo, un polygone métallique leur permet de disparaître et de jouer à cache-cache pour mieux se surprendre. En costume noir, ils suivent chacun une écriture chorégraphique solo qui met en valeur leurs superbes jeux de bras et cambrure pour l’une, et les bondissements et flamenco sauvage pour l’autre. Ils se retrouvent parfois au sol où à la verticale pour un duo très animal et instinctif. Leurs regards se croisent rarement, mains et bras se cherchent, se trouvent, s’opposent ou s’accompagnent. Enfants terribles de la danse classique et du flamenco, ils semblent apprécier cette union atypique et leur plaisir est communicatif. «J’aime, dit Marie-Agnès Gillot, le rapport au rythme du flamenco ; nous ne le connaissons pas en danse classique. Une sorte de « drum base » personnel.» Elle est la fois très à l’aise dans ses mouvements, et théâtrale dans ses postures figées.

Cette pièce d’une heure, à l’esthétique chic et résolument contemporaine, risque de déstabiliser les fidèles de l’Opéra de Paris. Ici, Marie-Agnès Gillot prouve une fois de plus qu’il y a une vie, après avoir quitté cette institution. Un rare moment de danse qu’il ne faut pas hésiter à aller découvrir…

 

Jean Couturier

Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 place du Trocadéro Paris ( XVIème). T. : 01 53 65 30 00 jusqu’au 13 février.

 

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