Black Mountain de Brad Birch, mise en scène d’Alice Vannier, Bérangère Notta et David Maisse

Black Mountain de Brad Birch, traduction de Guillaume Doucet, mise en scène d’Alice Vannier

BLACK MOUNTAIN / GROUPE VERTIGO Après Nature morte dans un fossé et Pronom, le Groupe Vertigo a choisi de monter  cette pièce, un thriller psychologique du jeune auteur britannique Brad Birch, écrivain en résidence au Théâtre Undeb, détaché à la Royal Shakespeare Company et auteur associé au Théâtre national de Londres.  Black Mountain est un petit bijou théâtral en équilibre instable sur un fil tendu à l’extrême, tout près de basculer vers l’horreur. A partir d’une situation initiale fort claire puis d’un trouble indéfinissable dont le public est complice, surgit alors  l’humour…

 Un homme a trahi sa femme et le couple s’isole dans une chalet rudimentaire, un peu isolé d’un village de montagne, histoire de se parler enfin, de faire le point pour se quitter définitivement ou bien renouer ensemble. Lui paraît souhaiter la seconde solution mais elle, reste muette. Et peu à peu, la tension monte : on ne sait qui manipule l’autre… Et la maîtresse s’invite, en se cachant de la femme, dans une remise. En cinq journées dont, sur un petit écran, sont indiqués le temps et l’espace : matin, soir, nuit, chambre, cuisine, devant la remise …On est donc à l’intérieur ou à l’extérieur de ce chalet aux murs lambrissés. Loin des des bruits de la ville mais dans la forêt et le vacarme effrayant des tronçonneuses…

Des scènes brèves, alternant lieux et moments. Avec des noirs pour ces changements qui font monter le mystère. Le suspense en est décuplé grâce à une dramaturgique rigoureuse… Lui n’apprécie guère le froid et les balades dans la montagne enneigée mais elle, y prend plaisir… Grâce à de petits signes infimes, on voit le doute, la suspicion ou un éclair fugitif de compréhension et de lucidité quant leurs intentions. La femme, remarquablement interprétée par Bérengère Notta, fait preuve de patience et de sourires pour aller vers une réconciliation.  Mais ne propose-t-elle pas sciemment une promenade en montagne pour faire souffrir l’homme? Il n’a pas les chaussures adéquates et cela va être pour lui une torture… Y a-t-il chez elle un désir latent de se venger, en faisant ainsi payer celui qui l’a trahie. Et lui est-il vraiment prêt à «réparer »  cette sortie de route et à recommencer leur vie commune en mieux ?

 Pourquoi sa maîtresse surgit-elle à l’improviste, en lui demandant des comptes et en espérant le faire revenir avec elle en ville,  s’il réussit à lâcher son épouse ? Cet homme (David Maisse) est incertain au possible, toujours d’accord avec les propositions de sa femme mais se retrouve perdu quand survient l’amante à l’improviste… Un jouet entre les mains de ses compagnes ! Et il ne sait vers laquelle se tourner…

 Alice Vannier, qui avait si bien mis en scène En réalités, d’après La Misère du monde de Bourdieu  (voir Le Théâtre du Blog) est ici la nouvelle élue, facétieuse, un rien étrange et inattendue. A-t-elle pris la hache rangée soigneusement dans la remise, et à quelles fins ? Lui en constate la disparition soudaine.  Les dialogues sont amorcés, pas vraiment aboutis, désarticulés. Dans une suite de répliques où rien ne se dit manifestement mais où tout se manifeste de façon implicite : impossibilité de rendre compte des dégâts sentimentaux essuyés, blessure subie et difficulté à s’en remettre, les phrases ne se terminent pas. Et les propos se croisent, souvent détournés, coupés, comme si l’essentiel: s’aimer ou ne pas s’aimer ne pouvait être jamais formulé. Et s’enclenche alors, irréversible, le jeu, vide énigmatique et insatisfaisant, des redites. Une façon banale et quotidienne de se parler dans une impasse consentie et les comédiens jouent à plein la folie d’êtres qui veulent se trouver.

 Véronique Hotte

 Centre culturel Athéna, Auray (Morbihan), du 11 au 14 février.

D.S.N. Dieppe (Seine-Maritime), du 19 au 23 mai.

 


Archive pour 15 février, 2020

Fase /Four Movements to the music of Steve Reich, chorégraphie d’ Anne Teresa De Keersmaeker

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Fase/Four Movements to the music of Steve Reich, chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker

 

Créée en 1982 à Bruxelles, cette pièce marque l’entrée en lice fracassante de la chorégraphe flamande: elle avait vingt-deux ans… Œuvre fondatrice, elle annonce son style dépouillé, minimaliste, alliant fluidité et figures géométriques. «Ce n’est pas ma première pièce, dit-elle mais  elle prend à bras-le-corps l’art de la chorégraphie, l’art d’écrire le mouvement. » Dansée à l’époque par Michèle Anne De Mey et la chorégraphe elle-même qui continuera à l’interpréter pendant trente-six ans, elle est reprise aujourd’hui par de jeunes interprètes éblouissantes. On voit s’y dessiner une grammaire cinétique implacable et une manière d’inscrire le mouvement des corps dans celui de la musique que l’on retrouvera, par exemple, dans les deux versions d’A Love supreme, sur le morceau éponyme de John Coltrane (voir Le Théâtre du Blog).

 Dans le premier duo, Piano Phase écrit par Steve Reich en 1967, les danseuses, en élégante robe blanche, tournoient sans fin sur elles-mêmes devant un écran immaculé où se découpent leurs ombres triplant ainsi leur présence, alors que la musique démultiplie ses notes en accélérant le rythme. A l’instar de la partition, d’abord parfaitement synchronisée, leurs gestes jumeaux se décalent légèrement, pour se recaler ensuite. Et leurs ombres, tantôt se séparent, tantôt se superposent. Notre regard est pris dans un étonnant vertige hypnotique.

 Pour écrire Come out (1966), Steve Reich a utilisé un extrait du témoignage sonore d’un garçon, arrêté et tabassé par la police avec d’autres jeunes afro-américains, lors des émeutes de Harlem en 1964. Ces paroles : « come out to show them »  ont été enregistrés sur plusieurs pistes puis déphasés jusqu’à obtenir une distorsion des mots puis des sons seuls et, à la neuvième minute, un bruit blanc, étale… Sur cette étrange partition vocale, les danseuses, vissées à des chaises et sous des abat jour orangés, se débattent, tournent ensemble ou en décalage, suivant le principe du phasage/déphasage de la musique. La danse transcrit cette violence induite par cette scène qui engendra la partition de Steve Reich. Les costumes masculins des interprètes donnent à ce duo un supplément de dureté.

 Le magnifique solo, bâti sur Violin Phase (1967), vient détendre l’atmosphère. Il contient en germe l’A.D.N. de Fase. «Il est toujours demeuré “ma danse“, dit la chorégraphe. Le petit bout de code où sont encapsulés tous les éléments déterminants de mon parcours. » Et la rosace dessinée par ses pas donna son nom à la compagnie Rosas d’Anne Teresa De Keersmaker. L’interprète, entre des jeux de pieds rigoureux, tente quelques lancers de jambes et sautillements gracieux. Sa robe tournoie harmonieusement, comme un cloche, laissant deviner ses dessous… La simplicité des mouvements : tourner, sauter, balancer les bras, a quelque chose de juvénile mais se trouve mis en tension par des contretemps, des instants de suspension…    

 On retrouve les interprètes en costume masculin pour un numéro de fausses claquettes dans Clapping Music (1972), composé à partir de claquements secs de mains. Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti ou Laura Bachman, Soa Ratsifandrihana (en alternance) s’accordent et se désaccordent. Une fois encore les variations de lumière de Remon Fromont interviennent dans la dramaturgie de l’espace, en créant des zones d’ombre ou des images surexposées sur un écran blanc en fond de scène.

 Une heure dix de mouvement perpétuel : on reste médusé par la modernité de ce ballet qui n’a pas pris une ride et, précurseur, il questionne le corps féminin par la gémellité des interprètes (même coiffure, même corpulence) et par une alternance ironique masculin/féminin. «Aujourd’hui, dit la chorégraphe, la notion de “gender liquidity“ s’étant répandue, il peut paraître désuet de se cramponner à ce point à l’idée de corps féminin questionné et déconstruit. Mais j’attache de l’importance à cette similitude formelle entre ces femmes.» Elle a raison et il faut vite aller voir ce spectacle.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 22 février, Théâtre de la Ville,  à l’Espace Cardin,  1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème) T. : 01 42 74 22 77.

 

 

 

L’Art du rire de Jos Houben

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

 

L’Art du Rire de Jos Houben

 Svelte et grand presque 1, 90m et Belge, dit-il souvent, il a été comédien, notamment dans Fragments de Samuel Beckett, mis en scène par Peter Brook. Mais aussi metteur en scène à Londres où il a fondé avec Simon Mac Burney le Théâtre de Complicité, et il y a créé des spectacles burlesques. Il a été enseignant pour des master class et à l’Ecole Lecoq. Ici dans une sorte de fausse conférence théâtrale, il analyse brillamment quelques mécanismes du comique en scène, surtout gestuel quand son personnage est en équilibre instable et il donne lui-même des exemples in vivo et aussi pendant quelques minutes avec un complice. Nous avions rendu compte de ce spectacle quand Joe Houben était passé au Théâtre du Rond-Point (voir Le Théâtre du Blog) ? Depuis, semble-t-il, son personnage de faux/vrai distrait un peu fou, s’est affiné et la mise en scène et la dramaturgie sont plus dépouillées, mieux construites, plus subtiles aussi dans l’explication du mécanisme comique.

On sent qu’il connaît à fond Le Rire d’Henri Bergson et d’autres ouvrages théoriques sur la question- il a étudié la philo à l’université de Louvain- mais il se garde bien et il a raison de ne jamais le citer. Et bien entendu, quand il donne des exemples, on retrouve l’influence chez lui de Buster Keaton, Harold Lloyd, mais aussi de Laurel et Hardy qui ont réussi d’abord dans le cinéma muet puis dans le parlant, ce qui était assez exceptionnel.  Et chaque scène est soulignée par une analyse très pointue quand, entre autres, il explique brillamment le pourquoi du comique provoqué par la chute. C’est parfois moins juste quand Jos Houben montre comment il  faut éviter de jouer un personnage alcoolisé: un comportement certes souvent stéréotypé chez les acteurs mais il y a différents degrés d’alcoolisation et donc différentes types de marches et gestes.

Sa conférence devient brillantissime quand Jos Houben met en parallèle la verticalité et le poids d’un humain, quand cette verticalité dérape et que naît alors le comique chez le spectateur, Même chose quand il raconte avec beaucoup de finesse, notre façon de regarder les autres, de marcher et de garder un semblant de dignité dans une situation des plus gênantes… Tout en effet dans notre  gestuelle est  révélateur d’un état de pensée, même fugitive. On apprend cela dans les bonnes écoles de commerce pour être en mesure d’avoir un temps d’avance sur un client potentiel. Et il se montre, absolument juste, le ventre un peu en avant ou légèrement en arrière, ou encore les mains posées au-dessus des hanches ou en-dessous. Ou quand il analyse la position de nos sœurs architecturales que sont la tour Eiffel et la tour de Pise, c’est aussi comique, que d’une belle poésie.

 Jos Houben ne le dit pas mais cela se devine facilement… Faire rire est un travail subtil, fait de longues et nombreuses observations sur le comportement humain et cela exige des heures de répétition. Et pourquoi rit-on sinon pour se rassurer, même si c’est toujours aux dépens d’un autre -rarement d’un groupe et parfois dans des circonstances qui n’ont rien de comique- une autre qui pourrait être nous-même: c’est toute l’ambiguïté de ce curieux phénomène. La valeur de ce solo d’une rare intelligence tient à la fois dans les scènes comiques présentés comme celle  avec le serveur d’un restaurant,  et de l’analyse que Jos Houben en fait avec une grande précision et une excellente diction, ce qui ne gâte rien. En une heure et quelque, tout est dit et bien dit… Cela donne envie de revenir voir ce spectacle, ce qui n’est pas souvent le cas… comme avec ceux longs comme un jour sans pain et prétentieux qui fleurissent trop souvent sur les scènes des Théâtres Nationaux… Surtout, n’hésitez pas à aller voir Jos Houben; en ces temps moroses, cela fait vraiment du bien…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 22 février, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

 

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