Odyssées-Festival en Yvelines au Centre Dramatique National de Sartrouville (suite)
Odyssées-Festival en Yvelines au Centre Dramatique National de Sartrouville (suite)
Frissons, conception de Magali Mougel et Johanny Bert (théâtre et danse, dès six ans)
L’autrice et le créateur se retrouvent ici pour créer un spectacle immersif conçu pour bibliothèques et lieux non équipés, et avec un dispositif sonore délivrant les voix intérieures des personnages. Frissons s’adresse surtout aux élèves des maternelles et les plonge dans un monde où un adulte joue un enfant, Anis; il vit heureux avec ses parents, dans leur maison. Sa chambre est un cocon protégé et douillet où il ne peut supporter l’intrusion d’un autre.
Sur le plateau, une accumulation d’ours en peluche rouge de toute taille, forme un petite paroi avec coulisses par derrière, que les personnages traversent parfois en jouant à cache-cache. Douceur apparente mais enfermement de peluches à la fois sympathiques et réductrices. Les parents d’Anis prévoient l’arrivée prochaine d’un enfant qu’ils adopteraient, ce dont il ne veut même pas entendre parler. Un plus petit que soi dans les bras maternels, et auquel on ne peut s’adresser? Mais Elias a le même âge qu’Anis et les interrogations vont bon train. Que faudra-t-il partager ? Les amis, les jouets, la chambre et l’amour des parents, oui.
A la peur de l’autre, succède alors peu à peu, l’étonnement, puis la première approche de l’inconnu, l’échange et le partage jusqu’à l’amitié. Adrien Spone, magnifique interprète, danse en embrassant l’espace et en s’étirant: il écoute sa voix intérieure. Et nous sommes grisés par sa chorégraphie audacieuse: l’expression d’un bonheur d’être au monde et qu’on ne veut pas voir abîmé, spolié, voire détruit. Yann Raballand danse à ses côtés, calme et sûr, avec sérénité dans une ouverture à l’autre. Peurs et craintes sont éradiquées au rythme des jours qui passent, jusqu’à l’enchantement d’une vie autre… La découverte des surprises heureuses, comme la vie n’en finit pas de nous réserver.
Le Joueur de flûte, texte, musique et mise en scène de Joachim Latarjet, d’après Le Joueur de flûte de Hamelin des frères Grimm (dès huit ans)
A l’origine, le célèbre conte des Frères Grimm, transcrit pour la scène, et d’une grande efficacité grâce au jeu d’Alexandra Fleischer et à la musique du trombone et de la flûte de Joachim Latarjet. Le spectacle a été conçu pour bibliothèques et lieux non équipés. Dans une ville peuplée d’habitants égoïstes et administrée par une mairesse malhonnête, les rats prolifèrent dangereusement. Seul un musicien réussit à attirer les animaux dans la montagne, grâce aux fabuleuses sonorités de son instrument. Mais il n’obtient pas la rémunération promise et il se vengera. Joachim Latarjet a adapté ce conte en le transposant dans notre monde contemporain. Avec humour, gravité et poésie, il révèle les dégâts causés par la bêtise et l’ignorance, en leur opposant le pouvoir prodigieux de la musique. Un spectacle en clair-obscur, où le comique des personnages et des situations côtoie le mystère et l’inquiétant, entre rire et effroi, sourire et inconfort. Alexandra Fleischer prend en charge le récit de ce conte revisité et se métamorphose en bon nombre de personnages dont la désobligeante mairesse. Et elle devient même un rat qui court parmi les détritus de poubelles. Fantaisie des dialogues et des chansons ludiques qu’elle interprète: elle passe et repasse sur la scène de son pas tranquille, contournant un écran-vidéo avec des images de Julien Téphany et Alexandre Gavras et reparaît de l’autre côté, menant la danse et instillant la dimension nécessaire à ce spectacle. Joachim Latarjet lui réplique via les sonorités rares des mélodies de sa guitare et de son trombone.
Ce joueur de flûte aux profondes certitudes et cette mairesse arrogante sont des personnages qui interpellent grandement, contrarient souvent, effraient parfois mais amusent aussi le jeune public. Un beau spectacle onirique à partir d’un conte cruel sur la surdité des êtres qui ne veulent jamais entendre une vérité souvent dite, avant que ne survienne la catastrophe.
Véronique Hotte
L’Encyclopédie des super-héros, texte et mise en scène de Thomas Quillardet (dès sept ans)
L’auteur et metteur en scène inscrit l’esthétique de la bande dessinée sur un plateau -plus conventionnel ?- de théâtre. Comment recréer l’univers fantastique des super-héros et héroïnes et en même temps, retranscrire l’univers des « comics» dans un spectacle pour bibliothèques, écoles, collèges et lieux non équipés. Notre fascination pour ces personnages représente sans doute un besoin de protection et correspond à un fantasme, celui de posséder des super-pouvoirs. Grâce auxquels on pourrait régler providentiellement tous les problèmes imaginables… Ce qui intéresse beaucoup les plus jeunes d’entre nous qui se rêvent grands, exemplaires et sauveurs de la veuve et de l’orphelin. Un idéal de soi grandiose, un surmoi dont on a une vive conscience à l’aube de sa vie.
Nous avons le regard accroché par une photo gigantesque de New-York avec ses tours comme tenues en suspension (scénographie de Floriane Jan). Avec une référence évidente au mystère de la ville tel que le montrent les B.D.. Jouant aussi les scénaristes et les bruiteurs, Benoît Carré et la facétieuse Bénédicte Mbemba incarnent les poètes-inventeurs d’un objet artistique à concevoir, de manière artisanale. Une aventure inénarrable: fabriquer un objet de théâtre BD avec deux acteurs qui en racontent le processus, s’invectivant l’un l’autre en même temps, puis dévoilant au public le secret de sa fabrication. Ils réalisent ainsi une sorte de fresque où le héros adopte toutes les stratégies pour arriver à ses fins: voler dans les airs, sauver les innocents et conquérir sa belle…
Il font aussi appel à l’accessoiriste qui n’en finit pas d’aider les comédiens pour construire son théâtre BD. Il essaye d’apprivoiser un objet, de se vêtir de sa cape symbolique mais le héros ne peut rien faire contre sa pesanteur… Alors que juché un simple skate-board, il donne alors en roulant l’impression d’une envolée aérienne. Saluons Benoit Carré dont le personnage n’est jamais lassé de cette recherche malgré les échecs. Un spectacle fait de bric et de broc, mais foncièrement sympathique.
Véronique Hotte
Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique National (Yvelines), du 13 janvier au 14 mars. T. : 01 30 86 77 79.