Odyssées-Festival en Yvelines
Odyssées-Festival en Yvelines au Centre Dramatique National de Sartrouville
Une vision du monde offerte au public, avec cette biennale de théâtre constituée de créations pour la jeunesse, et cela depuis 1997. Cette douzième édition jette des passerelles entre culture populaire et culture savante, entre culture classique et culture numérique. Avec sept artistes invités pour six créations de théâtre, danse, musique(s), cirque, vidéo, bande dessinée… A l’honneur, de « petites formes » accueillies dans des lieux non équipés : bibliothèques, salles de classe… Les résidences de création hors-les-murs se développent ainsi depuis deux ans, quand Sylvain Maurice a été nommé directeur. Avec une décentralisation géographique, un plus large accès à la culture et un décloisonnement des publics et des âges. On peut regretter qu’ici les créateurs ne s’attachent pas plus à un texte qui fasse sens. Mais on est sensible à la conjugaison des différents arts, comme au jeu convaincant des acteurs.
Une tendance : la mise en valeur d’un être seul face au monde. L’un à l’écoute de sa petite voix intérieure, comme dans Frissons ; l’autre qui ressent la présence d’une identité ethnique, manifeste à travers des jeux vocaux dans Un Flocon dans ma gorge. Et un troisième trouve sa liberté avec une expression artistique qu’il élève à une dimension universelle dans Le Procès de Goku. Et le joueur de flûte dans une pièce éponyme veut voir honoré son contrat passé en bonne et due forme ce qu’une femme escroc refuse… Il se vengera. Un autre rêve, dans L’Encyclopédie des super-héros, d’en être un qui sauvera enfin le monde.
Un Flocon dans ma gorge, texte et mise en scène de Constance Larrieu (théâtre et musique, dès six ans)
Une autobiographie romancée, en étroite collaboration avec Marie-Pascale Dubé, narratrice et interprète de ce solo singulier, accompagnée par David Bichindaritz, musicien multi-instrumentiste composant une bande-son en direct.Une occasion aussi d’entendre la voix de cette chanteuse comédienne franco-québécoise qui pose la question des identités historiques méconnues. Depuis sa très jeune enfance, elle s’amuse à créer des sons gutturaux, qu’elle n’avait jamais entendus ni appris. Un jour, en écoutant un disque de chant Inuit, elle s’exclama : «C’est ma voix ! » Mais comment l’art du «katajjaq», ce jeu vocal traditionnel pratiqué depuis des siècles par des femmes de l’Arctique, s’est-il inscrit spontanément dans la gorge de cette petite fille de Montréal, à des milliers de kilomètres? Constance Larrieu invente, à partir de cette autobiographie, un voyage vocal joyeux et onirique, magnifique moyen d’expression des sentiments, de compréhension de soi, d’ouverture à l’autre. Sur un énorme coussin blanc et soyeux, Marie-Pascale Dubé joue la fillette qu’elle a été, la sœur d’un frère accro au violoncelle, la petite-fille d’une grand-mère attentive et sensible, accompagnée elle-même d’une amie bienveillante Inuit.
Son personnage et le sien ont maintes identités nuancées…Les paysages du Grand Nord comme le Wild de Jack London s’imposent au public qui assiste à des aurores boréales, à une marche dans une neige épaisse et à la rencontre de renards et d’ours polaires… La fillette découvre un monde bien plus étendu qu’elle ne le pensait, habité de cultures traditionnelles qui viennent enrichir son premier regard, trop conventionnel. Un spectacle revigorant du désir de vivre, de se comprendre et de comprendre l’autre.
Le Procès de Goku, texte, chorégraphie et mise en scène d’Anne Nguyen (danse, théâtre, dès treize ans)
Un spectacle pour salle de classe, de la chorégraphe de hip-hop qui fraie pour la première fois avec une parole théâtrale argumentée plutôt savante. Sur la question délicate des droits artistiques, avec un artiste et d’un juge. A qui les pas de danse appartiennent-ils ? Rendez-vous ici avec un public d’adolescents concernés et interpelés par des formes de chorégraphique urbaine largement répandues : flow, free style, street art et battle, avec une belle énergie et une volonté d’en découdre. Goku est un passionné de king loop step. Amusé, il apprend au juge qu’il est né en 1998… donc pas si vieux que ça. Mais aussi étonné d’apprendre que les pas de cette danse sont protégés par le code de la propriété intellectuelle. Goku, vingt-deux ans, indépendant et versé dans son art, ne comprend absolument pas cette assignation en justice et choisit de plaider son innocence, avec à l’appui, démonstrations de cette forme de hip-hop…
Le jour du procès, la joute verbale entre le juge et Goku, appuyée par la danse, devient éloquente et tonique : un dialogue virtuose de gestuelle brute avec une chorégraphie enlevée, à la fois pure et chaotique. François Lamargot, sûr de son geste poétique et Jean-Baptiste Saunier, beau parleur et officiant connaisseur de battle, admirables comédiens-danseurs ont un verbe maîtrisé et persuasif pour l’un et une remarquable expression du corps pour l’autre, économe de parole. Ce Procès de Goku a été imaginé pour des salles de classe et les élèves, à la fois spectateurs et jurés, jouent le jeu avec plaisir. Tout acquis à ce procès : de par la loi, est reconnue une création personnelle mais avec un enjeu important, la confrontation entre deux figures sociales : le juge et l’artiste, via de belles démonstrations dansées. Un bonheur scénique avec un argumentaire civique sérieux où sont convoquées les idées d’héritage, de responsabilité mais aussi de liberté…
(A suivre)
Véronique Hotte
Odyssées-Festival en Yvelines, Théâtre de Sartrouville-Centre Dramatique National (Yvelines) du 13 janvier au 14 mars.