Toute Nue, variation Feydeau/Norén, mise en scène d’Émilie Anna Maillet

Maxime Lethelier

©Maxime Lethelier

 Toute Nue, variation Feydeau/Norénmise en scène d’Émilie-Anna Maillet

Apparemment, la jeune Troisième République a tout de suite généré des comportements aussi désolants que durables, et leur satire. L’exposition du couple comme outil de pouvoir, par exemple : on n’a pas encore fait mieux. Voyez la saga de nos trois derniers présidents, voyez l’actualité : inutile d’insister. Mais la Roche tarpéienne est proche du Capitole,  et plus dure sera la chute…

Ventroux, le mari dans Ne te promène donc pas toute nue de Georges Feydeau, à peine élu député et déjà ministrable, baigne dans la joie et l’espoir d’un bel avenir politique, soutenu par un «plan médias»  où on met en avant le couple parfait qu’il forme avec son épouse. Mais il fait très chaud : « trente-six degrés de latitude», dit Clarisse, forcément idiote aux yeux de Ventroux, lui-même peu gâté par la nature et affublé d’un nom qui l’enferme dans ses appétits.
Madame est allée à un mariage pour représenter Monsieur (ce député  n’a pas le temps) et elle revient chez elle en sueur. Comme on est chez Feydeau, mâtiné de fines tranches de Lars Norén (particulièrement aigu sur les haines conjugales), rien ne se passe comme prévu… L’équipe de la presse people remplacée par un journaliste du Figaro (donc, sérieux !) obtient pour toute réponse : «Plus tard » ou des éléments de langage habituels des politiques: un vide absolu… Donc ce jour-là, comme dans les vingt-quatre heures fatidiques de la tragédie, un élément qui pouvait sembler anodin, ce «trente-six degrés de latitude» va renverser les destinées et remettre les choses à leur place, c’est à dire cul par-dessus tête…

Clarisse se promène toute nue, ce qui signifie chez Feydeau, en tenue intime dont la vue est interdite à tout homme autre que son mari, ou le domestique (aveugle et muet de par sa fonction), sans aller jusqu’au «plus que nu-u-e » de Mistinguett. Toute nue, sous le regard du maire venu en solliciteur, du journaliste et même sous le regard du Tigre: Georges Clemenceau qui habite juste en face et qui se rince l’œil ! Quelle image, quelle représentation pour la carrière de son mari ! Feydeau aimait les femmes, au point de ne plus supporter la sienne. Il finit par vivre dans un grand hôtel où il écrit sa série : «Du mariage, au divorce ». Mais il fut attiré par un boy de cabaret déguisé en fille… qui lui transmettra une syphilis qui sera fatale au grand dramaturge. .
Les femmes l’intéressent et il désigne comme leur bêtise et  leur mystère, l’«obscur objet du désir». C’est peut-être cela qui le fascine: le potentiel de liberté dont sont chargées ces créatures soumises. Clarisse, à sa façon, dit: «Mon corps est à moi.» La metteuse en scène, logiquement, la montre un moment, en «femen», torse nu comme un drapeau, encore et toujours transgressif.

La mise en scène, rythmée par la batterie de François Merville, fonctionne sur plusieurs registres: celui d’une comédie burlesque la plus débridée, avec un langage vide et répétitif et des objets en folie, mais aussi celui de la cruauté qui irait jusqu’au «combat des cerveaux», si Georges Feydeau et Lars Norén supposaient que leurs protagonistes en aient un.
Émilie-Anna Maillet joue à bon escient de la vidéo et de l’éclatement dans l’espace. On ne sait jamais d’où va surgir Clarisse toute nue. Elle n’est plus « chez elle » , donc, elle est partout chez elle. Y compris, surdimensionnée, sur et derrière les murs à l’envers du décor où s’expose ce qu’on ne devrait pas voir, l’abîme du couple, la destruction réciproque et la haine qui a poussé comme une moisissure au fil des ans sur le tissu conjugal. Et l’image officielle que l’on devrait voir de ce couple, n’existe plus !
Ce spectacle possède un comique ravageur mais aussi une amertume profonde. La lumière vient des acteurs et en particulier de Marion Suzanne. Elle joue ici une belle femme normale, ce qui la sauve une fois pour toutes d’être un objet, une pin-up  et elle a donc avec une liberté d’avance.
Voilà une beau théâtre-catastrophe qui secoue et qui ne donne sans doute pas de réponse. Politiquement incorrect : la faute à la politique qui, elle-même, ne sait pas (ou plus ?) être correcte…

Christine Friedel

Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès Paris (XIX ème). T. : 01 40 03 72 23

Dimanche 1er mars : à l’issue de la représentation, Derrière le rideau :une rencontre philosophique  avec Anne-Laure Benharrosh. Et mercredi 4 mars, après le spectacle, rencontre avec Emilie-Anna Maillet et Camille Froidevaux-Mettrie, philosophe féministe.

 

 

 

 

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