La Foutue bande d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Fourcade: sortie de chantier
Culture Commune Fabrique Théâtrale :
Sortie de chantier de La Foutue bande d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Fourcade
Cela se passe à proximité de Lens où est installé le Centre Georges Pompidou… C’est moins luxueux mais très vivant, chaleureux et il se passe toujours quelque chose dans cette Scène nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais qui offre des spectacles de théâtre, arts de la rue, cirque, danse, spectacles jeune public et multimédias… Ouverte en 1998, elle a été mise en conformité il y cinq ans. Le site est maintenant classé par l’UNESCO. Pas très loin de deux terrils où pousse une flore et où vit une faune exceptionnelles qui se trouvent bien au chaud au pied de cet amas de schistes et autres minéraux, résidus des mines de charbon après tri.
Nous sommes dans l’ancienne salle des Pendus, un vestiaire où les mineurs accrochaient leurs vêtements à un crochet au bout de la chaîne puis les faisaient monter au plafond: pas d’armoire, nettoyage de la salle et séchage plus faciles… Elle est devenue La Fabrique Théâtrale avec un grand espace scénique où on travaille sur des spectacles et où on les présente aussi. “Culture Commune est plus qu’un lieu de programmation, dit son directeur Laurent Coutouly. Et la Fabrique est avant tout un laboratoire expérimental où les artistes travaillent en résidence. Il y a des stages, ateliers et rendez-vous avec le public régulièrement organisés. Et des espaces pour les créations et/ou répétitions, un centre de ressources des écritures théâtrales contemporaines avec un fonds de plus de 1.500 ouvrages et une Maison des artistes et des citoyens permettant l’immersion de créateurs dans cette ex-cité minière, pour rencontrer ses habitants qui pour la grande majorité n’ont pas connu la mine en activité. »
«Mais cette Scène Nationale, dit aussi Laurent Coutouly, a la particularité d’avoir aussi une dizaine de salles partenaires de cent-vingt à cinq cents places dans trois communautés d’agglomération: cent-cinquante communes semi-rurales avec plus de 600.000 habitants. Et une Smob, scène mobile itinérante en Artois, un chapiteau auto-porté de 85 places et des chapiteaux occasionnels. Avec le Louvre-Lens ouvert il y a six ans déjà, la Comédie de Béthune-Centre Dramatique National, le réseau du collectif Jeune Public des Hauts-de-France, Artoiscope, le réseau des structures culturelles de l’Artois. Et depuis trois ans avec Le Boulon, à Vieux-Condé , en banlieue de Valenciennes, le cirque Jules Verne à Amiens et Le Prato à Lille, nous avons créé un réseau de coopération artistique autour du cirque et des arts forains. »
Yvan Corbineau, comédien et metteur en scène met en scène aujourd’hui La Foutue Bande qu’il a écrit en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Il écrit de la poésie et a reçu les Encouragements du Centre National du Théâtre pour Mamie rôtie en 2009, qu’il a ensuite monté et souvent joué (voir Le Théâtre du Blog). Le Bulldozer et l’Olivier, un conte musical, premier volet de La Foutue Bande illustre l’histoire récente de la Palestine sur le thème de la résistance et de l’attachement à la terre…
Sur le plateau, un mur fait de grands châssis en contre-plaqué de récupération avec quelques pans grillagés. Ils sont sept artistes dont un joueur de oud pour dire la seconde partie de La Foutue bande dont le sous-titre est De loin la Palestine. Yvan Corbineau sait de quoi il parle: il est allé plusieurs fois là-bas et en Israël; il précise que doit ce collectif doit s’emparer de cette matière encore non théâtrale, ce qui rend le travail plus lent. Cela parle de la Palestine, colonisée depuis le début du XX ème siècle et de la colonisation en général. «C’est l’histoire d’une bande qui manque d’air coincée entre le mur et la mer, dit Yvan Corbineau. » (… ) « Pour la parcourir ensemble, nous mettons en espace et en musique les fragments qui la composent : une tragédie de famille, les voix d’un peuple nié par son territoire, le récit d’un exil et de toute l’énergie qu’il faut pour entretenir le feu d’un pays vécu de loin. Le fatras des questions qui taraudent et des croyances, l’impossible traversée de celui qui voudrait aller d’un point à un autre, mais le territoire se dérobe, la terre résiste. »
Au début, un long tapis de couloir que les acteurs déroulent et où ils poussent lentement une petite table à roulettes munie d’un magnétophone à bande -belle coïncidence- qui délivrera le début du conte, comme pour obtenir une certaine distance avec l’actualité de cette trop fameuse bande de Gaza (41 kms de long sur six à douze km de large, entourée par l’État d’Israël au Nord, et par l’Egypte au Sud-Ouest. Deux millions d’habitants dont de nombreux réfugiés palestiniens. Quant aux 9. 000 habitants juifs, ils ont été évacués eux il y a seize ans et, comme la Cisjordanie, ce territoire est revendiqué par l’Autorité palestinienne qui la contrôle actuellement. Mais dont l’électricité est achetée à Israël…
Il y a chez Yvan Corbineau et Elsa Hourcade une attention évidente à la scénographie comme élément essentiel du spectacle, pour mieux construire cette histoire imagée de cette Palestine qui focalise régulièrement l’attention du monde entier. Comme avec cette image faite à partir de pas grand chose mais d’une belle poésie : deux rectangles en papier calque éclairés sur ce mur. On entend sans le voir un cutter avec lequel deux acteurs fendent le dit papier dans un bruit infernal de déchirure, symbole visuel et sonore de la séparation entre deux peuples obligés de cohabiter.
Puis, une fois le papier complètement enlevé, apparaissent alors -magnifique image- tous les personnages chantant en chœur, accompagnés par le joueur de oud. Espoir d’une vie commune retrouvée ? La construction sonore ici étant aussi prégnante que la circulation des châssis. Une très simple et belle construction pas toujours simple à régler mais qui permet d’imaginer un ailleurs par derrière : une fête, une cuisine, espace de vie où une mère épluche des légumes, comme un clin d’œil à la nécessaire trivialité des jours qui passent quand, malgré tout, il faut se nourrir. Mais la zone selon l’O.N.U. pourrait vite devenir invivable, en raison des blocus israélien et égyptien. L’eau et l’énergie étant limités, mais la dégradation du système de santé et un très fort taux de chômage étant, eux, actuellement sans limites.
La mère dit qu’elle n’en peut plus : « Nos toits-terrasses bien exposés avec le linge qui y sèche et les drones qui y rôdent. Ça nous tombe dessus comme ça et mieux vaut ne pas être en dessous… Par ici, un enfant perd bien vite une jambe, un bras, le sourire. Par ici, une femme perd bien vite un enfant, perd un mari, perd pied. Par ici, on n’a plus grand-chose à perdre. On fait des enfants, ça redonne le sourire car, petits, ils ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés… Je t’écris pour que tu saches où nous en sommes, où j’en suis, ici et pourquoi je ne suis pas là-bas avec toi. Ma lutte, c’est rester. Ma lutte, c’est rester joyeuse. C’est rire dès que l’occasion se présente. C’est faire la fête aussi c’est résister.
Avec lucidité et une certaine tristesse bien compréhensible, Osloob raconte: » Je suis Palestinien, je suis né au Liban, ça fait quatre ans que je suis en France, je suis musicien, je rappe et je chante un peu. J’ai étudié le chant religieux quand j’étais petit. Et maintenant, je mélange ça avec la musique de jazz, de rap, et quoi d’autre encore.. Je suis réfugié en France, j’ai demandé l’asile, y a quatre ans, ouais. Ma famille est partie de Palestine en 1948. Ils ont été en Irak d’abord, après en Jordanie, à la fin, au Liban. Ils étaient obligés de partir parce qu’ils étaient de Jaffa, et Jaffa c’était la première ville occupée par par la milice sioniste. » (…) « Moi, je suis né dans un camp de réfugiés dans la banlieue de Beyrouth. Je suis né pendant la guerre du camp et les bombardements. L’armée syrienne faisait le siège du camp. Tu sais: avant pour moi ou pour nous, les Palestiniens, c’était comme un morceau de Palestine mais pas en Palestine. C’est pour ça que je voulais savoir ce qui se passait là-bas, comment les gens pensaient, comment ils vivaient. C’était vraiment un truc nécessaire pour moi. »
Très bonne direction d’acteurs, qualité des images, texte poétique en arabe surtitré, et en français sur le thème de ce grave conflit qui ne cesse de poursuivre les pays occidentaux… qui ont colonisé la région sont les atouts de ce futur spectacle où la musique joue aussi un rôle important: “Je suis devenu musicien par hasard, dit Osloob, j’aimais bien les vinyles, j’aimais bien le son, les cassettes, j’aimais bien tout ça, même si j’étais pas musicien. C’est venu avec mon grand-frère, il écoutait beaucoup de jazz, de rap, du rock, des chansons palestiniennes. À la maison, il mettait tout le temps de la musique, n’importe quoi. Il a allumé le truc dans mon cerveau. J’ai commencé par écrire un peu des paroles, puis j’ai trouvé un logiciel pour faire du son sur ordinateur. Après, j’ai appris les notes. »
Elsa Hourcade nous a présenté quelques extraits de ce futur spectacle d’un peu plus d’une heure: ils donnent une bonne idée de la saveur poétique du texte d’Yvan Corbineau.
Philippe du Vignal
Culture Commune/Fabrique Théâtrale, Base du 11/19, rue de Bourgogne, Loos en-Gohelle (Pas-de-Calais). T. : 03 21 14 25 35, du lundi au vendredi de 8h30 à13h et de 14h à 18h (plus tard si manifestation). Ouvert aussi le week-end, lors de manifestations.
Le premier des textes de La Foutue Bande est édité chez Un Thé chez les fous, Toulouse, 2019