La Mégère apprivoisée de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini
La Mégère apprivoisée de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini
Une version réduite de la célèbre pièce… La metteuse en scène convoque cinq personnages seulement sur le plateau auxquels les autres, filmés, donnent la réplique. Ce savant mélange de théâtre et de cinéma, allié à un style résolument burlesque, renoue avec la simplicité du théâtre de tréteaux.
Hortensio venu faire ses études à l’Université de Padoue, craint de ne pouvoir épouser la belle Bianca, fille cadette du signore Baptista qui veut en effet d’abord marier son aînée, la colérique et indomptable Catharina. Quand survient Petruccio, un marchand ruiné originaire de Vérone, cherchant fortune et femme. En conquérant le cœur de Catharina, il mettrait la main sur une belle dot… Encore faut-il l’apprivoiser mais il s’y emploiera avec fermeté et succès. Immortalisée par le réalisateur Franco Zeffirelli en 1967 avec le fameux duo Elisabeth Taylor-Richard Burton, cette comédie, revue par Frédérique Lazarini et située ici dans l’Italie des années cinquante, rend hommage à la grande époque de Cinecitta.
Quelques bancs en bois blanc, un écran, un vieux projecteur à l’avant-scène, des bruits de basse-cour. Nous voilà sur une place de village pour une séance de cinéma en plein air. Bianca et Catharina apparaissent dans un film en noir et blanc. Le réalisateur Bernard Malaterre retrouve le grain de pellicule contrasté du cinéma néo-réaliste et les comédiennes, le ton et les mimiques. Quelques intermèdes avec réclames et bandes-annonces de péplums de l’époque : du kitch à souhait… Des jeunes filles, seule, Catharina, la méchante, se produira sur scène, laissant sa sœur parler à son soupirant du haut de l’écran.
Cette adaptation de la pièce ainsi resserrée et épurée se focalise sur la tigresse et son dompteur et, au-delà de la guerre des sexes et de la violence masculine, traite de la soumission amoureuse de Catharina, interprétée dans toutes ses contradictions par Sarah Biasini. Petruccio (Cédric Colas, énergique et à la virilité… brutale. Pierre Enaudi est un Hortensio bon enfant, face à Bianca (piquante et cinégénique Charlotte Durand-Rauchern). L’excellent Maxime Lombard en signore Baptista a l’allure de Raimu italien…
Des draps blancs contre lesquels pendent, ton sur ton, caleçons et chemises, délimitent l’aire de jeu. Cette élégante scénographie figure l’enfermement de la femme ménagère dans l’espace domestique… Un rôle que refusait de jouer Catharina l’insoumise, avant de succomber aux assauts de son mari. On accorde à William Shakespeare des intentions vertueuses et en phase avec notre modernité, quand il donne le rôle-titre à une rebelle vent debout contre les autorités patriarcales de son temps. Pourtant, il n’hésite pas à clore sa pièce avec un texte misogyne, assumé par l’héroïne métamorphosée en épouse obéissante.
Frédérique Lazarini, elle, ne laisse pas la pièce se terminer sur cette leçon édifiante et Catharina aura le dernier mot en citant Virginia Woolf. La romancière britannique évoque, dans Une Chambre à soi, la «sœur merveilleuse de Shakespeare». Une écrivaine n’aurait jamais tenu de tels propos, dit-elle, et exhorte les femmes à prendre «l’habitude de la liberté et le courage d’écrire exactement ce que nous pensons». Ce réjouissant et malicieux spectacle , répond au vibrant appel de Virginia Woolf. A voir donc.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 12 mai, Artistic-Théâtre, 45 bis rue Richard Lenoir, Paris (XI ème).T. : 01 43 56 38 32
Delphine Depardieu interprétera Catharina sur scène et à l’écran du 12 mars au 12 avril et en alternance avec Sarah Biasini à partir du 14 avril.