Liberté à Brème de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Cédric Gourmelon


Capture d’écran 2020-03-04 à 12.30.24©  Simon Gosselin

Liberté à Brème de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Philippe Ivernel, mise en scène de Cédric Gourmelon

Un fait divers inspira le dramaturge allemand: la veuve Miltenberger fut décapitée en 1831 à Brême pour avoir empoisonné quinze de ses proches… Dans la pièce, Geesche Gottfried, une jeune bourgeoise de Brême vit sous l’emprise totale de Miltenberger, son mari. Porté sur le schnapps, violent il la maltraite et l’injurie en permanence. Elle ne dit rien, prie constamment Dieu mais les proches de Geesche vont tous mourir les uns après les autres, même sa mère et ses enfants… Empoisonnés par elle !  « Vous prendrez bien un café? ” Et l’arsenic fera vite son effet…

 Ce que Rainer Werner Fassbinder (1945-1982) va raconter avec cette pièce en dix-sept tableaux. Cinéaste célèbre et infatigable (quarante films en une dizaine d’années), il est aussi, ce que l’on sait parfois moins, un excellent dramaturge et cette pièce a été aussi mise en scène par lui à Brême en 1971, la même année où était aussi montée par Les Larmes amères de Petra von Kant qui, ensuite a été souvent jouée en France et l »année suivante, il tirera aussi un téléfilm.
Fassbinder y parle avec lucidité -pas loin de Gustave Flaubert, Guy de Maupassant et Claude Chabrol qui l’ont sans doute influencé- de la bourgeoisie provinciale allemande où règne l’intolérance et tout ce qui empêche l’émancipation des femmes: hypocrisie, alcool,  fascisme ordinaire de la religion et autoritarisme masculin. Triste constat d’échec pour Geesche  brutalisée qui a perdu toutes ses illusions et qui se traduira par ce terrible mot de la fin: «A moi de mourir, maintenant! » Comme dans ses films où il a créé des personnages féminins mythiques: Maria Braun, Effi Briest et Lale Andersen incarnées par Hanna Schygulla mais aussi Lola et Petra von Kant.

Pour une fois, la violence revient en boomerang sur les hommes violents et en ces temps de Mi-tout, les féministes  peuvent se réjouir de voir mise en scène une telle pièce.  “C’est un auteur explosif, dit Cédric Gourmelon, il veut faire péter toutes les conventions bourgeoises, et pour lui, ce n’est pas à l’échelle sociale que cela se déroule, c’est à l’échelle de l’intime ». C’est à dire la remise en question du mariage, des liens familiaux et de toute l’hypocrisie qui va avec ça. »

La pièce avait été créée en France à la Comédie de Caen, où nous l’ avions découverte en 1975, dans la mise en scène de Claude Yersin et Michel Dubois. Puis, elle fut montée par Jean-Louis Hourdin en 83 au festival d’Avignon. Cédric Gourmelon qui a déjà plusieurs mises en scène à son actif dont Tailleurs pour dames, de Gorges Feydeau, a du mal à imposer une bonne vision de la pièce. Sur un grand plateau au sol noir, un plus petit avec juste un canapé, une table, quelques chaises; en fond de scène, une grande fresque dessinée en blanc sur noir avec un Christ crucifié et une vierge Marie devant lequel Geesche va prier régulièrement. A cour et à jardin, des chaises où les acteurs qui ne jouent pas la scène viennent s’asseoir… Un vieux procédé des années soixante-dix usé jusqu’à la corde! Pour montrer une certaine distanciation chère au grand Brecht  qui a aussi influencé Fassbinder?  Dès le début, ici, rien n’est vraiment dans l’axe: espace noir sur noir, surlignage, criailleries ou  chuchotements à peine audibles, direction des plus floues, pénombre presque permanente: sans doute pour dire aussi la noirceur de la situation?  Rythme poussif…

Gaël Baron, Guillaume Cantillon, Valérie Dréville, Christian Drillaud, Nathalie Kousnetzoff, Adrien Michaux, François Tison, Gérard Watkins  font ce qu’ils peuvent mais, rien à faire, la pièce, qui mérite beaucoup mieux, peine à s’imposer dans une mise en scène trop approximative. Cédric Gourmelon est passé à côté du texte et même la grande Valérie Dréville ne semble pas vraiment à l’aise, du moins au début et cette heure et demi parait interminable. Dommage, la voix du grand dramaturge allemand reste précieuse à entendre. A Gennevilliers où le plateau est plus petit, les choses pourraient sans doute s’arranger: on devrait entendre et voir un peu mieux mais, trop tard, il n’y aura sans doute pas de miracle… A vous de décider.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Centre culturel Marcel Carné, place Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) le 27 février.

T 2 G, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis) du 23 au 30 mars.  

 

 


Archive pour 5 mars, 2020

Kadoc de Rémi de Vos, mise en scène de Jean-Michel Ribes

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Kadoc de Rémi de Vos, mise en scène de Jean-Michel Ribes

La pièce avait été mise en scène par Michel Vuillermoz avec les élèves-comédiens de la Comédie-Française au Studio-Théâtre, seulement trois jours en juillet 2015 et festival d’Avignon oblige, nous ne l’avions pu la voir. Rémi de Vos est maintenant un dramaturge reconnu (voir Le Théâtre du Blog) avec, entre autres,  Jusqu’à ce que la mort nous sépare, Sextett, Débrayage, Occident ou récemment Toute ma vie j’ai fait des choses que je savais pas faire… et Trois Ruptures où des couples sont sur le point de rompre; si dans Kadoc, il y a aussi trois couples dont la vie des maris est en conflit permanent avec celle de l’entreprise où eux travaillent mais pas leurs épouses…

Autoritarisme de la direction, salariés proches de l’épuisement et/ou prêts à toutes les bassesses, violents conflits de personnes obligés de cohabiter, alors qu’elles n’ont pas grand chose en commun, pressions constantes de la direction, voire chantage déguisé pour réussir à augmenter les ventes, impression d’étouffer, manque total de solidarité entre collègues, jalousies exaspérées et vieilles haines remontant parfois à plus de vingt ans, peur d’échouer,  dénigrements réciproques. Bref, on est tout près d’une folie programmée… Et  à la maison, ce n’est guère mieux : grande fatigue et solitude de gens pourtant mariés… Rémi de Vos, comme Michel Vinaver, connaît bien le monde de l’entreprise et c’est le thème de plusieurs de ses quelque trente pièces dont cette comédie féroce. «Le monde du travail, Rémi De Vos ne le moralise pas, dit Jean-Michel Ribes, il n’en tire ni leçon ni message, bien mieux, il nous en dévoile son extravagante absurdité. »

Chacun des maris travaille dans l’entreprise Krump mais à des postes différents. Wurtz, patron très autoritaire essaye mais en vain, de motiver ses collaborateurs pour vendre un produit invendable : le Karflex. «Le dossier de trop, le point de rupture. Le viatique pour passer de l’autre côté » dit l’auteur. Mais à la maison, Wurtz devient un ectoplasme et obéit au doigt et à l’œil à une épouse bipolaire, insupportable, et aux réactions imprévisibles… Nora possède un bon répertoire d’injures qu’elle lui envoie… avant de se jeter dans ses bras et de lui déclarer qu’il est «son tout petit amour. » Jamais avec toi, jamais sans toi!  On n’est pas très loin de Feydeau : « Lucienne: « Marié ! vous êtes marié !…Pontagnac : « Oui… un peu.. ! »
Il y a aussi Hervé Schmertz un collaborateur terrorisé par Wurtz et obsédé par une hallucination récurrente que sa femme Judith sa femme n’arrive pas à comprendre. Là, on n’est pas très loin de Franz Kafka… «Mon bureau est occupé par quelqu’un d’autre. » « Il était petit et tout à fait grotesque. » (…) « Il boitait. Il m’a fait penser à un singe.» Mais Wurtz  se moque sans arrêt de lui, l’injurie et va le remettre sèchement d’équerre : «Il ne s’agit pas de votre bureau. Quand vous partirez de chez Krump, vous n’emporterez pas votre bureau. »

Et Serge Coulon, un cadre très ambitieux, lui, traite tout le monde de con. Marié à la jeune  Marion que Wurtz rencontre dans un supermarché et qu’il l’invite à dîner avec son mari. Ce qui ne plait pas du tout à Nora qui va le lui reprocher vertemen? Goulon, lui, commence à divaguer et imagine déjà que cette invitation est un prétexte pour lui proposer discrètement un très haut poste. Même s’il n’aime pas trop le risotto : « Quand on veut réussir, il n’y a pas de risotto qui tienne. » 

Le dîner aura bien lieu mais tournera vite au cauchemar et les relations se détériorent sérieusement : Goulon : « Bon, moi, j’ai terminé. » Wurtz : « Vous en voulez encore ? Du risotto de ma femme.  » Goulon : «Non merci. Wurtz : «Il en reste. Vous pouvez en reprendre si vous voulez. » Goulon : « Je vous ai dit non. Quand je vous dis non, c’est non. Vous le savez, ça ? » Les deux hommes en arriveront à sa battre et pour couronner ce mémorable repas, quiproquo absolu: en fait Wurtz s’est trompé sur l’épouse quand  il  était au supermarché-  et le couple Schmertz  débarque au moment du dessert….

On oubliera vite la scénographie assez prétentieuse signée Sophie Perez, d’inspiration surréaliste entre Yves Tanguy et Salvador Dali. La circulation se fait mal dans ce dispositif assez laid avec étage et escaliers: cela ralentit le rythme de la pièce qui, au début, n’avait pas besoin de cela. Mais la direction d’acteurs de Jean-Michel Ribes est très fine: il a su réunir et faire travailler ensemble une équipe d’excellents acteurs : d’abord et surtout Marie-Armelle Deguy, en épouse délirante. Dès qu’elle apparaît, on ne voit plus qu’elle : une grande leçon de théâtre. Avec une gestuelle remarquable, elle reste toujours crédible dans ce rôle pas facile et sait ne jamais en faire trop. En chaussures rose foncé et veste écossaise, Jacques Bonnaffé est tout aussi éblouissant; il a quelque chose de loufoque et de poétique à la fois, en patron-tyran. Gilles-Gaston Dreyfus est hors-pair en Goulon, ce cadre très ambitieux, pas sympathique ni très regardant quant il s’agit de sa petite carrière. En mini-jupe de cuir rouge très sexy, Anne-Lise Heimburger (Marion Goulon) a une magnifique présence et est aussi très juste. Dans le couple Schmertz (Caroline Arrouas et Yannick Landrein à l’incroyable démarche) jouent parfaitement sa différence générationnelle et on le sent perdu dans un monde qui n’est pas- ou pas encore!- le sien.

Bon, cela dit, les dialogues patinent pendant toute la première partie qui mériterait d’être sérieusement élaguée. On se demande même si l’auteur va réussir à mettre les choses en place. Malgré quelques bonnes scènes entre mari et femme, notamment chez les Wurtz avec une très âpre discussion à propos du futur dîner  et un concours d’injures cinglantes chez les Goulon sur les graves manquements de l’un et l’autre à la morale: un morceau d’anthologie qui fera sans doute le bonheur des apprentis-acteurs… Et puis, miracle, arrive le fameux dîner où tout va se détraquer comme souvent au théâtre -sinon, il n’y aurait pas de pièce- et là on rit vraiment et de plus en plus, de cette folie totale qui, comme chez Feydeau atteint les quatre puis les six personnages. Le rire, une denrée de plus en plus rare dans le théâtre contemporain… Et cela fait du bien. Jean-Michel Ribes a réussi à mettre en valeur les répliques vachardes et les relations compliquées entre ces trois couples, imaginées par Rémi de Vos. Malgré la faiblesse du texte au début, le spectacle vaut le coup: allez-y, vous ne le regretterez pas. Et encore une fois, mention spéciale à Armelle Deguy et à Jacques Bonnaffé.

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T : 01 44 95 98 21.  

 

 

 

 

 

 

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