Melle Julie-meurtre d’âme, de Moni Grego,d’après August Strindberg,mise en scène de Roxane Borgna
Melle Julie-meurtre d’âme, texte de Moni Grego, d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg, mise en scène de Roxane Borgna
Le grand auteur suédois est emblématique du théâtre naturaliste. Ce qui prend un sens très profond, quand on inclut ses propres glissades vers la folie, avec ses mémoires Fils de la servante. Il connaît bien les différences sociales et la lutte des classes et comment elles forgent ou minent les âmes. Sa Julie est certes la fille de Monsieur le Comte mais aussi d’une mère artiste, donc « déclassée ». La situation qu’elle va affronter, est donc plus dangereuse pour elle, et pas moins scandaleuse. Pendant la très païenne nuit de la Saint-Jean, Julie séduit Jean, le valet de Monsieur le Comte.
Double perte, comme patronne et comme femme. Une fois qu’un homme «qui n‘est qu’un homme», autrement dit, un être aux courtes pulsions. Quand il l’a “eue“, elle perd de sa valeur, à moins de faire une bonne caissière d’hôtel, d’oublier ses origines pour n’être plus qu’une réclame à jamais déclassée. Mais Julie et Jean le savent bien: cette apothéose amoureuse et bourgeoise ne fonctionnera pas : elle, la“fin de race“, ne sait rien faire et lui, le valet, trop occupé par son travail, n’a pas de temps pour l’amour.
August Strindberg avait placé en observatrice, en mètre-étalon de la vie sociale, le personnage de Christine la cuisinière, raisonnablement fiancée à son camarade de travail. Elle marche sans illusions sur le droit chemin d’une vie qui s’améliorera sans doute quand elle quittera le statut de domestique pour monter, avec Jean, vers celui de commerçants. Le tout, avec le soutien d’une morale qui la place au-dessus de cette dévergondée de jeune Comtesse…
Moni Grego et Roxane Borgna n’ont pas voulu de cette version, même si elles ont repris le sous-titre d’origine: Meurtre d’âme. Elles ont éliminé Christine et le poids de situations qu’elle porte, pour garder la seule tragédie de Julie. La lutte des classes se concentrant alors sur une «danse de mort» entre la fille du comte et le valet. L’auteure et la metteuse en scène adorent la pièce et le personnage de Julie, au point de les dévorer passionnément, de les vampiriser pour aller chercher très loin son âme dans son corps.
Roxane Borgna a poussé le bouchon encore plus loin, en déconstruisant la pièce de Moni Grego qui, elle-même a déconstruit la pièce de Strindberg. Restent Julie et Jean, joués et dansés (chorégraphie de Mitia Fédotenko) par Roxane Borgna et Jacques Descordes. Corps et âmes? Le corps est l’âme, tourmentée par de belles et troublantes images de Marie Rameau passant à l’écran -décor et unique miroir que traverse Julie- à la vitesse de la réminiscence et de l’inconscient, appuyée par un travail sonore précis et tendu.
Au fil du jeu, la caméra de Laurent Rojol prend le dessus, s’attache de très près au visage de la comédienne. Inconvénient : un procédé devenu banal et qui a le tort d’éloigner notre regard, du jeu des corps –pourtant magistral-, au profit du seul visage. L’âme, le spectacle nous l’a dit jusque là, ne loge pas que dans les yeux… On peut être respectueux des textes : au-delà, au-dessus du respect, il y a cet amour fou de ces deux femmes pour une pièce qu’elles éclatent, mettent en pièce, émiettent et, encore une fois, dévorent –et à qui elles se donnent- jusqu’à l’épuisement. Et ce don n’a pas de prix.
Christine Friedel
Spectacle vu au Théâtre de la Girandole, 4 rue Edouard Vaillant, Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Tournée en cours d’élaboration. nuit@yahoo.fr
Suis-je encore vivante, texte de Grisélidis Réal, mis en scène de Roxane Borgna, à La Scierie, festival d’Avignon 2020.