Après la fin, de Dennis Kelly, mise en scène de Maxime Contrepois

 

Après la fin, de Dennis Kelly, traduction de Pearl Manifold et Olivier Werner, mise en scène de Maxime Contrepois

 9976D41F-BF81-4CF1-B7F2-70597F0AF66CDehors, c’est la catastrophe : une explosion nucléaire. Dedans, en bas, dans l’abri où Mark a transporté Louise évanouie, c’est l’enfermement et la survie. De maigres rations, peu de lumière, aucune occupation, sinon un jeu de Donjons et Dragons dont elle ne veut pas. Et avant tout, la lutte pour la vie entre les deux personnages, plus tendue, plus dure avec les jours qui passent. D’ailleurs, fait-il encore jour quelque part ? Et si Mark ne l’avait pas «sauvée, mais séquestrée ? Et ce qu’il raconte des corps sanglants et noircis, dehors, n’était-il pas un fantasme emprunté aux récits d’Hiroshima? Et si Louise ne devait être que le témoin de l’angoisse de Mark devant la catastrophe annoncée ? Et si tout cela était seulement une drôle de manière pour dominer et posséder cette jeune collègue de travail qui l’aime bien mais qui ne l’aime pas Et si tout cela, en fait, révélait un dévoiement assombri du désir ?

Le jeune metteur en scène Maxime Contrepois dit poursuivre « une radiographie de la violence, de la façon dont elle circule entre les êtres et les révèle à eux-mêmes et aux autres ». Un théâtre de l’intime, auquel cette pièce se prête bien,  rejetant le monde “en haut“ et “dehors“ et rendant le temps à la fois pesant et sans repères… De quoi devenir fou, ou au moins laisser monter le fou que l’on porte en soi.  Les différentes séquences, séparées par un « bain de noir » et par des musiquettes électroniques chargées d’autodérision, expérimentent les rapports de force entre les deux partenaires. Ici, Mark, (Jules Sagot) sans cesse en train de s’excuser, pratique la tyrannie des faibles face à une Louise (Elsa Agnès) écorchée et agressive. Dans d’autres mises en scène de la pièce, on a pu voir, tout aussi justement, un Mark agressif –mais c’est encore le signe qu’il est conscient de sa faiblesse- face à une Louise froide, qui refuse d’entrer dans son jeu.

 Margaux Nessi a conçu un décor haut et ouvert qui montre  très bien mais  de façon surprenante, l’enfermement. Il fait songer davantage à un grenier où joueraient des enfants qu’à un abri antiatomique souterrain, et là est sa justesse. Ces jeunes adultes, surtout lui, sont encore pétris des terreurs de l’enfance et de ses affabulations ; ils sont  hésitants sur la passerelle, rendue plus fragile par ce huis-clos, entre  réel et fantasme.

After the end  (le titre n’était pas traduit) a été créée, en 2012, par Olivier Werner, avec Pearl Manifold et Pierre-François Doireau, au Festival des Caves à Besançon. Le public partageait avec eux le même bunker, espace confiné et cela devait jouer avec force sur les émotions partagées. Mais la pièce a le pouvoir de suivre plusieurs pistes, comme l’ont montré trois mises en scènes récentes, par Baptiste Guiton au T.N.P. à  Villeurbanne, il y a un an (voir Le Théâtre du blog), par Georges Lini en Belgique et enfin par Catherine Javaloyès à Strasbourg.

La mise en scène de Maxime Contrepois, physique et au plus près des mouvements intérieurs des protagonistes avec ce qu’il faut d’enfance, fonctionne très bien. Et même s’il s’en défend, ici la pièce entraîne d’autant mieux son lot de métaphores, et surtout en ces temps de rumeurs, de confinement, d’angoisse de la catastrophe.

On ne vous racontera pas ce qui se passe « après la fin », où l’utilisation de la vidéo prend un sens qu’elle n’avait pas dans le corps de la pièce (où elle est du reste peu présente) : le « combat des cerveaux » a ici assez de force pour se passer de gros plans. À voir, précisément pour ce duel d’acteurs, sensibles et puissants. Et pour la part de naïveté (c’est un compliment) qu’assume la mise en scène.

Christine Friedel

La pièce a été jouée jusqu’au 14 mars, au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, (Paris XIV ème).  T. : 01 43 13 50 50

Le texte de la pièce est publié aux éditions de l’Arche.


Archive pour 18 mars, 2020

Penthésilée, d’après Heinrich von Kleist, mise en scène de Sylvain Maurice

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Penthésilée, d’après Heinrich von Kleist, traduction de Ruth Ortmann et Éloi Recoing, mise en scène de Sylvain Maurice

La jeune reine de Amazones porte le poids d’une nation massacrée et d’une tradition de fer. Fini, plus d’hommes.  Si les femmes veulent perpétuer leur communauté,  elles devront aller chercher sur le champ de bataille le guerrier qui incarne pour elle le dieu Mars fécondateur et devront le vaincre. Penthésilée entraîne sa troupe dans la guerre de Troie, mais seulement pour trouver celui qui lui est destiné, l’unique Achille. Lui, subjugué, feint de tomber à ses pieds. Insupportable fraude : Penthésilée, folle de rage devant cette tromperie qui détruit sa victoire en même temps que son amour, se déchaîne et dévore celui qui lui était promis.

Cela ressemble à une histoire très lointaine et très barbare, et pourtant… La pièce renvoie avec force à la question de l’identité que forge pour chacun le poids de l’histoire. Penthésilée  mourra en rejetant les lois si dures, si draconiennes de la lignée de femmes dont elle est née et dont, responsable, elle porte la couronne. Question urgente aujourd’hui où l’on assiste à une revendication de groupes resserrés autour de leur identité, au détriment de la liberté individuelle et très clairement, de la liberté d’expression.

L’aujourd’hui de la tragédie, Sylvain Maurice l’a cherché dans une forme d’oratorio dont il a confié le texte à Agnès Sourdillon qui passe du récit, au jeu, dans le rôle d’un rhapsode au charme puissant. Il a réuni autour d’elle un chœur, iquatre musiciennes et deux musiciens, différents les uns des autres : Janice in the Noise vient du jazz, Mathilde Rossignol, du chant lyrique, Ophélie Joh, de la danse et de la comédie musicale, Julieta, du beatbox comme Paul Vignes, multi-instrumentiste et polyglotte des formes musicales, le tout sous la rythmique du bassiste et compositeur Dayan Korolik. Cela nous vaut une interprétation ultramoderne de la tragédie, à la fois sensible et cérébrale, toutes ces disciplines musicales étant tenues ensemble avec une rigueur de puriste et une force créative unique.

Le revers de cette rigueur ? Le spectacle laisse aux mots seuls ce moment trouble qui est au cœur de la dramaturgie de Kleist.  Dans ses autres pièces, le prince de Hombourg s’égare dans une crise de somnambulisme où il se voit couronné avant la bataille et où le réel –le gant de sa fiancée- vient s’imprimer dans le rêve. Et la petite Catherine de Heilbronn et le comte von Strahl se sont–ils connus dans un autre espace-temps ? Le moment de ravissement de Penthésilée, dévorée par une absence meurtrière, manque à la représentation. C’est le défaut des qualités de ce spectacle…

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines- Centre Dramatique National.

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