Penthésilée, d’après Heinrich von Kleist, mise en scène de Sylvain Maurice

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Penthésilée, d’après Heinrich von Kleist, traduction de Ruth Ortmann et Éloi Recoing, mise en scène de Sylvain Maurice

La jeune reine de Amazones porte le poids d’une nation massacrée et d’une tradition de fer. Fini, plus d’hommes.  Si les femmes veulent perpétuer leur communauté,  elles devront aller chercher sur le champ de bataille le guerrier qui incarne pour elle le dieu Mars fécondateur et devront le vaincre. Penthésilée entraîne sa troupe dans la guerre de Troie, mais seulement pour trouver celui qui lui est destiné, l’unique Achille. Lui, subjugué, feint de tomber à ses pieds. Insupportable fraude : Penthésilée, folle de rage devant cette tromperie qui détruit sa victoire en même temps que son amour, se déchaîne et dévore celui qui lui était promis.

Cela ressemble à une histoire très lointaine et très barbare, et pourtant… La pièce renvoie avec force à la question de l’identité que forge pour chacun le poids de l’histoire. Penthésilée  mourra en rejetant les lois si dures, si draconiennes de la lignée de femmes dont elle est née et dont, responsable, elle porte la couronne. Question urgente aujourd’hui où l’on assiste à une revendication de groupes resserrés autour de leur identité, au détriment de la liberté individuelle et très clairement, de la liberté d’expression.

L’aujourd’hui de la tragédie, Sylvain Maurice l’a cherché dans une forme d’oratorio dont il a confié le texte à Agnès Sourdillon qui passe du récit, au jeu, dans le rôle d’un rhapsode au charme puissant. Il a réuni autour d’elle un chœur, iquatre musiciennes et deux musiciens, différents les uns des autres : Janice in the Noise vient du jazz, Mathilde Rossignol, du chant lyrique, Ophélie Joh, de la danse et de la comédie musicale, Julieta, du beatbox comme Paul Vignes, multi-instrumentiste et polyglotte des formes musicales, le tout sous la rythmique du bassiste et compositeur Dayan Korolik. Cela nous vaut une interprétation ultramoderne de la tragédie, à la fois sensible et cérébrale, toutes ces disciplines musicales étant tenues ensemble avec une rigueur de puriste et une force créative unique.

Le revers de cette rigueur ? Le spectacle laisse aux mots seuls ce moment trouble qui est au cœur de la dramaturgie de Kleist.  Dans ses autres pièces, le prince de Hombourg s’égare dans une crise de somnambulisme où il se voit couronné avant la bataille et où le réel –le gant de sa fiancée- vient s’imprimer dans le rêve. Et la petite Catherine de Heilbronn et le comte von Strahl se sont–ils connus dans un autre espace-temps ? Le moment de ravissement de Penthésilée, dévorée par une absence meurtrière, manque à la représentation. C’est le défaut des qualités de ce spectacle…

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines- Centre Dramatique National.

 

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