La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène d’Ivo van Hove

 

©Jan Versweyveld

©Jan Versweyveld

La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, traduction d’Isabelle Famchon, mise en scène d’Ivo van Hove

Une histoire de famille boiteuse, comme Laura, sa fille handicapée qu’Amanda, sa mère voudrait « bien marier » et protéger ainsi une fois pour toutes.
Son frère Tom travaille dans une usine de chaussures pour les faire vivre mais s’évade dès que possible au cinéma. Et clé de la pièce : chacun, dans ce «théâtre de la mémoire», se fait son cinéma. La mère, avec sa nostalgie aristocratique des beautés du Sud dont elle fit partie mais aussi des fringants prétendants qui l’entourait, Laura avec sa ménagerie de verre: des bibelots où elle projette sa fragilité et ce qu’elle a de précieux. Et Jim, l’ancien chanteur-vedette du lycée dont elle était  amoureuse en rêve, rendu le temps d’une soirée, à sa jeune gloire passée.

La Ménagerie de Verre n’a pas besoin d’une représentation réaliste et s’organise à partir du récit de Tom et de ses jeux de magicien: parier sur l’illusion pour arriver au vrai, plutôt que chercher à donner l’illusion du vrai. Ivo van Hove joue avec justesse entre l’ouverture vers le public et le confinement -on n’y échappera pas!- d’un appartement moche, bas de plafond et en sous-sol, avec un escalier qui s’échappe vers les hauteurs et la vie réelle pour Tom et d’où vient et où retournera Jim.

Les murs marron sont hantés de visages dont le portrait flou du flamboyant mari -simple employé du télégraphe et non prestigieux planteur- qui a abandonné épouse et enfants. Dans le fond, un petit espace cuisine enferme parfois la mère, comme au centre de sa toile d’araignée. Selon les vœux de l’auteur, un écran -ici, trop petit- est incrusté dans la paroi, face public, pour afficher la contradiction, au moins un commentaire ironique, avec bancs-titres et images, de ce qui se passe sur le plateau. Comme l’avait fait Jacques Nichet dans sa remarquable mise en scène en 2009 mais ici, cela ne fonctionne pas, même si la scénographie de Jan Versweyveld est d’une fidélité irréprochable à l’auteur et au texte.  Cette histoire de famille aurait besoin d’un cadre plus intime que celui de l’Odéon.

©Jan Versweyveld

©Jan Versweyveld

C’est pourtant l’écrin nécessaire à Isabelle Huppert qui vient souvent y jouer. Elle interprète Amanda, la mère, suivant une méthode presque « cubiste », en montrant, avec de grands-à plat, tantôt une facette tantôt une autre du personnage et de sa fonction. Un choix cohérent avec l’écriture de la pièce: Amanda complètement aliénée, inauthentique, est enfermée dans l’image de ce que doit être une mère aimante et dévouée, ancienne belle du Sud à la légendaire hospitalité mais aussi de la souffrance de cette pauvre femme abandonnée…

Amanda se fait son cinéma et il est juste que le rôle ait été confié à une actrice devenue (presque) l’incarnation même du Cinéma. Avec ses froufroutantes mousselines -parfaitement déplacées dans cet appartement oppressant et misérable- elle trouve peut-être une façon de tenir et de faire face. Encore un rôle ou peut-être un véritable engagement, entre autres, envers sa fille qu’il s’agit de protéger ? Le cas des jeunes, personnages et comédiens, est différent. Ils ont droit, eux, à leur authenticité. Nahuel Pérez Biscayart assume la double responsabilité de Tom, narrateur de la représentation mais aussi chargé de famille. Énergique, découragé, ironique, lui aussi trouve le moyen de tenir. Ce sera peut-être un peu plus difficile pour Jim (Cyril Guei) et Laura (Justine Bachelet), après leur moment d’illusion lyrique.

Jim revit, grâce à la mémoire de Laura, son moment de gloire, avant de retourner avec Tom à la fabrique de chaussures où ils travaillent. Laura voit se réaliser le rêve secret d’un premier amour de jeunesse, jusqu’au moment où la bulle et le malentendu éclatent.  Jim et Laura ne partageaient pas la même exaltation. Lui repart vers de nouvelles ambitions plus terre à terre et lui avoue qu’il est fiancé à une jeune fille, bonne ménagère. Et elle, se réfugie auprès de sa ménagerie de verre, symbole d’une beauté pure, fragile et stérile. Les trois comédiens sont excellents.

Ironie du sort : La Ménagerie de Verre, une pièce née de l’histoire familiale de Tennessee Williams, a d’abord pris la forme d’une nouvelle, puis d’un scénario qui, refusé par Hollywood, est devenu une pièce qui triompha à Broadway et enfin un film dont Tennessee Williams fut dépossédé: Hollywood en avait acheté les droits et en particulier, celui de clore le film par un inévitable happy-end… Sans ironie, cette fois, on peut se demander pourquoi Ivo van Hove qui utilise en général beaucoup le cinéma et l’image dans ces spectacles, au point quelquefois d’effacer les acteurs, n’y a, cette fois, pas eu recours. Ici, le spectateur doit se faire son film, hors-champ. Il a déjà sa vedette…

Christine Friedel

La pièce est reprise à partir du 19 mai au Théâtre de l’Odéon, Paris (VI ème).


Archive pour 21 mars, 2020

Illusions perdues d’après Honoré de Balzac, mise en en scène de Pauline Bayle

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Illusions perdues d’après le roman d’Honoré de Balzac, mise en scène de Pauline Bayle

 

C’est notre amie Christine Friedel qui devait faire l’article mais vu les circonstances… Et comme on ne verra pas ce spectacle avant, restons optimistes, plusieurs semaines… en voici déjà une première critique. Nous connaissons Pauline Bayle depuis douze ans et on sentait déjà chez elle une énergie, une présence scénique et une volonté d’en découdre peu courantes. Elle écrivit  et mis en scène une pièce en 2017 (voir Le Théâtre du blog ) et malgré et grâce à -ce n’est pas incompatible- une certaine maladresse, il y avait déjà une belle énergie. Puis, elle se décida à adapter et à mettre en scène L’Iliade puis L’Odyssée en une heure et quelque avec six acteurs. Deux courts mais brillants spectacles. Plateau nu, costumes non «d’époque» mais actuels: proches de ceux de notre quotidien, diction et gestuelle impeccables, jeu d’une grande précision, personnages  que l’on peut vite identifier même quand les femmes jouent des hommes, aucun accessoire, jeu très savant des lumières: c’est un ensemble d’éléments devenus en quelques années  un peu sa marque de fabrique…

Ce sont ces mêmes principes  qu’elle applique ici à cette mise en scène. Elle a éliminé le début assez bavard qui se passe à Angoulême et elle a eu raison. Illusions perdues reste sans doute le meilleur roman de Balzac mais c’est un pavé de quelque sept cent pages publié en trois parties entre 1837 et 1843, soit il y a déjà presque deux siècles avec Les deux Poètes, Un grand homme de province à Paris et Les Souffrances de l’Inventeur.  Mais il y a une extraordinaire qualité des dialogues, toujours aussi vivants et qui attirent les metteurs en scène de théâtre :  «C’est ignoble, mais je vis de ce métier, moi comme cent autres! Ne croyez pas le monde politique beaucoup plus beau que ce monde littéraire: tout, dans ces deux mondes, est corruption, chaque homme y est ou corrupteur ou corrompu.» Des répliques savoureuses dans la bouche des jeunes acteurs dirigés par Pauline Bayle et qui frisent parfois le mot d’auteur : « La polémique est le piédestal des célébrités. » Ou qui préfigurent déjà étrangement Sacha Guitry: «Quand une femme arrive à se repentir de ses faiblesses, elle passe comme une éponge sur sa vie, afin d’en effacer tout. »

Lucien Chardon, nous dit Balzac, est le fils d’un pharmacien et d’une aristocrate d’Angoulême et il se fait appeler Lucien de Rubempré, le nom de sa mère : ce qui sonne bien mieux! Il fréquente, avec Madame de Bargeton sa maîtresse, la noblesse de la petite ville. Mais ce poète en herbe ne se sent pas assez reconnu et le couple va alors «monter » à Paris. Tout de suite ou presque, et sans aucun état d’âme, elle plaquera Lucien, pas assez distingué à ses yeux pour la société aristocrate qu’elle fréquente. Mais il va tout faire pour s’en sortir et apprendra vite la leçon: grâce à la toute puissance du journalisme, on peut arriver à ses fins: à condition de n’avoir aucune scrupule et d’être prêt à se compromettre sur des affaires douteuses. «Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine. »

Le formidable pouvoir d’influence de la presse cachait en effet des arrière-cours peu reluisantes: coups bas, trafics d’influence, conflits d’intérêt dissimulés, pressions politiques diverses et variées. Tout cela permet de gagner cyniquement de l’argent et de mener une vie de luxe mais… se paye un jour… et très cher. Malheur aux beaux jeunes gens intelligents et ambitieux, avides de gloire littéraire comme Lucien de Rubempré qui ne savait pas -ou faisait semblant de ne pas savoir- que l’on «peut être brillant à Angoulême, mais presque insignifiant à Paris. »

Et il y a une règle du jeu intangible: celui qui pouvait broyer sans état d’âme ceux qui se croyaient puissants, le sera à son tour. Du Capitole à la roche Tarpéienne : le vieux proverbe latin est encore valable… Il vit dans le luxe belle -maison et domestiques- avec sa Coralie, mais quand cette petite actrice ne trouve plus de rôles et que Lucien se voit refoulé de toutes les rédactions, ils en seront vite réduits à la grande pauvreté et il n’y aura personne pour les aider. Ils comprennent que Paris est un monstre fascinant mais cruel : les beaux jours sont derrière eux et la seule issue pour Lucien est un retour humiliant à la case départ dans sa ville natale d’Angoulême qu’il avait tant voulu fuir!

Donc sur un plateau nu, dans un dispositif quadri-frontal: une bonne idée pour cette lutte à mort, le public quelque peu voyeur, assiste avec délectation à cette guerre en continu qui ne dit pas son nom. Les jeunes femmes jouent souvent les hommes mais  ce n’est pas réciproque. Un sacré marathon quand il faut incarner, le temps de courtes scènes, les quelque dix-sept personnages très différents imaginés par Honoré de Balzac. Lucien presque toujours sur le plateau, Madame d’Espard, Coralie une jeune et belle actrice, Camusot, Dauriat le libraire, Madame de Bargeton, Raoul Nathan un poète, … Toute une galerie de personnages qui donnent une idée assez pessimiste de cette vie parisienne que Balzac a si bien réussit à faire vivre. Pauline Bayle est une formidable directrice et ses acteurs sont tous excellents : Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja et surtout Jenna Thiam (Lucien) : mention spéciale à la présence de celle qui est pratiquement tout le temps sur le plateau. Ils arrivent grâce à un jeu efficace, rigoureux et précis, à nous faire entrer sans difficulté dans cette aventure balzacienne.

Adapter un roman au théâtre n’est pas chose facile et très souvent, les metteur(e)s en scène ont bien du mal à trouver la dramaturgie ad hoc. Pauline Bayle, forte de deux expériences précédentes avec Iliade et Odyssée a réussi un travail remarquable d’intelligence. Et tout s’enchaîne vite et bien. Mais le spectacle dure deux heures et demi sans entracte et même s’il n’y a aucune longueur, le public, disons assez branché du théâtre de la Bastille, montrait quelques signes de lassitude et quelques personnes sont sorties. On pourrait en fait éliminer sans dommage quelques scènes accessoires, ce qui gagnerait du temps.

Et attention, il ne faudrait pas que la syntaxe radicale que Pauline Bayle,  travailleuse infatigable, a mis au point avec ses acteurs : plateau nu, aucun décor, priorité au langage, adapté de textes littéraires, etc., ne tourne au procédé. Cela dit, à trente ans, elle est sans aucun doute une des meilleures metteuses en scène du théâtre français… Et, malgré les annulations actuelles, ce spectacle a encore de beaux jours devant lui.

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 mars au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème); les représentations jusqu’au 4 avril et du 6 au 10 avril, sont annulées, vu les circonstances.

Représentations prévues: La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime), du 14 au 16 avril ; Le Carré Belle-Feuille, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), le 21 avril ; Théâtre Liberté, Toulon (Var), les 28 et 29 avril.
Les 3 Pierrots, Saint-Cloud (Hauts-de-Seine),  le 5 mai ; La Garance à Cavaillon (Var)  le 7 mai.

 

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