Café Ulysse, spectacle librement inspiré de l’Odyssée d’Homère, mise en scène de Jean-Jacques Fedida
Café Ulysse, spectacle librement inspiré de L’Odyssée d’Homère, textes de Jean-Jacques Fdida et Francine Vidal, mise en scène de Jean-Jacques Fedida
Cela se passait juste avant les mesures de confinement drastiques dans la grande salle municipale de Romagnat ( sept mille habitants) à quelques kms de Clermont-Ferrand. Mais le spectacle est le plus souvent joué en plein air devant ce même petit café aux couleurs bleues comme on en trouvait encore il y a trente ans dans les îles grecques avant l’invasion touristique. Fait de bric et de broc avec chaises et petites tables rondes pour quelque cent spectateurs. Un décor bien conçu par Nicolas Diaz et tout à fait adapté au plein air comme à un espace fermé.
Les aventures d’Ulysse en Méditerranée servent de fil rouge mais il y a aussi de courts récits avec pour thème l’exil, l’identité, la petit maison natale mythique que l’on rêve de retrouver et des moments de vies actuelles comme celles d’une jeune Palestinienne, d’un réfugié, d’un paysan grec… le tout sur la musique parfois dispensée par un gros transistor. Mais sans folklore inutile. Le spectacle donne la parole à tous ceux qui ont un jour ou l’autre croisé Ulysse dans son long périple : Nausicaa, Circé, Pénélope… mais aussi le cyclope Polyphème, Télémaque, le chien Argos…
C’est comme une sorte de conte-feuilleton-patchwork avec de courts ou plus longs récits et quelques dialogues. Un texte habilement tricoté, traduit simultanée par un des acteurs, notamment en langue des signes, ce qui donne une belle résonance gestuelle à l’ensemble. « En mêlant à ces récits des récits contemporains, nous souhaitons mettre en perspective hier et aujourd’hui, pour mieux entendre à la fois l’Odyssée et nos destinées. »
Et on entend comme rarement, cette histoire invraisemblable et pourtant si juste et si vraie, mille fois adaptée notamment au cinéma et au théâtre, en BD et qui n’en finit pas de nous surprendre. Soit ici sur trois heures avec des pauses café, thé verre de vin rouge ou d’ouzo entre les deux parties, elle-même coupées par un petit dîner. On pose d’abord quelques jalons empruntés à L‘llliade, histoire de rafraîchir les mémoires du public. « L’histoire commence en Grèce, sur l’île antique d’Ithaque montagne rocheuse couverte de forêts, croissant fertile juché entre mer et ciel, reine de beauté au cœur de son archipel. Un jour, une rumeur s’est faufilée :-C’est la guerre ! Il faut aller faire la guerre à Troie ! La guerre pour qui ? La guerre pour quoi ?-Nous allons chercher Hélène. La plus belle des grecques ! Elle a fui avec son amant. Vous savez, quand une femme quitte sa maison, le monde s’effondre, c’est vrai. Mais ils allaient jusqu’à dire qu’Hélène qui s’en allait pour une autre nation, c’était de la haute trahison. On a même envoyé Ulysse, l’homme aux milles ruses, pour négocier la paix… Mais les Grecs ne voulaient pas renoncer à Hélène. »
Petit rappel aussi de personnages moins connus comme Euryloque. « Ce nom ne vous dit rien, hein ? Vraiment rien ? Il appartenait pourtant à la famille d’Ulysse. Il était son beau-frère et son second d’équipage, lui aussi avait grandi sur l’île escarpée d’Ithaque. Et il y a quelques courts textes additifs avec allusions à l’actualité : « Nous, dans ce village de Crète, nous sommes de vieilles famille et, avec des oliviers qui ont plusieurs siècles, nous faisons de l’huile d’olive. Mais, aujourd’hui, ils font une huile d’olive pas chère, européenne, qui n’a plus aucun goût. Résultat : la nôtre ne se vend plus… Même nos enfants s’en vont. Ils disent qu’ils veulent «un monde qui bouge ». Notre fille est partie vivre à Thessalonique et notre fils, au Portugal ou en Italie, je ne sais plus. »
Reinier Sagel, néerlandais, Francine Vidal, française et Fatimzohra Zemel, algérienne parlent tous le français mais Fatimzohra Zemel souvent l’arabe et un peu d’italien mais tous les trois le français et les deux actrices la langue des signes. Histoire sans doute de montrer que la Méditerranée est un creuset de langues dont les habitants en parlent tous un peu quelques-unes… Les comédiens -excellentes diction et gestuelle- ont une solide pratique du conte et les nombreux enfants et adolescents écoutaient avec une grande attention, cette réinterprétation du mythe d’Ulysse.
Côté mise en scène, c’est plus flou et disait notre grand maître Bernard Dort, il faudrait resserrer les boulons de cette mise en scène qui a déjà pourtant été jouée. Les allers et retours depuis l’intérieur du café sont artificiels et il y a des longueurs.Côté dramaturgie, pourquoi ces traductions simultanées permanentes en français ou en langue des signes qui ralentissent le jeu et forment un mille-feuilles d’informations pas ? Un clin d’œil de temps à autre aurait suffi. Il y a des moments comme le combat d’Ulysse et du Cyclope bien traités et vivants. Mais la rencontre et la vie d’Ulysse avec Circé puis Nausicaa, son retour dans sa chère Ithaque restent assez sommaires et sans grande poésie ni émotion. On ne “voit” pas vraiment le fameux massacre des prétendants par Ulysse ni le personnage de Pénélope. Dommage!
Et on ne comprend pas bien l’introduction assez artificielle de ces bribes de récits contemporains: cela ne fait pas vraiment sens et nuit à l’unité de l’histoire. Quant à ces pauses sympathiques, elles cassent le rythme. Comme ce repas qu’il aurait mieux valu servir sous forme plus légère et directement aux spectateurs. Ce qui aurait économisé beaucoup de temps. Cela dit, joyeux de ne pas être encore confinés, ils avaient l’air content d’être ensemble à écouter cette fabuleuse aventure mais ne se doutaient pas encore de ce qui l’attendait dans la semaine à venir…
Un spectacle est parfaitement rodé: il a beaucoup été joué notamment au Festival Chahuts, Bordeaux, à Chalon dans la rue In, à la Biennale urbaine du Spectacle, Romainville, à la Maison du Conte, Chevilly-Larue, au festival Les Arts du Récit en Isère, à La Minoterie, Dijon , au Théâtre du Rabot de Semur-en-Auxois, à la Fête de la Ville, Saint-Denis, à la Médiathèque de Riom. Mais il demanderait à être remis en forme c’est à dire… en scène. Ce récit par ailleurs très vivant, de la fabuleuse épopée d’Ulysse le mérite bien. “Il y a aura eu d’abord pour nous comme une fraîcheur d’eau au creux de la main. Après quoi, on est libre de commenter à l’infini” si l’on veut, écrivait Philippe Jaccottet dans L’Avertissement de sa belle traduction de L’Odyssée.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 14 mars à la salle des fêtes de Romagnat (Puy-de-Dôme).