A nos lecteurs

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Comme nous l’avions pressenti, à mesure que le coronavirus progressait en France, la menace de fermeture était bien là, et les réservations pour les salles de spectacles, tout genre et tous endroits confondus, diminuaient sérieusement. La solution: éviter d’atteindre le seuil des mille places pour les musées et les théâtres récemment prise par le gouvernement avait vite semblé bancale! Hier, à Paris, le grand Théâtre de l’Odéon avec La Ménagerie de verre de Tennessee Williams comme la Comédie-Française affichaient, heureusement, presque complet. Comme le Grand théâtre de l’Opéra de Bordeaux  mais il est obligé d’annuler la dernière représentation de Roméo et Juliette, les concerts, etc.

Mais depuis ce vendredi, radical changement de cap: toutes les écoles et les salles de plus de cent personnes, les grandes comme les moins grandes comme la Maison de la Poésie, sont fermées sur ordre du gouvernement à partir de ce soir, à Paris comme en banlieue et en province. Les petit théâtres parisiens semblent épargnés et celui de Belleville restera ouvert…Le Théâtre de Calanques à Marseille ne renonce pas à sa programmation mais prévient: « Nous réduisons la jauge à cent personnes, mettons à disposition du savon hydroalcoolique et désinfectons l’ensemble du théâtre avec un soin attentif. »

Mais où est ce fameux seuil? Est-on vraiment moins exposé aux risques de contamination dans une salle de cent personnes? Choisir de mettre un quota de jauge à ce chiffre dans les grandes salles? Bien compliqué et sans aucun doute pas très joyeux pour les artistes! Qu’il faudrait aussi inclure dans ce quota comme les techniciens, le personnel de salle et d’accueil. Bref, il n’y a guère, dans la pratique quotidienne, de solution vraiment efficace. Et il faudra encore que spectateurs et artistes puissent facilement se rendre dans les théâtres, puisque la semaine prochaine, la fréquence des transports en commun à Paris et dans la région sera limitée.

Et les annulations continuent à s’empiler partout en France… avec leurs effroyables conséquences économiques, surtout pour les acteurs et les techniciens, pour la plupart intermittents du spectacle. Le ZEF à Marseille a fait le choix « d’essayer de reporter à la saison prochaine -et non d’annuler dans la mesure du possible- l’ensemble de ces propositions. Quoi qu’il en coûte, nous mettrons tout en œuvre pour accueillir ces spectacles et honorer ainsi les contrats qui nous lient avec les compagnies et les intermittents. » Mais les reports de date sont souvent difficiles à mettre au point dans les programmations de la saison  suivante. Chaque établissement culturel gère au moins mal cette situation exceptionnelle qu’on ne prévoyait pas il y a seulement quelque mois.

La solution choisie pour les prochaine semaines par José-Manuel Gonçalvès, le directeur de cet immense espace très innovant qu’est le Cent Quatre à Paris: sauver ce qui peut l’être et les espaces habituellement librement ouverts ne seront pas accessibles, la Maison des petits et Emmaüs seront fermés comme le marché bio et les pratiques zen. Le Festival de la jeune photographie européenne CIRCULATION(S) et certaines propositions de Séquence Danse Paris seront maintenus mais dans la limite de cent personnes. Même limite pour les restaurants Le Grand central et Le Café caché, la boutique B’zz,  et le Cinq. »

Quant à nous, nous ferons de notre mieux pour continuer à vous rendre compte de l’actualité théâtrale restante et pour vous tenir informé pendant la période où  restera  en place cette interdiction. Merci de votre compréhension et de votre fidélité : la fréquentation de notre site, elle, ne fléchit pas: au moins, une toute petite mais bonne nouvelle…

Philippe du Vignal et l’équipe du Théâtre du Blog 


Archive pour mars, 2020

Anne-Marie la Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

Anne-Marie la Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

 

photo : Simon Gosselin.

photo : Simon Gosselin.

Bien consciente, Anne-Marie Mille sait qu’elle n’a jamais eu un physique  de cinéma. La consécration dont rêvent les acteurs est revenue à Giselle Fayolle, son amie proche des débuts. A sa mort, Anne-Marie évoque leur vie : l’enfance à Saint-Sourd dans le Nord, la chambre de la rue des Rondeaux… qui borde le cimetière du Père-Lachaise donc tout près du théâtre de la Colline où se joue la pièce, le théâtre de Clichy, les rôles qu’on leur a donnés: gloire et banalité à la fois.

La manière de faire le récit de cette expérience existentielle ressemble, dans son ressassement à celle de Thomas Bernhard évoquant la vie de théâtre… Et l’univers que décrit l’auteure, identifie une France d’en bas et témoigne de ces «vies minuscules»,  dont parle si bien Pierre Michon. Le théâtre de Saint-Sourd et sa troupe: la retraitée se fait un plaisir d’en nommer chaque comédien et le directeur, en égrainant distinctement les prénoms et noms, gravés à jamais dans sa mémoire.

Ce monologue raconte implicitement les chagrins et les joies du théâtre, la froideur des lumières, la scène sans mémoire, bref, une vie de grisaille mélancolique. Age, origines modestes, parcours de « petite » comédienne mais  Anne-Marie est lucide sur ses atouts et handicaps : « Toujours eu le spectre de la roue qui tourne/Tu commences petites gens et tu finis, petites gens. »

Emmanuel Clolus a conçu un espace aux jolis murs de couleur incertaine, avec, pour tout meuble, une méridienne sur laquelle l’ancienne actrice s’assied ou se repose, avec à ses côtés, un sac à main dont elle fouille le contenu chaotique. Sur les murs pourtant, surgissent inopinément des « êtres sans trait », des «figures d’incertitude », ombres esquissées, silhouettes croquées à la manière des Amoureux de Peynet, assises à un comptoir, recroquevillées ou bien debout et en mouvement, comme lancées dans leur marche urbaine, le long des rues du Paris à la fin du XIX ème siècle avec une énergie tourbillonnante.

Les personnages, en costume sombre et chapeau-melon, semblent s’animer, selon la progression savante du monologue d’Anne-Marie qui s’entretient avec elle-même, tout en s’adressant à un journaliste fictif pour de beaux entretiens imaginaires. Les: «vous savez »,  ponctués, s’adressent à Mademoiselle, Madame, Monsieur… Des personnages en vidéo apparaissent sur les murs, peints par l’artiste suédois Örjan Wilkström qui joue «de l’indécis, de l’harmonie et du chaos, du plaisir et de la souffrance ». Ses croquis de passants actifs exhalent les traces d’une existence silencieuse, toute en discrétion, menacée par la chute finale. Ce monde offert aux regards -condition modeste, pensées profondes et sensations fortes- sied admirablement à l’évocation intérieure d’Anne-Marie, un discours contrebalancé, par instants, par la musique de Laure Durupt d’après Bach et Brahms, une transcription pour la main gauche de La Chaconne en ré mineur.

André Marcon, acteur fidèle de Yasmina Reza- il a collaboré cinq fois avec elle depuis Une Pièce espagnole mise en scène par Luc Bondy, est Anne-Marie, avec toute l’humilité requise, la bonhomie et le sourire. Avec aussi toutes les possibilités de lecture et vers l’universalité de l’indifférence des genres. André Marcon joue, travesti, cette ancienne actrice -expérience et connaissance des épreuves- attentive à sa vie dont le fil se réduit. Significatifs: un discours indirect libre, l’importance relative des pensées et des soucis abordés et la confusion des niveaux de langue : « Au temps du Théâtre de Clichy, j’étais sa seule amie. Les autres étaient jalouses. Les hommes tournicotaient comme des mouches. Elle tombait amoureuse plusieurs fois par mois. A vingt-trois ans, elle était enceinte. Pendant deux jours, on s’est cassé la tête pour savoir quoi faire et puis elle a dit, allez hop ! Je le garde. Ça ne l’intéressait pas de connaître le père : « de toute façon il me fera chier. »

Le sentiment d’une fin prochaine, le constat d’une vie bien remplie, quoique mélancolique, le beau rôle de Clytemnestre à la longue chevelure mais… son partenaire qui jouait Agamemnon, exhalait l’oignon! Les emplois de confidente et les seconds rôles, la maternité : son fils lui rend visite sans jamais parler de lui ; un époux défunt… donc rassurant, la lecture dans les magazines des histoires de son amie Gisèle, toute en majesté, actrice confirmée et mère de famille. Anne-Marie vit seule, dans les souvenirs, autonome et responsable et elle n’espère rien qui ne soit sage et mesuré, préservant toutes les joies à la fois modestes et grandioses d’être sur une scène, même pour le plus petit acteur.

Eclairée sur le fait d’être au monde, elle saisit l’étoffe significative de la vie, heureuse d’avoir partagé un morceau d’Histoire et d’espace. Et nous recevons son expérience avec le sourire.

 Véronique Hotte

La Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème) (suspension actuelle des représentations pour cause de coranavirus) T. : 01 44 62 52 52.

 La pièce est éditée chez Flammarion.

SPRING, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie

SPRING, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie

Un événement annuel très suivi et populaire, coordonné par la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie/La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf avec soixante partenaires sur tout le territoire normand. Coréalisé par la Métropole Rouen-Normandie, c’est le premier festival international de cirque contemporain à l’échelle d’une région et sur cinq semaines. « Cette année, le cirque contemporain outrepasse désormais le cadre européen, voire strictement français, dit Yveline Rapeau, la directrice de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie. Il a longtemps été son creuset. » (…) On commence cette première escale par l’Australie, un pays-continent avec Gravity and others Myths ou Casus Circus. »

Les spectacles de cirque vont ici à la rencontre d’autres disciplines : danse, théâtre, musique, arts plastiques… Avec cette année, entre autres, douze  créations de jeunes talents mais aussi d’artistes confirmés : le Cirque Plume, Stéphane Ricordel, Mathurin Bolze, Rachid Ouramdane, le Groupe acrobatique de Tanger… Chaque édition est aussi l’occasion de mettre en lumière des parcours artistiques, avec plusieurs spectacles d’un  artiste ou d’une compagnie et de mettre l’accent sur une tendance, un courant ou une thématique.

 La Fabrication, une proposition de Jean-Baptiste André et Anne Quentin

 Cela se passe à Cherbourg même, dans l’ancien et immense hôpital des armées René Le Bas au très beau parc.  Dans un studio de l’ex-Institut des métiers du cinéma de Normandie parrainée par le réalisateur Jean-Pierre Jeunet, un institut disparu en 2010 après quelques années pour des raisons financières… En 2008, le Campus des métiers de la culture et multimédias s’est installé dans cet ancien hôpital et, sur ce même site, se trouve aussi maintenant l’Ecole des arts et médias.

Présentations : Jean-Baptiste André, ancien élève au Centre National des Arts du Cirque de Châlon-en-Champagne a, comme spécialité, les équilibres sur les mains et le travail du clown. Mais il  a souvent collaboré avec des auteurs comme Fabrice Melquiot ou des chorégraphes ou metteurs en scène: Philippe Découflé, Rachid Ouramdane, Arnaud Meunier… Il y a trois ans, il a mis en place, avec la complicité d’Anne Quentin, critique de spectacles et particulièrement de cirque, une soirée-table ronde où chaque saison, est abordée, de façon à la fois théorique et pratique, une thématique circassienne.

839A12800Avec un, ou une invitée. En 2017 Julia Christ, philosophe et spécialiste de la théorie critique sur le thème de l’équilibre, trait d’union entre le cirque et la danse. L’an passé, c’était le tour du  circassien Mathurin Bolze sur le thème du collectif et de la communauté. Il avait mis en scène de façon remarquable le travail de fin de promotion en 2017 au Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne (voir Le Théâtre du Blog). Et en 2019, Jean-Baptiste André reçut Dimitri Jourde, auteur et interprète. Et cette année, Jani Nuutinen, artiste de cirque finlandais qui vit et travaille depuis longtemps en France, notamment avec Intumus Stimulus, un solo de mentalisme sous chapiteau.

 «L’enjeu est d’imaginer avec cette invité (e) une mise en pratique de l’exercice dit Jean-Baptiste André.  Chaque table ronde prend ainsi une tournure différente, dans une démarche  résolument artisanale et récréative. » Et cela doit se passer une heure chrono. Jean-Baptiste André et Anne Quentin parlent du minimalisme au
Eternels idiots

cirque. C’est intéressant, parfois un peu bavard et Jani Nuutinen évoque son expérience circassienne et se livre à un remarquable solo de jonglerie avec une fourche au long manche. Au bout de laquelle il fait longuement tourner un cercle de métal qu’il fera ensuite tomber. Jani Nuutinen restant au milieu  de ce cercle qui continuera de tourner avec bruit, jusqu’au silence total. Minimaliste et d’une rare beauté. Puis, il nous fera écouter une chanson de Ghosteenn, du dix-septième album du groupe australien Nick Cave and the Bad Seeds,  sorti  l’an  passé. Une belle chanson,  dit-il qui l’a bouleversé.
Puis Jean-Baptiste André demandera aux quelque trente spectateurs de le rejoindre sur le plateau pour une séance de relaxation avec étirements… Une conférence-performance très inégale, une longuette mais sympathique…

 
Temps Instables, installation vidéo de Fred Leterrier

Au Point du jour, Centre d’art et éditeur, deux installations vidéo. La première dans une grande salle, des canapés fatigués en cuir vert foncé ou en tissu imprimé, des tables basses sans doute achetés chez Emmaüs où sont placés d’anciens postes de télévision ventrus, ou plus petits et cubiques des années  soixante-dix.Lesquels offrent des images pas très nettes où un cow boy ou plutôt une parodie de cow-boy (Grégory Guilbert) essaye de s’emparer du câble où évolue une belle funambule (Océane Pelpel).

Puis, dans une seconde grande salle vierge de tout meuble, nous retrouvons la funambule dont on voit sur de grands écrans, des détails  comme ses pieds sur le fil quand elle avance. De belles images -obscènes au sens étymologique du terme- et qui contrastent avec celles de la première salle, sans doute volontairement un peu fatiguées comme les meubles. “Le spectateur, dit Fred Leterrrier, perd ses repères, passe du sourire à la crainte, s’attache à ces corps qui refusent d’avancer, au risque de tomber.”

Nous n’avons rien ressenti de tout cela ni bien compris le propos exact de cette exposition en deux volets mais restent les très belles images de la seconde salle, tout à fait en accord avec le thème cette année du festival Spring…

Eternels Idiots par la compagnie El Nucleo, mis en scène d’Edward Aleman et Sophie Colleu

839A0826 La suite et fin de cette journée à l’Espace culturel de La Hague, une belle salle avec un vaste plateau où sont installés quelques cloisons en grillage avec des costumes. Et une grande marelle en forme de marelle qui servira de terrain de jeu pour cinq acrobates exceptionnels: Edward Aleman, Alexandre Bellando, Célia Casagrande, Cristian Forero, Fanny Hugo, Jimmy Lozano

 “La tension qu’elle porte en elle, entre l’innocence de l’enfance et la lourdeur de la matière qui la constitue, incarne les contradictions que traversent les adolescents et devient ainsi le fil rouge du spectacle. » (…) A l’origine de ce projet, disent les metteurs en scène, il y a l’envie de parler de l’adolescence d’aujourd’hui. Initié en immersion dans des collèges, le processus de création d’Eternels Idiots a été conçu au contact direct des adolescents, de leurs cultures, de leurs peurs et de leurs quotidiens. Et puis, parce que chacun ne se voit vieillir qu’à travers le regard des plus jeunes, ce grand bain de jeunesse nous a renvoyé à nous, notre rapport au temps et ce qu’il a de plus universel. Ce jeu de miroir est-il éternel ? » Vous avez dit un poil prétentieux?

La dramaturgie, avec parfois un texte en voix off, est franchement bancale (bon, un des acrobates s’est blessé et est même présent sur scène mais cela n’a rien à voir) et le spectacle en souffre. Heureusement, les numéros d’acrobatie sont d’une rare beauté: portés  sur les mains, voire sur sur la tête, portés dynamiques où deux acrobates propulsent un voltigeur debout sur leurs mains, sauts et figures sur une sorte de brancard-trampoline, équilibre avec diverses figures et acrobaties en équilibre sur les mains, la tête ou la marelle en fer, etc..  Les cinq acrobates venus de Colombie il y a dix ans sont tous remarquables mais mention spéciale à la voltigeuse Célia Casagrande.
Les 13 et 14 mars, Théâtre de la Foudre, Petit-Quevilly. (Seine Maritime). Le 27 mars, L’Éclat, Pont-Audemer, (Eure). Le 12 mai, Quai des Arts, Argentan (Orne).

 Yokai Kemame, l’esprit des haricots poilus

conception et interpétation d’Hisashi Watanabe et Guillaume Martinet, mise en scène de Johan Swartsvager

 C’est un spectacle entre jonglage, acrobatie au sol et danse contemporaine. Une collaboration entre la compagnie française Defracto et une compagnie japonaise. Sur un carré de six mètres de côté, deux jongleurs et une fileuse/tricoteuse (on ne sait pas trop) assise dans un coin de ce carré. Au sol des boules et des mini-sculptures de coton blanc soigneusement rangées et dans chaque coin de petites boîtes de percussion en bois et fer mues électriquement à distance. Ici sont convoqués les yokai, ces esprits qui, dans la culture japonaise, peuvent habiter des choses, des êtres et des phénomènes… Des esprits malins, souvent espiègles, voire malfaisants mais parfois bienveillants, ils ont un comportement imprévisible qui peut porter chance ou malchance.

Minimalisme du plateau noir, grande élégance gestuelle, jonglage de tout premier ordre comme dans cette séquence où les deux acrobates se lancent des boules qu’ils rattrapent avec leur bouche. Comme ces biscuits que la jeune tricoteuse leur lance. Dans un paisible clair-obscur, il y a une belle interaction entre l’absolue maîtrise de leur corps par ces acrobates-jongleurs qui  se cordonnent parfaitement et ces objets intrigants, dont certains aux formes baroques, qui semblent leur obéir. Et malgré quelques longueurs,  cette singulière fascine la centaine de spectateurs sur les gradins en quadrifrontal, en particulier les enfants. Cette performance gestuelle accompagnée d’une musique de légères percussions   renouvelle l’art du jonglage.  Avec une mise en scène proche du minimalisme en arts plastiques et une gestuelle sans doute influencée par la philosophie de la soustraction d’Hideko Yamashita dans son livre DanShaRi.  Une preuve s’il en fallait une qu’une recherche comme celle-là peut aussi séduire un large public.

 Philippe du Vignal

 

L’intégralité des représentations du festival est, bien entendu et malheurusement annulée. La Brèche et le Cirque-Théâtre s’engagent à mettre tout en œuvre pour apporter leur soutien aux équipes artistiques qui devaient jouer pendant le festival avec leurs partenaires normands avec qui ils devaient accueillir les spectacles. T. : 02 35 52 93 93.

 

 

Ogre d’après le texte de Larry Tremblay, mise en scène de Dany Lefrançois

Ogre

©Patrick Simard

Ogre d’après le texte de Larry Tremblay, mise en scène de Dany Lefrançois

 Troisième opus du Théâtre de la Tortue Noire présenté à Paris, ce «monologue pour une marionnette égocentrique surdimensionnée» est bâti sur un solo  d’une trilogie consacré à la critique des médias. Son auteur écrivait, à sa création au Théâtre d’aujourd’hui à Montréal en 1998 : «Ogre trône sur un univers qu’il manipule avec sadisme, souriant et insatiable. Dévorant l’immense quantité de vide qui l’entoure, le recrachant en un épais nuage de mots, il se répand, se disloque, s’annule. Quoi de plus engraissant pour un ego qu’une caméra de télévision? »

Dany Lefrançois, directeur artistique de la compagnie québécoise, avait depuis longtemps, la pièce en tête et, relevant le défi d’adapter ce texte à la marionnette, a imaginé, pour représenter cet être gonflé de mots, une poupée géante créée par Mylène Leboeuf-Gagne. Les marionnettistes que nous avons vus, ces dernières semaines, s’emparer d’objets miniatures dans Le petit Cercle de craie et Kiwi ( voir Le Théâtre du blog ) changent radicalement d’échelle et semblent des Lilliputiens aux côtés de ce corps grotesque

A la fois manipulateurs et manipulés, ils sont d’une impressionnante précision, leurs gestes synchrones avec le  texte  pris en charge par un comédien. Hors-champ, mais à vue sur le plateau, celui-ci donne au personnage toutes les nuances jusqu’à reproduire son essoufflement, ses grognements. Homme-orchestre, il assure tous les bruitages : musique d’ambiance, clapotis d’un bain, absorption d’une bière…

 L’ogre se prépare à une émission de télévision, parle beaucoup et uniquement de lui : il écrase femme et enfants de son mépris et il  exerce un droit de cuissage sur sa fille ou sur une journaliste…Il « bouffe» littéralement tout le monde. Mais une fois sous le feu des projecteurs, il n’a finalement plus rien à dire… Plein de sa vanité, telle la Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

 Ce spectacle est un bel exploit, à la fois technique et théâtral et, par sa forme originale, pousse la fable à son paroxysme. Malgré quelques longueurs, le texte résonne singulièrement avec notre actualité. On pense à ces puissants qui défrayent aujourd’hui la chronique: patrons de presse, producteurs hollywoodiens, présidents milliardaires, ou chefs d’entreprise. Qui se croient tout permis du haut de leur majesté, boulimiques d’argent et/ou de pouvoir,  prêts à avaler, exploiter, violer … en toute impunité.

 Mireille Davidovici

 Du 10 au 15 mars Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème) T. : 01 84 79 44 44.

 Ogre est publié par Lansman Éditeur.

Adieu Didier Bezace

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Adieu Didier Bezace

 

© Pascal Couillaud

© Pascal Couillaud

Le comédien et metteur en scène mort hier à soixante-quatorze ans. Il avait fondé le Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes avec Jean-Louis Benoit et Jacques Nichet, disparu l’an passé (voir Le Théâtre du Blog). Il avait aussi solidement dirigé pendant quinze ans le théâtre de la Commune d’Aubervilliers.

La création collective de l’Aquarium à laquelle il participa comme metteur en scène,  La jeune Lune tient la vieille lune toute la nuit dans ses bras en 1976, était un spectacle politique dont nous nous souvenons encore. Les acteurs avaient recueilli les témoignages d’ouvriers occupant leur lieu de travail  et cette forme théâtrale -nouvelle  à l’époque- connut un grand succès. Dans le même genre, il créa Pépé qu’il écrivit avec Jean-Louis Benoit, à partir d’entretiens faits dans un hospice.

Comédien, il joua beaucoup au théâtre dans ses créations et dans celles qu’il réalisa avec Jacques Nichet. Mais c’était aussi un acteur de cinéma et de télévision: il a joué dans une trentaine de films dont L.627Ça commence aujourd’hui de Bertrand Tavernier, La petite Voleuse de Claude Miller…  Et plus récemment dans L’Exercice du pouvoir de Pierre Schoeller.

Metteur en scène curieux et éclectique, il monta quelque quarante spectacles dans des genres et styles différents: classiques comme Les Fausses confidences de Marivaux,  L’Ecole des Femmes de Molière dans la Cour d’honneur au festival d’Avignon, avec Agnès Sourdillon et Pierre Arditi, La Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht. Ou encore avec Jacques Nichet, On déménage : Feu la mère de madame et Léonie est en avance de Georges Feydeau qu’il reprit ensuite de façon remarquable il y a deux ans au château de Grignan ( voir Le Théâtre du Blog) sous le titre: Le Diable s’en mêle... Mais il créa aussi des spectacles adaptés d’œuvres littéraires ou sociologiques modernes, comme cette étonnante adaptation de Ma Femme changée en renard de David Garnett, qui lui valut un  Molière de la meilleure mise en scène, Pereira prétend d’Antonio Tabucchi ou Le Jour et la nuit d’après La Misère du monde de Pierre Bourdieu.

Avec sa disparition, après celle de son complice le grand Jacques Nichet, c’est un des maillons du théâtre du théâtre contemporain et l’une des âmes de ceux qui ont fondé  un des théâtres de la Cartoucherie qui s’en vont aussi…

Philippe du Vignal

Les obsèques de Didier Bezace auront lieu au cimetière du Père Lachaise.

Le Moche de Marius von Mayenburg, mise en scène de Pierre Pradinas

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© M

Le Moche de Marius von Mayenburg, traduction d’Hélène Mauler et René Zahnd, mise en scène de Pierre Pradinas

 Après L’Occupation d’Annie Ernaux, en 2018 (voir Le Théâtre du blog), Pierre Pradinas retrouve Romane Bohringer pour la création de ce conte moderne où quatre comédiens interprètent les huit personnages.

D’abord, une rivalité entre collègues: Lette, le bienheureux inventeur d’un convecteur électrique révolutionnaire, apprend que son assistant ira présenter à sa place, son produit de choc à une foire internationale. Il est bien trop moche pour arriver à le vendre, lui dit son patron. Laideur qu’il ignorait jusque là et que lui confirme sa femme. Mis sur la touche, il livrera son visage au bistouri d’un chirurgien.

Et là, tout bascule. Devenu beau, trop beau, il reprendra la vedette: commercial de choc, courtisé par les femmes et les hommes. L’argent coule à flots et il est célèbre, au point que le médecin, sans scrupules, reproduit son faciès à l’infini… Il cesse alors d’être unique et ne vaut plus rien sur le marché de l’emploi et du sexe: d’autres, avec la même tête, feront l’affaire à moindre coût… Et impossible de revenir en arrière !

Sur scène, Lette, (Quentin Baillot) en se grimant, ne changera pas d’aspect mais d’attitude, transformé par le regard des autres. Le comédien, aux allures de Monsieur tout le monde, construit un personnage touchant de naïveté, avant de devenir un monstre imbu de lui-même, ridicule et creux: «Je ressemble à un œuf dur sans coquille», dira-t-il à son image dans le miroir. 

Romane Bohringer est une modeste femme au foyer puis l’assistante du chirurgien et excellera en vieille dame riche et libidineuse, et maîtresse du héros. Trois femmes en une, toutes prénommées Fanny. Aurélien Chaussade joue Karlmann, l’assistant de Lette et le fils de la rombière, mère possessive et amante dominatrice. Le patron de Lette et le chirurgien, bouffons inconséquents, sont interprétés par Thierry Gimenez.

 Dans un décor unique aux éléments mobiles, les acteurs se métamorphosent par glissement de plus en plus rapide d’un tableau à l’autre. La temporalité se bouscule à mesure que Lette s’enfonce dans une abîme vertigineux face à ses multiples doubles…  En limitant la distribution à quatre acteurs, Marius von Mayenburg veut montrer que ces individus sont interchangeables donc sans identité propre. Il dénonce une société mercantile qui s’en tient aux seules apparences et au fric. « Faire du théâtre, dit-il, c’est forcément s’opposer à cette volonté d’uniformiser le monde. C’est entretenir par la mise en valeur les défauts et les soi-disant tares de chaque individu, un espoir de poésie et de différence. » Lette, avec son nouveau visage puis quand il est confronté à ses clones, ne se reconnaît plus. De même, ses interlocuteurs à la fois dissemblables et identiques, lui signifient que tout le monde se vaut et, qu’en définitive, personne ne vaut rien.

 Contrairement à des pièces comme Martyre ou Visage de feu où l’auteur allemand montre la violence sociale à l’état brut, Le Moche, écrit en 2012, a le ton d’une comédie légère, avec mots d’auteur, dialogues vifs et humoristiques… Mais derrière cette dérision, souvent pointée vers l’absurde, quelque chose coince… Comme Grégoire Samsa dans La Métamorphose de Franz Kafka, se réveillant dans le corps d’un cafard ou Peter Schlemihl dans L’Homme qui a perdu son ombre d’Adelbert von Chamisso, Lette  nous entraîne dans son cauchemar.

La mise en scène va dans le sens la franche comédie et les comédiens, tous excellents, prennent plaisir à jouer ce conte métaphorique. Une grande fluidité, une scénographie sobre et des éclairages fonctionnels et pour varier les ambiances,  des images vidéos non figuratives projetées en fond de scène… Ce spectacle d’une heure nous incite à rire mais là où ça fait mal. Une bonne soirée en perspective. 

 Mireille Davidovici

Spectacle créée le 9 mars à Bonlieu

Jusqu’au 13 mars, Bonlieu Scène Nationale d’Annecy, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie) T. : 04 50 33 44 00.

Du 7 au 10 avril, Comédie de Picardie, Amiens (Somme) ; du 14 au 16 avril, Théâtre de l’Union, Limoges (Haute-Vienne).

 La traduction française est publiée par L’Arche éditeur.

Le Pate(r), ou Comment faire vent de la mort entière, texte et mise en scène de Flore Lefèbvre des Noëttes

Le Pate(r), ou Comment faire vent de la mort entière, texte et mise en scène de Flore Lefèbvre des Noëttes

 

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© DR

 

«La guerre fait cercle autour de nos vies, traçant des périmètres plus ou moins larges, d’intensité variable, constitués d’incendies et de gravats, dit Jean-Yves Jouannais dans MOAB, épopée en vingt-deux chants. Même dans les moments de grande naïveté où nous pensons graviter à l’extérieur de ceux-ci, c’est en leur cœur que nous nous tenons.»

Quand l’enfance vous saute à la figure…  À la mort de sa mère, Flore Lefèbvre des Noëttes est rattrapée par les souvenirs : repas en famille nombreuse et fauchée, école, vacances à Saint-Michel-Chef-Chef et surtout ces êtres puissants et mystérieux que sont les parents. Les siens : une «mère courage» de treize enfants, prête à tout pour faire marcher sa tribu et simplement la faire vivre, tiraillée entre tradition aristocratique et gêne perpétuelle, associée aux nombreux séjours du père  en hôpital psychiatrique…

Le premier volet de la trilogie, La Mate, c’était cela : une mère “durrre“ pour ses enfants, mais tenace, pugnace, imaginative (il faut bien !) et au fond, admirée. La vraie vie ? Les vacances, décidément, avec du sable dans le maillot, débaroulant les dunes… Pas d’argent mais beaucoup de liberté, malgré les consignes. Bref, la vitalité et les joies plus ou moins féroces de l‘enfance dans cette famille où tout est extrême.

Suivit Juliette et les années 70: le collège puis le lycée, avec toujours un haut degré de révolte et d’humour : les blouses démocratiques et démoralisantes qu’il fallait porter avec nom et classe brodés par ses soins, la cruauté des profs et la non moins grande vacherie de leur caricature en retour… Et toujours les boutiques d’été de la Mate : Comptoir de l’Orient, Hibiscus où elle faisait turbiner ses filles : il fallait bien trouver de l’argent! Les premières amours, les chansons sur disques 45 tours, l’ivresse de l’autonomie et l’apprentissage du théâtre. «À l’ancienne», entre autres avec Pierre Debauche qui faisait apprendre les alexandrins  «à la voyelle» -essayez à cette aune, les plus beaux vers de Racine : « an o i en é e e e in on en ui »- Bravo à ceux qui auront reconnu le fameux : «Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui » le célèbre vers de Bérénice. Il enseignait aussi bien d’autres choses et nombre d’acteurs à la forte personnalité sortis de ses mains, peuvent en témoigner. On salue sa mémoire…

Et puis il fallut bien oser parler du Pater familias, dit le Pate(r), au nom emblématique : Fervant de la Morantière. Pour ce troisième volet, la comédienne et autrice a quitté le  monologue et s’est entourée de Mireille Herbstmeyer et Agathe Lhuillier. On découvre ainsi les trois sœurs dans leur ouvroir, à ravauder des costumes militaires, en explorant chacune ce qu’on appelle ses petites misères: dépression, intestins en bataille…

Seulement, on s’aperçoit au fil du récit et des scènes entre elles, que ces petites misères cachent de grands non-dits. La folie du Pater ne fait plus rire. Les secrets, levés un à un, mènent à une évidence navrante : au fil des générations, la guerre rend fou. Un médecin militaire en guerre coloniale est tout, sauf un planqué et il est confronté au pire de ce que des hommes peuvent faire subir à d’autres hommes. Un officier écrit à sa jeune femme les flammes de son amour dans l’horreur des tranchées de la Grande Guerre, et l’ancêtre, héros anonyme et flamboyant des guerres napoléoniennes : « Eh ! Oui, les filles, vous êtes nées de cela, ce sont vos guerres, intestines. Et bizarrement, vous allez beaucoup mieux au bout de votre enquête.  Et vous trouvez ça drôle ? « Oui, dans ce troisième volet : celui de la maturité, le langage commun des trois sœurs, à commencer par leurs disputes et querelles, est encore et toujours l’humour, chacune avec sa (forte) personnalité. Enquête faite, elles n’ont pas changé, elles vont juste un peu mieux. Elles ont gardé toute leur vitalité qui se chante aussi en récitatifs et en songs brechtiens et fait vibrer le spectacle.

Christine Friedel

Le Colombier, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 60 72 81, du 10 au 15 mars.

La pièce est publiée aux Solitaires Intempestifs.

 

Les Survivantes, texte d’Isabelle Linnartz et Blandine Métayer, mise en scène d’Isabelle Linnartz

Visuel 5 © Lionel Roy 2020

Photo Lionel Roy

Les Survivantes, texte d’Isabelle Linnartz et Blandine Métayer, mise en scène d’Isabelle Linnartz

 Les spectacles qui ont pour thème la prostitution, sont assez fréquents et parfois inspirés comme celui-ci par des témoignages véritables recueillis par Le Nid, une association qui aide celles qui veulent s’en sortir.  Sur le petit plateau du Théâtre 13, cela se passe en France à la frontière belge, près d’une autoroute avec, au loin, le bruit incessant des camions. Sous une sorte d’abri en tôle ondulée plastique délabré dans une ancienne station-service, un bar, une aire de parking…

Cinq femmes: l’une a la cinquantaine, les autres la trentaine et une jeune fille, se prostituent. Il y a là un seul homme incarnant trois clients et un proxénète. Elles ont eu des parcours plus que chamboulés. Comment en sont-elles venues à faire le trottoir? Aucune n’a choisi vraiment de faire ce qu’on appelle le plus vieux métier du monde et qui n’en est pas un. Souvent violées très jeunes par un père ou un proche, ou malmenées et abandonnées après un divorce, seules avec un enfant. D’où une situation très précaire et la tentation de faire le trottoir avec quelques passes par jour pour gagner facilement de l’argent. Puis elles tombent vite sous la coupe d’un proxénète ou d’un réseau, surtout quand on est étrangère, ne parlant pas français, sans papiers donc très vulnérable… Et elles ont vu leur corps devenir une marchandise soumise au premier venu, avec tous les risques de sida et de violences. Certaines -mais très peu d’entre elles- se prostituent volontairement…

 Isabelle Linnartz et Blandine Métayer ont choisi des cas typiques de femmes aux parcours différents qui, un jour, se sont retrouvées à faire le trottoir le plus souvent dans des endroits sordides, la nuit et sans aucune protection. La toute jeune Clara, dit-elle, aide ses parents: “Je suis venue de l’Ukraine, en passant par la Roumanie, la peur au ventre. (…) Ah ! J’en ai vu du pays, d’abord l’Italie, les bordels en Allemagne, les contreforts de Mulhouse et maintenant les vacances en Belgique. » (…) « Je crevais d’amour sur ce trottoir de l’enfer, je n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, j’avais tellement peur. »

 Rose, la plus âgée, (Blandine Métayer) fait le trottoir depuis de longues années, n’a plus aucune illusion sur les hommes et connaît les blessures aussi physiques que morales mais semble plus armée. Un personnage inspiré par Rosen Hicher, une ancienne prostituée qui souhaite que, pour protéger les femmes, il y ait une véritable légalisation de cette activité comme en Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Espagne où vont facilement de nombreux jeunes du sud de la France. Ou comme la Suisse avec une prostitution légalisée et soumise à l’assurance-maladie et aux cotisations pour la retraite… Rosen Hicher est co-fondatrice, avec Laurence Noel, du mouvement des Survivantes,  pour accompagner les femmes qui veulent s’en sortir.

 Mais le France semble peu déterminée et, même après la loi pénalisant le client, les gouvernements successifs ont toujours laissé faire la prostitution, notamment la nuit au bois de Boulogne… à quelques kms seulement du Théâtre 13 ou à Belleville où une cinquantaines de jeunes femmes du nord de la Chine font le trottoir jour et nuit. Et, malgré les bonnes intentions d’Anne Hidalgo, maire de Paris, la prostitution a tendance à se banaliser chez de jeunes Parisiennes … Rose a décidé de se battre pour la réinsertion de ses copines et d’elle-même : «Combien de filles disparues? Kosovo, Afrique, Niger, Chine. Combien de demandes d’asile refusées, de réseaux démantelés ? Combien de familles escroquées dans leur pays d’origine, de papiers d’identité délivrés en échanges de filles vendues. C’est un trafic international. Une honte humanitaire. »

 Carmen, à peine la trentaine, a aussi été amoureuse mais, sans doute imprudente,  a accepté une relation tarifée sans trop bien savoir à qui elle avait affaire… Droguée à son insu, elle s’est retrouvée dans un lit, soumise à trois hommes qu’elle n’avait jamais vus. Comment en est-elle arrivée là? «Au début, je n’étais pas contre certains jeux sexuels, j’avais rencontré un type sympa, plutôt drôle… Jusqu’au jour où il est arrivé avec un collier, là, je lui ai dit que je ne me soumettrai pas! Il a insisté en rigolant : tu vas voir, tu vas connaître de nouvelles techniques… Ses potes étaient riches, ils payaient bien, il m’a emmené dans un manoir… A travers les tentures imprégnées de l’odeur des cigares, je les ai reconnus… Tous! Ces notables bien-pensants… Médecins, notaires, footballeurs… D’abord, ils m’ont passé une corde autour du cou. Ils ont fait des tours et des tours… J’ai mis mon doigt pour ne pas être étranglée… Ils m’ont brûlée avec de la cire. Les séances de dressage commençaient à coup de bouquets d’orties sur le corps ! Pinces à outillage, bâillon, tortures en tous genre… Ils se défoulaient. Juges, politiciens, hommes d’affaires. Le seul moyen de les arrêter, c’était de trembler comme une feuille. Souvent, ils m’attachaient à un radiateur dans le noir… »  Un témoignage qui fait froid dans le dos et très bien interprété par Catherine Wilkening.

Mimi (Gigi Ledron), jeune africaine émigrée d’un pays en guerre, sait bien que l’esclavage sexuel est fréquent et a appris à se méfier du racisme et des refus de payer. « C’est la couleur qui te gêne ? dit-elle à un employé de banque. D’accord. Mais balance la monnaie parce qu’après l’autre naze du parking, je donnerai pas deux fois. –«Ferme ta gueule! réplique-t-il. Je paye ! T’entends? Ou faut te parler chinois! Enfin toi, ce serait plutôt bamboula, hein ? »

©Lionel Roy

©Lionel Roy

Il y a aussi un homme (Jean-Claude Leguay) qui joue à la fois Le Père, l’Employé de banque, un Proxénète, un Marin.  Et une «masseuse» (Isabelle Linartz) offrant des services sexuels dûment tarifés mais elle refuse toute pénétration et ne veut pas être considérée comme une pute par ses copines. Comment en est-elle aussi arrivée à passer des nuits avec les autres pour essayer de gagner sa vie? Rose, elle, a décidé d’emmener ses copines, victimes de leur passé, à Paris pour manifester et elle réussira à les réinsérer dans la société. Elle -mais elle ne leur avait pas dit- est déjà employée chez un fleuriste… Mais il faut se pincer pour croire à cette métamorphose inattendue, alors que les anciennes prostituées  vivent en majorité très pauvrement…

C’est là, dit Isabelle Linartz, qu’elles vont interroger leur passé, prendront conscience de la précarité de leur état et trouveront la force de s’en sortir. » Oui, mais le texte  et le scénario n’ont rien de très convaincant et, comme le dit aussi lucidement l’auteure et metteuse en scène: «Adapter des témoignages au théâtre n’est pas toujours facile, d’autant que je ne voulais pas faire une juxtaposition de textes narratifs.» De fait, la mise en scène assez maladroite navigue à vue avec de nombreux allers et retours entre scène et salle. Il y a une hésitation constante entre un théâtre-documentaire et une histoire réaliste qui a bien du mal à se mettre en place. Et la direction d’acteurs reste assez flottante. Aucune facilité, pas de voyeurisme mais le compte n’y est pas tout à fait et il aurait fallu un texte plus radical et une mise en scène d’une autre envergure pour parler de cette tragédie sinon niée, du moins hypocritement tolérée par toute la société française, en particulier par ses hommes (et ses femmes !) politiques…

 Philippe du Vignal

Théâtre 13 Jardin, 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème), jusqu’au 5 avril.

Le Rêve d’une ombre, d’après L’0mbre d’Hans-Christian Andersen, écriture scénique de Katerini Antonakaki et Achille Sauloup

Le Rêve d’un ombre, d’après L’Ombre de Hans Christian Andersen,  adaptation d’Achille Sauloup, écriture scénique et mise en scène de Katerini Antonakaki

 © Elodie Boyenval

© Elodie Boyenval

La Main d’œuvres, spécialisée dans la manipulation d’objets et d’images insolites, présente ici une nouvelle version du conte du célèbre écrivain danois (1805-1875) : un étrange théâtre d’ombres et de lumière, construit en direct par Katerini Antonakaki. Postée à jardin, la marionnettiste, véritable femme-orchestre, projette au fil du récit, sur des châssis mobiles dressés sur le plateau, des objets découpés ou filmés. Des images qui se superposent selon une architecture labyrinthique, sur la musique envoûtante d’Ilias Sauloup. Naît alors devant nous un univers mêlant chaleurs tropicales et frimas nordiques, comme dans le conte.

Dans le conte d’origine, un savant voit son ombre rétrécir puis disparaître lors d’un séjour dans un pays chaud. Puis réapparaître et s’emparer ensuite de son maître pour réaliser ses ambitions. Ici,  un écrivain, (Achille Sauloup) se trouve aux prises avec son double maléfique, rêvant de gloire et de puissance quand il aura épousé une princesse… Pris en étau entre le pouvoir de l’écriture et celui d’un roi, il voit ses rêves s’écrouler et son monde de pacotille se défaire. Ici, grâce à un habile détricotage du décor et des personnages en fil de fer et chiffons… Malheureusement, le texte souvent bavard et pesant mêle mythologie grecque et conte nordique et brouille la réception de cette fantasmagorie… Du coup la trame confuse de l’histoire, s’effiloche et on se perd dans les méandres d’une dramaturgie brouillonne!

Mais le dispositif scénique sophistiqué et l‘imagerie onirique de Katerini Antonakaki qui évolue gracieusement et qui chantonne en grec auprès de son partenaire, sont d’une impressionnante virtuosité. Formée à l’Ecole de la danse à Athènes puis à l’École Nationale Supérieure des Arts de la marionnette à Charleville-Mézières, elle possède un véritable sens de l’espace et de la manipulation. Et elle a obtenu le Premier prix de composition de musique électro-acoustique au Conservatoire d’Amiens.

Le spectacle nous incite à lire ou relire L’Ombre. Le romancier japonais Haruki Murakami, prix Hans Christian Andersen, affirmait dans son discours de réception: «Si vous n’acceptez pas, votre ombre deviendra de plus en plus forte et, sous peu, une nuit, reviendra frapper à la porte de votre maison. Certaines histoires extraordinaires peuvent nous apprendre bien des choses. »

Mireille Davidovici

Spectacle vu en avant-première le 17 février. Il sera présenté du 21 au 30 avril au Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (Vème).  T. : 01 84 79 44 44.

 

 

Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, mise en scène de Louise Vignaud

 Le  Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, mise en scène de Louise Vignaud

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© Rémy Blasquez

Après une immersion de six mois dans le monde du travail précaire à Caen, la journaliste nous relate son expérience. Dans une langue simple et directe dont s’empare Magali Bonat. Nous la suivons pendant une heure quinze à la recherche d’un emploi, puis s’échinant à nettoyer bureaux, locaux commerciaux et surtout les ferries venus d’Angleterre et amarrés au port de Ouistreham près de Caen. 

Qu’ils relatent une guerre ou le quotidien en France et en Europe, avec ses reportages Florence Aubenas nous emmène auprès des gens, comme ses chroniques sur les Gilets jaunes dans Le Monde. Ce texte ne fait pas exception et avec une grande humanité, elle nous plonge dans l’univers des femmes de ménage. Sous-prolétariat invisible, elles  travaillent au point du jour ou à la nuit tombée et, payées à la tâche, doivent cumuler les heures aux quatre coins de la ville. Corvéables à merci et sans garantie d’emploi!

Le spectacle commence dans le noir et une voix enregistrée nous raconte les prémices de ce livre publié en 2010 : « La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu’en dire, ni comment en prendre la mesure. (…) «Je suis journaliste: j’ai eu l’impression de me retrouver face à une réalité que je n’arrivais plus à saisir. J’ai décidé de partir pour chercher anonymement du travail. » (…) «Je me suis inscrite au chômage, avec un baccalauréat pour seul bagage.»

Magali Bonat, dirigée avec sobriété par Louise Vignaud, se glisse dans la peau de la journaliste. Seuls accessoires, un tableau en papier et une chaise. Mots bruts, formules marquantes, humour : ses seules armes pour nous guider depuis les bureaux de Pôle-Emploi, aux entretiens d’embauche bidons puis, quand elle est au volant de sa petite Fiat verte, surnommée « le tracteur », vers les quais de Ouistreham.

Une vie d’errance et de dur labeur qu’elle partage avec ces travailleuses de l’ombre, unies par une belle solidarité. Marie-Lou, Madeleine, Denise… Elles ont chacune une histoire lourde que l’actrice évoque avec des petits gestes et sensibilité mais sans pathos. Et elle dessine aussi en filigrane, avec justesse, le portrait d’une journaliste assez courageuse pour aller s’infliger une telle vie, loin de son confort parisien. Créé il y a deux ans au Théâtre des Clochards célestes à Lyon que dirige Louise Vignaud, ce spectacle nous incite à relire ce Quai de Ouistreham plusieurs fois primé et les chroniques de Florence Aubenas.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 15 mars, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème) T. : 01 45 45 49 77.

Du 31 mars au 4 avril, Scène nationale de Sète (Hérault) ; du 19 au 28 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (IVème).
Le 8 avril, Le Pied aux planches, Largentière (Ardèche).  

 Le Quai de Ouistreham est publié aux éditions de l’Olivier et chez Points-Poche.

 

 

 

 

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