Des vidéos pour mémoire : Shock Corridor
Des vidéos pour mémoire : Shock Corridor, un spectacle adapté du film de Samuel Fuller, écrit et mis en scène par Mathieu Bauer
Le spectacle vivant, un face à face entre artistes et public, est momentanément en panne. Mais les théâtres et les compagnies nous offrent à qui mieux mieux, des captations de leurs réalisations-phares. Traces, mémoire, qu’on regarde avec d’autant plus de plaisir qu’on a aimé l’original. Comme Shock Corridor. Nous avions été emballés par cette création au Nouveau Théâtre de Montreuil en 2017 qui avait valu à Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny d’être récompensés par le Prix de la critique: «Meilleurs compositeurs de musique de scène» A vous d’apprécier ce spectacle mis en boîte !
« I’am Sam Fuller, I’m a film director », ainsi se présente une comédienne, en costume trois pièces, allumant, dans le noir, l’éternel cigare du réalisateur américain. Son interview se poursuit en français, interrompant, par bribes, l’intrigue de Shock Corridor. Livrant des épisodes de sa vie aventurière, des anecdotes sur le tournage et six commandements en matière de cinéma, pendant que le film se déroule.
Le héros, un journaliste arriviste, mène une enquête sur un meurtre dans un asile psychiatrique et découvre dans ce microcosme, les violences de la société américaine. «Quand il veut s’attaquer aux sentiments qu’il déteste: racisme, hypocrisie, amour de la violence, écrit Bertrand Tavernier, Samuel Fuller transforme ses critiques en réquisitoire, en pamphlet apocalyptique. »
Le spectacle mêle, sur une musique omniprésente, récit du réalisateur et scènes dialoguées, interrompus par des apartés où la parole est donnée aux seconds rôles du film. Avec des extraits du livre de Philippe Garnier sur Les Characters Actors, biographie de ceux qui incarnent les personnages savoureux mais de second plan, à l’ombre des stars du cinéma américain. De quoi donner du grain à moudre et matière à réflexion aux élèves de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg qui reprennent ici leur spectacle de sortie.
Le montage de tous ces éléments, soutenu par l’énergie des jeunes interprètes et une choralité bienvenue, font la force de cette adaptation qui ne paraphrase aucunement le film mais en retient l’intrigue et des séquences-clés, renvoyant à des images-choc. Gros plans dans le dortoir, et surtout scènes dans ce long couloir carcéral qu’on nomme «la rue», où s’alignent les malades, maltraités par les surveillants.
Pour Mathieu Bauer, qui a déjà porté plusieurs films à la scène, il ne s’agit «pas tant de singer le cinéma mais de le décortiquer, d’en voir la grammaire. Il y a aussi la question du montage, le théâtre n’a pas ces ellipses, le montage parallèle. J’ai essayé de mettre ça sur un plateau en me demandant comment coexistent la musique, le texte, une image, un comédien. »
Cinéphile et musicien averti, il a aussi puisé dans le répertoire américain des années soixante, par exemple cette scène chantée de Titicut Follies, documentaire de Frederick Wiseman sur la vie quotidienne des patients détenus dans l’unité carcérale psychiatrique de l’hôpital de Bridgewater. Il revisite les chansons folk et countries, Gershwin… Et Billie Holiday, avec Strange Fruits, une des premières « protest songs » (1936) à avoir lutté contre le racisme et les exactions du Ku Klux Klan. Elle répond au discours d’un des «fous» : un Noir qui se prend pour un membre du K.K.K… L’occasion de mesurer les talents vocaux et instrumentistes des douze jeunes comédiens.
Ce bel hommage au cinéma, aux acteurs et à la musique, est une rampe de lancement idéale pour ces artistes qui font ici leur entrée en fanfare dans la vie professionnelle…
Mireille Davidovici
www. nouveau-theatre-montreuil.com