Les confinés parlent aux confinés (suite et pas fin)
Sophie Vonlanthen, co-directrice de la Manufacture des Abbesses à Paris
- Comment cela se passe pour votre théâtre?
- Fermé bien sûr, comme les autres. Mais j’ai un avantage: comme j’habite au-dessus, j’y descends pour travailler, sans que mes enfants (quinze et six ans) ne m’accaparent… Mais comme tout le monde, nous ne savons pas ce qui va se passer dans le monde du spectacle et attendons les nouvelles! Nous avions à notre programme un stage de formation A.F.D.A.S. pour comédiens dirigé Jordan Beswick en anglais, un enseignant américain exceptionnel dont j’avais suivi les cours aux Etats-Unis. D’ici là, il pourrait faire une formation à distance comme il le pratique couramment mais faudrait-il que l’A.F.D.A.S et les acteurs en soient d’accord…
-Et la fin de votre saison est plus que compromise?
-Râpée tout comme le festival d’Avignon où nous devions aller jouer. Un espoir? Rouvrir le théâtre à l’automne avec la programmation prévue mais pour le moment, c’est loin d’être évident. Et normal, dans cette incertitude artistique et financière, les compagnies que nous recevons, n’arrivent pas à se projeter dans l’avenir!
- Et budgétairement, comment vous en sortez-vous?
- Pour le moment, cela va encore mais comme nous en savons pas combien de temps cela pourra durer…. Mais je mesure notre chance, comme la saison a été bonne, nous vivons sur nos réserves. Et quant au paiement du bail, il peut être mis en attente, on attend de voir.
- Et votre personnel?
- Nous avons une régisseuse en C.D.I, que l’on a mise en chômage partiel et les autres employés sont en CDD. C’est une période effroyable! L’activité normale des petits théâtres comme le nôtre est toute chamboulée. Une chose est au moins sûre: nous allons maintenir le cycle Nathalie Sarraute avec plusieurs de ses pièces dont Héléna, Pour un oui, pour un non, et des lectures de ses romans. Quant au reste, c’est encore bien flou… En octobre, Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène reprendra sa pièce Les Témoins qui devait finir le 22 mars.
– Je suppose que vous êtes en contact avec les directeurs des autres petits théâtres comme le vôtre?
-Oui, bien sûr, Salomé Lelouch, la directrice du Théâtre Lepic (ex-Ciné 13 ) pas très loin de chez nous est dans la même situation. En fait, nous sommes tous un peu anesthésiés, sans rêves, comme en pause. Mais nous recevons de nombreux messages du public et cela fait du bien…
- Vous ne passez pas sur votre site comme de nombreux lieux des captation de vos anciens spectacles?
-Je n’en fais pas donc je n’en ai pas et je me méfie de celles que l’on m’envoie pour me donner une idée d’un spectacle des metteurs en scène qui voudraient venir jouer à la Manufacture des Abbesses. Nous faisons une sélection sur dossier et nous demandons à voir dix minutes du spectacle joué sur scène, pour avoir un aperçu concret. Cela me parait plus juste et plus convaincant.
- Et votre quartier, celui du métro Blanche et du Moulin Rouge?
– Il y a du monde parce qu’il y a une vraie vie de quartier mais très peu de voitures et aucun car de tourisme, donc il y a beaucoup moins de pollution et je n’ai plus les yeux qui piquent… Je monte chaque jour un des escaliers de Montmartre pour faire un peu d’exercice. Et puis je travaille énormément: je réalise quelle chance, j’ai! Le public, les acteurs, les équipes: j’aime cela. Et nous avons l’impression que, malgré tout, il y a plus de gens qui ont des projets…
Alain Timár, directeur du Théâtre des Halles à Avignon
- Il y a quelques jours la décision est tombée: les festival in d’Avignon n’aura pas lieu et du même coup, le off non plus…
- Oui, le 21 avril a eu lieu le conseil d’administration du in dont je fais partie, a fait ce choix qui était le seul possible. On ne voyait pas très bien comment des jauges réduites pouvait résoudre le problème, alors qu’en juillet, les rues sont bourrées de monde.
Il y aurait un report vous le savez sur une semaine en novembre de quelques spectacles dans des salles fermées. Mais, bien entendu, cela ne règle pas tout et reste la question cruciale des intermittents: il y a nécessité absolue d’un plan de sauvetage et toutes les compagnies vont être durement touchées.
-Et votre travail à vous en ce moment?
-Je travaille un peu sur Skipe, je lis beaucoup: rien, absolument rien ne m’arrête de lire! Je m’occupe de la mise en ligne de notre programmation et de petites vidéos. Et aucun des artistes ne m’a dit que son spectacle ne pourrait avoir lieu.
-Et votre création personnelle Naufrage de Rémi de Voos?
-Actuellement, c’est une traversée héroïque… Je dois d’abord trouver des solutions comme responsable d’un lieu : Il faut assurer la permanence de l’équipe J’ai sept permanents en CDI mais aussi sept en CDD pendant le festival. Il faut que nous finalisions les projets et puissions à un moment ou un autres assurer l’accueil des compagnies que nous avions prévu d’accueillir en juillet. Ce qui, vous le savez bien, est un gros travail. Nous avions cette année plus de 80% de créations soit onze spectacles sur les quatorze programmés. La plupart des compagnies étaient déjà en répétition quand le gouvernement a ordonné le confinement est intervenue. Comment dans ces conditions assurer une vraie programmation!
Et vu la panique économique qui se profile à l’horizon, je crains que ces troupes ne soient nombreuses à être obligées de mettre la clé sous la porte. On peut jeter un caillou, en l’occurrence un galet du Rhône, au gouvernement: personne en effet n’a pris à temps les indispensables mesures sanitaires. On pense avec effroi aux déclarations d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé il y a deux mois qui minimisait cette très grave crise, alors que son mari est directeur de recherches dans un laboratoire à Youan en Chine, d’où est parti le virus! Et au début de cette pandémie, il y avait en France un regard un peu ironique sur ce qui se passait en Italie. Le coq gaulois continuait à chanter, même s’il avait déjà les pattes dans la merde. Cela rappelle le nuage de Tchernobyl qui ne pouvait traverser nos frontières…
– Et le off dans tout cela?
- Vous savez bien que les deux ont un lien maintenant historique. Pour le festival in, ses partenaires assureront la pérennité des aides et subventions, donc l’ensemble des salaires pourra être versé. Et il y aura cette Semaine d’art en novembre dans des lieux fermés comme La FabricA , le théâtre Benoît XII, etc. J’ai demandé au Conseil d’administration du In que l’on réfléchisse en commun à une possible relation du in avec les théâtres permanents d’Avignon, entre autres, avec le Théâtre des Halles que je dirige…
Il faut en effet, essayer d’inventer l’avenir mais ce virus corona permettra au moins que naisse dans le milieu du spectacle, une réflexion profonde, ce qui n’a jamais vraiment eu lieu! Charles Berling qui dirige le Théâtre Liberté de Toulon est dans le même état d’esprit: aucun doute là-dessus, il y a une nécessité absolue d’un changement de cap pour le festival d’Avignon. Et il y aura une table ronde fin juin début juillet.
Avec cette dérégulation permanente du marché de la location et cet ultra-libéralisme, que ce soit celui des appartements ou celui des salles de spectacle, nous somme entrés dans un système infernal… Certains propriétaires de lieux exigent un minimum garanti de 15.000 €! et parfois encore même un pourcentage sur les recettes: cela s’appelle de la voyoucratie. Il y a Avignon, des hommes d’affaires purs et durs qui louent des salles à qui le peut mais qui ne connaissent rien du théâtre contemporain, d’autres plus avertis qui font des choix solides. Mais tout cela reste malsain.
Au Théâtre des Halles, nous nous en tenons à des règles strictes; entre autres, nous recevons trois compagnies régionales avec 80 % de la recette garantie et il y a chaque années, deux compagnies en coproduction avec nous.
On entend peu le Ministère de la Culture, Frank Riester. Mais comme il a été aussi victime de cette pandémie, cela explique peut-être ce silence. Finalement, tout se passe comme si le corona virus était le révélateur d’une crise économique profonde…on se demande parfois si l’Etat a bien conscience de la nécessité de préserver l’avenir et il faudrait au moins qu’il apporte un soutien psychologique au secteur culturel. Avec le tourisme, il subit de plein fouet cette crise sanitaire et il faudra des années pour nous en remettre.
- Mais alors que faire? La seule alternative possible est d’introduire dans ce tissu complexe un minimum de déontologie et de sécurité pour les compagnies qui veulent jouer à Avignon. Jusque là, on voit que l’Etat n’a guère fait preuve de bonne volonté et a laissé les choses se faire. Nous voyons tous que cela ne pourra pas durer. Une des solutions serait que, que par exemple, le Ministère de la Culture mette en place un système aidé dans le off avec l’aide des pouvoirs publics. La dérégulation actuelle en prendrait alors un coup, la concurrence joueraient son rôle et les propriétaires des lieux qui exigent des prix exorbitants, seraient obligés de revoir leur tarifs…
- Et votre spectacle à vous?
-Nous pensions pouvoir continuer les répétitions de Sosies de Rémi De Vos, commencées au Théâtre Montansier à Versailles en février mais voilà, tout est évidemment arrêté et nous sommes confinés… Dans l’attente de ce qui se passera à la mi-mai. Si on a le feu vert, nous accueillerons en résidence trois compagnies pour qu’elles puissent créer leurs spectacles. Pour Sosies, seize représentations ont déjà été vendues pour le début 2021 en France et en Suisse ! Et les deux compagnies de la région que nous soutenons, ont aussi des tournées prévues. Et nous essayerons au maximum de maintenir tous les apports en coproduction…
philippe.duvignal (antispam, enlever antispam) @gmail.comcontact
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