Le théâtre est en ruines, alors?
Le Théâtre est en ruines, alors?
Le théâtre est en ruines, alors? dit Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité qui nous a transmis cette lettre d’un autres Jacques: Copeau (1879-1949) lui aussi metteur en scène et dramaturge qui fonda le célèbre Vieux-Colombier à Paris avec, notamment Louis Jouvet, Charles Dullin, Jean et Marie-Hélène Dasté, rue du Vieux-Colombier à Paris (VI ème). Il est sans aucun doute le fondateur du théâtre moderne en France. Et en 1913, il clamait haut et fort ses exigences artistiques: « Partout le bluff, la surenchère de toute sorte et l’exhibitionnisme de toute nature parasitant un art qui se meurt… partout veulerie, désordre, indiscipline, ignorance et sottise, dédain du créateur, haine de la beauté ; une pratique de plus en plus folle et vaine, une critique de plus en plus consentante, un goût du public de plus en plus égaré. » (…) « Que les autres prestiges s’évanouissent et, pour l’œuvre nouvelle, qu’on nous laisse un tréteau nu. » Puis en 1924, après cette aventure parisienne qui dura onze ans, il partira pour la Bourgogne avec ses acteurs; il mourra à Pernand-Vergelesse en 1948, après avoir été un temps administrateur de la Comédie-Française…
L’exigence portée à un très haut niveau et le rapport au public déjà! La troupe de Jacques Copeau jouant Les Fourberies de Scapin sur la place Saint-Sulpice sur une simple estrade, une haute conception du théâtre considéré un art et non comme une marchandise, l’indispensable nécessité d’avoir quelque chose à dire sur une scène en réponse à un véritable besoin du public. Le Ministère de la Culture ne pourra pas faire l’économie d’une profonde réflexion sur les codes et les pratiques du théâtre actuel auxquels le public surtout les jeunes dans son ensemble n’adhère plus…
Tout ce qui nous fait réfléchir aujourd’hui à la faveur si on peut dire de cette pandémie ( voir l’interview d’Alain Timar, directeur du théâtre des Halles à Avignon dans Le Théâtre du Blog). était déjà là ! Jacques Copeau a écrit ce texte il y a quelque cent ans déjà déjà mais quelle lucidité, quel vision de l’avenir! A un moment où nous sentons bien que dans les mois qui viennent, toutes les cartes du système social et artistique vont être rebattues, il nous a semblé, comme à Jacques Livchine, que la parole de Copeau méritait d’être entendue…
« Avant de quitter Paris, je veux vous dire ceci : rappelez-vous tout ce qui nous a unis, rappelez-vous nos efforts cent fois réajustés aux circonstances. Restez dignes de ces souvenirs. Ce n’est pas seulement un répertoire, des collaborateurs, certaines méthodes de travail, une certaine vue de notre art que je veux vous transmettre, c’est surtout cet esprit vivant qui donne prix et beauté à tout ce qu’il inspire. Rien ne saurait me faire oublier nos années de travail et de vie en commun. Il est important que le public sache que ces années de collaboration n’aboutissent pas à une rupture.
Nous sommes à l’heure où il faut dépayser notre art, le sortir du théâtre. Quitter le théâtre ? Pour aller où ?
À l’église ? À l’usine ? Dans les palais des nouveaux riches ? À la maison du peuple ? Sur la place publique ?
Peu importe le lieu, pourvu que ceux qui s’y rassemblent aient besoin de nous écouter, que nous ayons quelque chose à leur dire et à leur montrer.
Si nous ne savons pas où aller, allons dans la rue ! Ayons le courage de montrer que notre art est sans asile.
À l’aventure ! Tant que nous n’aurons pas trouvé pour y planter notre tente le lieu où nous puissions dire : ici est notre Dieu et notre pays.
Mes vœux vous accompagnent.
Puissiez-vous en vous sentant tout à fait libres, ne pas vous sentir tout à fait seuls. Il y aura toujours un vieil ami auquel vous ne ferez jamais appel en vain. »
Jacques Copeau