Entretien avec Denis Lecat, directeur du festival Humour et Eau salée

Entretien avec Denis Lecat, directeur du festival Humour et Eau salée de Saint-Georges de Didonne

Comédien et auteur, il fut chargé de mission pour le Développement culturel en milieu rural à la Communauté de communes du bassin de Marennes en Charente-Maritime puis a été chargé de programmation de spectacles au Conseil départemental des Côtes-d’Armor de 2004 à 20113. Et il a ensuite dirigé de 2011 à 2013 l’association Le Nombril du monde, dans les Deux-Sèvres.
Il est depuis quatre ans directeur de l’association culturelle CREA, du  nom charentais de l’esturgeon…

image-Vous avez plusieurs missions dont celle d’imaginer et  de gérer pendant une semaine au début août  le festival Humour et Eau salée…

– Oui, cette association contribue depuis 1986 au rayonnement culturel du territoire, avec d’abord, ce festival à la fois dedans et dehors, dont j’assure la direction depuis trois ans. Et une saison culturelle avec trente à quarante spectacles  à la salle Bleue de Saint-Georges de Didonne  (276 places) et à la Salle multiculturelle de Breuillet (300 places). Nous avons aussi Le Relais, un cinéma classé Art & Essai, et labellisé Jeune Public, Patrimoine et répertoire, Recherche et découvertes; il est membre du réseau Cinéma Europa, à la salle Jacques Villeret. Et depuis l’an passé, nous avons le  cinéma Le Cristal à Ronce-Les-Bains. Et chaque année, un évènement festif, participatif et citoyen à la rentrée de septembre: Et toujours en été… et un festival de cinéma Jeune Public, Les P’tits devant l’écran !

- Et cette année, vous avez quand même pu programmer le festival Humour et Eau salée?

– Oui, mais nous allons, comme les autres, devoir nous adapter, même si ce n’est pas simple. Nous attendons, de toute façon, les directives concernant les mesures sanitaires rendues obligatoires par le gouvernement. Pour le moment, comme vous le savez, les salles restent fermés au public. Et le rapport du professeur François Bricaire, chef de service honoraire d’infectiologie, remis à l’Elysée il y a un mois, a été commandée par le groupe Audiens pour imaginer les grands principes permettant au secteur culturel, de reprendre ses activités après le déconfinement. Il propose des mesures très strictes: le plus difficile étant de protéger les spectateurs surtout dans des lieux clos: un mètre cinquante entre chacun, port du masque obligatoire, nettoyage et ventilation des théâtres… Cela dit comment s’assurer que le port du masque sera bien respecté quand une salle est dans le noir ! C’est aussi à chaque spectateur de prendre ses responsabilités…

Emma la clown  Photo X

Emma la clown
Photo X

Les festivals et manifestations culturelles rassemblant plus de 5.000 personnes ne pourront se tenir avant le 31 août prochain.  Nous sommes une manifestation avec de petites jauges de public donc tout va bien mais nous allons bien sûr diviser le public d’une salle par deux ou trois! Et par exemple, Emma la clown fera sa création à l’extérieur, c’est à dire dans les jardins du Phare.

02-HH-Producties-theaterbureau-voor-theater-straattheater-circus-en-spektakel-voorstellingen-Delinus-Delinus-03Nous sommes une équipe de dix salariés dont quatre projectionnistes mais il y a environ 80 bénévoles qui viennent nous aider. Comme comme les regroupements sont interdits, il n’y aura, bien entendu, pas de buvette.
Et nous avons dû renoncer à un spectacle comme Le Grand débarras. Petit-vide grenier nocturne et pas pareil de Pascal Rome avec douze comédiens et il va nous proposer autre chose. Impossible aussi de présenter Delinus 03, d’une compagnie néerlandaise avec son minibus pour deux personnes, sans vraiment d’horaires mais qui fournit un excellent service et où il y a toujours de la place pour un de plus !

Pour le championnat d’alpinisme horizontal sur la plage, il sera cette année très encadré et il n’y aura pas d’ascension en duo…

Mais maintenir l’activité de ce festival et bien entendu toute son économie ne me fait pas peur. Même si une troupe japonaise a dû annuler sa tournée: c’était trop compliqué…

-Quand on lit votre programme, on est étonné par le nombre de spectacles gratuits comme autrefois au festival d’Aurillac… Comment vous en sortez-vous ?

-Nous avons des subventions de la ville de Saint-Georges de Didonne, du Département, de la Région, etc. Et nous ne courrons pas après les spectacles de vedettes qui exigent en général d’importants moyens techniques et… des cachets exorbitants. Quand j’ai pris en 2016 la direction du festival Humour et Eau salée, j’ai fait de nouveaux choix et programmé entre autres La Conférence de Joe Houben, mais le titre même de ce remarquable solo avait dû faire peur et il y avait peu de public, alors qu’il est très drôle! J’ai parfois l’impression que dans notre société, tout le monde a peur de tout et de tous mais notre rôle, à nous programmateurs et directeurs de festivals, est, je pense, d’apprendre au public à n’avoir pas peur de ce qui est différent.

Quant à la durée, une semaine du 1 er au 7 août, avec quatre ou cinq spectacles par jour et cette année, de petites jauges d’une cinquantaine de personnes, cela me semble être la bonne mesure. Le public peut prendre du bon temps, en allant à la fois voir des spectacles et se balader. Nous avons le bonheur d’avoir de très grandes et belles plages…

-Quel est le public pour une manifestation atypique de ce genre et comment choisissez-vous les spectacles ?

– Un public à la fois local et de «néo-arrivants», comme on dit en général des retraités  qui ont choisi d’habiter ici mais aussi de Bordelais et Parisiens qui ont à Saint-Georges de Didonne ou à proximité, une résidence secondaire

fradaric fromet-chante

frédéric fromet

 Et j’essaye de faire de propositions qui rassemblent les gens. Avec entre autres cette année pour la clôture du festival Frédéric Fromet qui chante l’amour au moins pendant cinq minutes et qui a été révélé au grand public par sa chanson hebdomadaire sur France-Inter. Cet humoriste n’épargne rien ni personne, et, sur scène,  il est encore plus drôle, plus vif, et plus profond aussi.

Mais il y aussi de la place pour la poésie comme avec Nyx du néerlandais Givjs van Bon dont la machine écrit de la poésie émettrice de lumière dans l’obscurité totale, en continu pendant trois heures.

g0030409Lettre après lettre, le texte lumineux s’écoule lentement au sol rougeoyant dans la rue. et que le public lit avec une grande attention. J’essaye que ce festival soir diversifié et cette année il y aura Soli Solo Saga de Bernard Lubat,un spectacle musical, clownesque et néanmoins philosophe… Entre Pierre Desproges et Thélonius Monk avec des chansons « enjazzées » et des textes « entchachés ». Et Fred Tousch, « seule » en scène, réglera tous les problèmes du monde, sans exception. Une performance chantée et narrée par le plus improbable des comédiens, poètes et philosophes de l’absurde, une fable néo-punk déjantée, tout public et gratuite.

Comme à Avignon, la vie l’été reste jeune grâce en partie aux acteurs des compagnies venues jouer. Nous avons environ entre 7.000 et 10.000 spectateurs sur la durée du festival.

 Et comme tous les directeurs de structures culturelles et de festivals, je vais « faire mon marché » comme on dit, dans le off d’Avignon et au festival d’Aurillac, je regarde aussi les vidéos que les artistes m’envoient. J’essaye aussi de proposer des créations après une résidence,  comme cette année après une semaine sera créé le concert d’ouverture par la compagnie Jazzigottos, une rencontre jouissive avec trois géants de l’humour musical.. Hébergements, aide financière, mise à disposition d’un lieu, c’est selon…

-Dernière question rituelle : comment voyez-vous l’avenir du spectacle et du théâtre en salles ou à l’extérieur ?

-Il y aura sans doute un rapport de force entre ceux qui voudraient que les places coûtent moins cher et ceux qui voudraient que les tarifs soient augmentés vu la pandémie et donc le nombre limité de spectateurs. Il me semble que c’est un rapport de force utile, voire indispensable. Nous sommes un pays qui a une force unique : celle de posséder un parc culturel exceptionnel. Il faut à tout prix préserver cette flore artistique et je me bagarre pour qu’ici, le festival se conjugue avec le tourisme.

 17635479Pour qu’un spectacle marche bien,  il n’y a pas de recette miracle mais plusieurs paramètres à respecter: il faut qu’il soit bien choisi, qu’il puisse faire bouger le public et, chose très importante, que le lieu soit suffisamment identifié dans la ville.  Cela dépend d’un désir, de l’air du temps, de l’envie de transmettre quelque chose. Mais un événement peut avoir un beau succès avec, finalement, peu de public comme cette balade de gens nus dans une prairie qui avait aussi eu lieu au festival d’Aurillac… Mais nous avons eu du mal. Peu importe, le fait qu’on puisse à un moment d’un festival faire réfléchir sur la nudité, me semble important. C’est un vrai travail personnel sur le corps qui peut amener les gens à être plus décontractés. Mais bon, le public est parfois un peu frileux et quand il y a eu à Royan une exposition de photos de couples homosexuels ou de couleur, certaines d’entre elles ont été lacérées…

 Philippe du Vignal


Archive pour mai, 2020

Un moment de saturation…

Un moment de saturation…

stage-1248769__340On en arrive à un moment de saturation, où nous, citoyens de base nous n’en pouvons plus de la campagne d’infantilisation à laquelle on voudrait nous soumettre. Après les lois d’urgence, voici  les lois sanitaires… Les crétins sur-diplômés qui  nous gouvernent,  en proposent d’aussi contradictoires qu’absurdes…

Nous lançons ce message aux directeurs de salle et à Franck Riester, ministre de la Culture  : le théâtre n’est pas que le théâtre avec billetterie, réservations et sièges rouges, c’est aussi un art de place publique,  un art  de rue libre,  un art  de place de village, de parvis de cathédrale.

 

Le Grand cirque des sondages par la compagnie Annibal et ses élépants

Le Grand cirque des sondages par la compagnie Annibal et ses éléphants

Il aime s’épanouir librement dans les espaces publics sous le ciel  et nous avons fabriqué à vue  le 26 mai  dernier (voir Le Théâtre du Blog) sur la place de la Révolution à Besançon une grandiose image autour d’un cercueil, symbole pour nous des errements du gouvernement et de ses médecins qui nous empêchent d’enterrer nos morts, mais qui, en même temps, autorisent l’ouverture du parc du Puy du Fou…

Jacques Livchine

Quoi, on passe une soirée…

Quoi, on passe une soirée…

 

Sidonie-Gabrielle Colette dit Colette

Sidonie-Gabrielle Colette dit Colette

« Je me demande à moi-même, ayant vu les pièces gaies de la saison, si la gaîté française ne va pas mourir de son propre rire…Indulgent, un de mes voisin disait, en sortant du théâtre : « Quoi, on passe une soirée… » Oui ? Mais y en a-t-il beaucoup, dans une salle, de ces résignés, ces abandonnés d’eux-mêmes, pour qui l’essentiel est de laisser fuir le temps, de regarder, immobiles, quelque chose qui bouge à peine, de rire par veulerie et approuver par détachement ?
Pour moi, une soirée est une tranche de temps pleine encore d’espoirs, de possibilités merveilleuses. C’est trois heures, quatre heures, des centaines de minutes, un sable précieux… Bonne ou exécrable, je l’accueille, pourvu qu’elle supporte, emporte, son poids, son volume et sa saveur.
L’ennui a du moins son amertume, et me la laisse aux lèvres. Mais qu’est-ce qu’une soirée théâtrale qui libère à minuit une foule incertaine, point courroucée d’avoir sondé le mou, le prévu, le facile, gorgée de lieu commun, d’aphorisme douceâtre et de quelle désinvolture, de quelle légèreté… Ni courroucée, ni même ennuyée, car M. P… ne manque pas de métier, n’est pas maladroit. »

C’était vous l’aviez peut-être deviné,  un texte étonnant… Sidonie-Gabrielle Colette dit Colette, sur les risques du métier de critique. À l’attention des metteurs en scène et des compagnies : il ne suffit pas d’avoir « du métier ». Au centre du théâtre, il faut que quelque chose se passe. Mieux, qu’elle se produise, bref, se crée: on ne cesse de parler de création!  Du nouveau, du jamais entendu, de l’inédit, même quand il s’agit des classiques. Pas de l’original pour de l’original, mais une pensée, en paroles, en gestes ou en objets ou les trois à la fois, et même les quatre en comptant l’espace.

 Une rencontre plus ou moins brutale par le rire, la gêne, pourquoi pas la colère, avec ce que l’on vit et qu’on ne discernait pas aussi clairement avant cette rencontre théâtrale.

Voilà le travail : créer des évidences, même minuscules, mais justes et éclatantes. Allez, on y va ?

Christine Friedel

*Colette, 19 mai 1935, in La Jumelle noire, collection Bouquins, tome III. 

 

Des nouvelles de Meredith Monk…

 

Des nouvelles de Meredith Monk…

Meredith Monk… Nous l’avions connue il y presque cinquante ans à New York et nous n’avons jamais  perdu de vue cette figure insolite du paysage artistique américain qui donna un récital à Paris il y a quelques années à la Fondation Cartier (voir Le Théâtre du Blog). Compositrice et chanteuse mais aussi danseuse, chorégraphe et metteuse en scène, elle a créé à Houston  (Texas) un grand opéra: Atlas (1991) mais aussi des spectacles dans les rues de sa ville natale et réalisé plusieurs films.

Son travail  artistique participe à la fois du chant, de la musique, du théâtre, de la danse.  Et elle est considérée comme l’une des compositrices et interprètes les plus originales avec des innovations vocales: chuchotements, cris, grognements, sanglots, chant diaphonique. Meredith Monk elle possède un ambitus de trois octaves: du mi-bémol grave au contre mi-bémol. Elle a reçu la National Medal of Arts 2014, la plus haute distinction américaine en matière artistique, des mains du président Obama.

Parmi ses œuvres vocales les plus connues: Juice: A Theater Cantata pour 85 voix, jaw harp et deux violons (1969, Vessel, An Opera Epic pour 75 voix, orgue électronique, dulcimer et accordéon (1976), Dolmen Music pour six voix, violoncelle, percussion (1979), Book of Days pour 25 voix, synthétiseur, piano ou 7 voix, synthétiseur (version de chambre) (1985), Atlas: An Opera in Three Parts pour 18 voix et orchestre de chambre (1991), Magic Frequencies pour 6 voix, 2 claviers, percussion (1999), Impermanence pour huit voix, piano, clavier, marimba, vibraphone, percussion, violon, plusieurs instruments à vent de la famille des bois, roue de bicyclette (2000)Songs of Ascension pour ensemble vocal et quatuor à cordes (2006), Weave pour voix solo, chœur et orchestre (2010). Elle admire beaucoup la musique de compositeurs comme Steve Reich, Charlemagne Palestine et La Monte Young et se sent proche d’Henry Cowell, un compositeur emblématique des indépendants américains.

Meredith Monk, nous a-t-elle souvent dit, a été influencée par un certain mysticisme extrême-oriental. Et elle a toujours voulu faire un travail scénique. Elle a travaillé au Judson Dance Theater fondé par la grande Anna Halprin à New York en 1962  et a fait partie des happenings imaginés par Yvonne Rainer ou Trisha Brown… Et tous ses spectacles ont une couleur chorégraphique.
A 77 ans, cette frêle petite femme possède une incroyable énergie spirituelle et toujours aussi passionnée par le travail de la voix, continue à enseigner… Comme elle le raconte dans cette belle lettre pleine d’enthousiasme malgré le confinement qui sévit aussi dans son pays…

Philippe du Vignal

 

Photo Julia Cervantes

Photo Julia Cervantes

Chers amis,

J’espère que vous êtes en bonne santé et que vous avez  passé des moments de joie pendant cette étrange période de combat. Cela a été une épreuve de résilience, de courage et de compassion pour nous tous. J’ai pensé que la réalité était amplifiée par cette pandémie. L’incertitude et le caractère transitoire sont toujours les conditions sous-jacentes de nos vies, mais c’est juste que d’habitude, nous n’en sommes pas conscients. La crise m’a donné l’envie de chercher en moi de nouvelles manières de faire, et de partager mon travail. Je leur suis reconnaissante  de  chaque instant que mes proches m’ont donné.

Cette lettre  est un remerciement qui vient du cœur pour tous vos encouragements, pour votre confiance en moi et en mon travail au cours des années. En ce moment, je travaille dur sur ma nouvelle pièce Indra’net qui parle  de l’interdépendance, de la cause et de l’effet, et de la relation. J’ai travaillé là-dessus pendant  dix ans et cela me parait avoir aujourd’hui une pertinence et une résonance particulières.

Je suis très enthousiaste à l’idée de voir comment cela va grandir et se développer. Moi, avec les membres de l’équipe du Vocal Ensemble et de la House Foundation, sommes en train d’explorer de nouvelles voies de partage de travail avec vous. Au printemps dernier, j’ai dirigé deux classes à Harvard avec Katie Geissinger, ma merveilleuse partenaire enseignante qui est depuis longtemps membre du  Meredith Monk & Vocal Ensemble.

Quand la pandémie a frappé, nous avons dû  enseigner en ligne: un pari fou mais intéressant. L’un de nos cours de premier cycle était une classe de chorale où les étudiants devaient apprendre une séquence de ma musique pour la chanter en concert à la fin du mois d’avril. Bien entendu, il a été annulé et depuis nous sommes actuellement dans l’impossibilité de  chanter ensemble. Nous avons donc décidé de réaliser un concert virtuel par vidéo. Je suis très fière de ces jeunes chanteurs qui ont appris leur partition chez eux et ont travaillé voix par voix, avec nous dans la classe. Ils ont eu le courage de plonger dans cette nouvelle expérience. J’espère que vous prendrez plaisir à voir Champs/Nuages, une vidéo avec la musique que j’ai composée, chantée par la classe 184 du  Collège de musique de Harvard.

Meredith Monk

(traduction Ph. du V.)

https://vimeo.com/422857659/317bfec280
https://open.spotify.com/playlist/7a1scutDX6nOhMXx6QmBFA?si=XP2p-iJRQveadUBB0gtvKg

 

Les ex-confinés du Théâtre du Blog parlent aux ex-confinés: Sébastien Bazou, spécialiste des arts de la magie

Les ex-confinés du Théâtre du Blog parlent aux ex-confinés: Sébastien Bazou, spécialiste des arts de la magie

-Comment avez-vous vécu ce confinement?

- Plutôt bien, et je travaille tous les jours selon un plan de travail que je me suis fixé. Lever à 6h ; rédaction d’articles  à la fraîche … comme Paul Claudel en Chine. Puis petit déjeuner des enfants et surveillance de leurs devoirs. Déjeuner et promenade digestive. Détente au jardin et ensuite de nouveau travail: soit la redécouverte de valeurs simples qu’on avait, je crois, un peu perdues…

_ Question rituelle: les conséquences du corona virus dans votre domaine ?

- La majorité des magiciens sont intermittents ou auto-entrepreneurs et beaucoup ont aussi un second métier dont ils vivent principalement. Vous serez sans doute étonné de savoir qu’il y a pas mal de médecins ou pharmaciens… En ce moment les réseaux sociaux fonctionnent à plein rendement, avec des ventes de conférences: les magiciens expliquent leurs tour en détail  mais  bien entendu moyennant finances… Ce qui leur permet  non d’en vivre mais de vivoter en attendant mieux. Un certain nombre travaillent aussi à préparer de nouveaux numéros scéniques et montent des projets. Mais bien entendu, la fermeture des lieux de spectacle a entraîné comme pour le théâtre, la danse, etc. l’annulation de tournées  en salle comme ailleurs…

- Et l’avenir?

- A court terme, se posera la question de la relation avec le public ! Dans la magie interactive dite « close up » en bon français, c’est à dire à moins d’un mètre le plus souvent du public, il va falloir tout repenser. La balle mousse ou la flamme qui apparait subitement dans la main  ou le choix d’une carte dans un paquet:HervŽ Troccaz - magicien 2  (Crédit Hervé Troccaz) on sera obligé d’oublier tout cela, je le crains, pendant encore un bon moment…
Mais les magiciens ont toujours eu un temps d’avance sur leur public qui ne connait jamais la finalité d’un tour: c’est le principe même de leur art. Et au cours des âges, ils ont toujours réfléchi à des solutions et se sont vite adaptés. Y compris quand ils ratent un de leurs tours…  qui ne sont pas du tout  les mêmes sur scène que dans la proximité  immédiate.  Et en ces temps de précautions sanitaires maximum, on ne voit pas bien comment on pourrait faire choisir une carte sans la toucher, à moins de tout désinfecter à coup de gel hydro-alcoolique!

Magicien de rue à La Paz en Bolivie

Magicien de rue à La Paz en Bolivie

Mais on peut penser à d’autres solutions comme un choix sur écran… De toute façon, une chose est sûre: il faudra travailler autrement et dans une  autre relation avec les spectateurs.

- Vous pensez que le grand public  qui, on le voit chaque année dans le off à Avignon où les places s’arrachent, est absolument fasciné par la magie, finira par revenir?

-Oui, je n’ai pas trop d’inquiétude, le public a besoin de contact et de partage d’émotion. On voit déjà de nombreux artistes qui ont investi la rue comme cela existait déjà avant, notamment aux Etats-Unis où je vais régulièrement voir des spectacles à Las Vegas. Il y a là-bas une très importante communauté de magiciens.
Et des producteurs ont investi dans des “drive magic” sur des aires de stationnement de supermarchés. La voiture d’un client passe devant un numéro de magie à proximité immédiate mais, comme les vitres du véhicule doivent rester fermées, il n’y a aucun risque. Et en plus, c’est gratuit: le supermarché… qui a tout à y gagner,  rémunère le magicien. Le drive est plus dans la culture anglo-saxone que dans la nôtre mais  à Bordeaux, on a vu renaître un cinéma en drive…
De toute façon, la magie saura s’adapter et  ce n’est pas le corona qui la fera disparaître…

Philippe du Vignal

Association ArteFake 16, rue Henri Gérard, 21121 Fontaine-lès-Dijon.

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Adieu Guy Bedos

Adieu Guy Bedos

 Il avait 85 ans; d’origine algéroise, il était arrivé à Paris à quinze ans avec sa mère et son nouveau mari. Et il fut vite reçu  à l’Ecole de la rue Blanche (maintenant l’E.N.S.A.T.T. à Lyon). Déjà engagé politiquement, après avoir fait une grève de la faim, il fut réformé et réussit ainsi à échapper au service militaire- c’est à dire à la guerre d’Algérie! – qui était alors de trente six mois !

Et il commença à participer comme humoriste dans des émissions de télévision et il fit plus tard en 66 un duo bien connu d’humoriste avec Sophie Daumier qui était née en 1934 et est morte en 2004 d’une maladie génétique incurable) c9bcdd5164131d4349cae3d8a3ae2cfd1246471578311501avec laquelle il se mariera. Jacques Prévert lui conseilla d’écrire des sketchs. Ce qu’il commença à faire mais jouera aussi au cinéma. Et on put le voir notamment dans Les Tricheurs de Marcel Carné en 58 ou dans Ce soir ou jamais de Michel Deville trois ans plus tard. Et surtout dans Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert qui le consacra, puis dans sa suite Nous irons tous au paradis. Et  il joua dans une quarantaine de films. Il épousera ensuite Karen Blanguernon dont curieux hasard, nous vous parlions récemment ( voir Livres et revues dans Le Théâtre du Blog).

Karen Blanguernon

Karen Blanguernon

Côté théâtre, il fit déjà une mise en scène à dix-sept ans d’Arlequin poli par l’amour de Marivaux avec ses camarades de la rue Blanche, des inconnus comme… Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Marielle, Michel Aumont. En 1965, Guy Bedos est à Bobino avec Barbara. Et dans un sketch avec Muriel Robin. Puis on le vit dans plusieurs texte de lui  et de son fils Nicolas; mis en scène par Jean-Michel Ribes  (2003) ou  l’année suivante dans Sortie de scène de Nicolas Bedos, mise en scène  de Daniel Benoin au Théâtre national de Nice ou Rideau encore un texte de lui, mise en scène de Roger Louret.  Ou dans Moins 2 de Samuel Benchetrit une pièce pas bien fameuse au Théâtre Hébertot (voir Le Théâtre du Blog).  Mais il joua aussi magnifiquement en 93 à Chaillot le rôle-titre de La résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, avec Bernard Ballet, Jean-Pierre Kalfon et Valérie Vogt dans une des meilleures mises en scène de Jérôme Savary .  

Guy Bedos n’a jamais caché  ses préférences pour la gauche.th Comme il le raconte dans Mémoires d’outre-mère, il eut des rapports plus que difficiles avec une mère pétainiste et surtout avec un beau-père raciste, ce qui contribua sans doute à lui forger une conduite politique engagée dès sa jeunesse. «Le premier gouvernement que j’ai eu à subir, c’est ma mère et mon beau-père. Ma constance dans la rébellion vient de là.» Et ce fut la ligne de vie de cet acteur engagé et volontiers polémiste qui n’avait pas peur de prendre des coups. Et il dut faire face à de nombreux deuils parmi ses proches. Rebelle assumé, il  ne soutenait aucun parti et reconnaissait que, politiquement, on était le plus souvent obligé de choisir entre deux inconvénients! Pas mal vu…

Guy Bedos avec les ouvriers d'Arcelor Mital Photo X

Guy Bedos avec les ouvriers d’Arcelor Mital
Photo X

Et c’est tout à son honneur, il avait soutenu l’association Droit au logement et était membre de La Ligue des Droits de l’homme et demandera aux candidats à l’élection présidentielle de déposer un projet de loi pour légaliser l’euthanasie. 
Il écrivit souvent dans Siné Hebdo, un magazine satirique créé par le dessinateur Siné. Ce polémiste infatigable et très populaire tirait à boulets rouges sur toux ceux qui avaient un quelconque pouvoir social ou politique et qui n’avaient pas l’heur de lui plaire… On se souvient notamment de son spectacle en 2013, quand il s’en prit à l’ancienne ministre Nadine Morano qui le poursuivra en justice  mais il sera relaxé… Et la Cour de cassation la déboutera de ses poursuites contre l’humoriste.

Adieu Guy Bedos, vous n’aurez pas survécu très longtemps à votre ami Jean-Loup Dabadie, auteur et scénariste mort il y deux semaines. Vous avez eu une vie bien remplie et votre présence nous manquera surtout dans le paysage du spectacle actuel… «Il était beau, il était drôle, il était libre et courageux, a dit son fils Nicolas. Comme je suis fier de t’avoir eu pour père. Embrasse Desproges et Dabadie, vu que vous êtes tous au Paradis. » Nous aussi, on aimait bien son insolence et sa générosité…

Philippe du Vignal

 

 

 

 

L’impact de la Covid 19 sur l’économie du spectacle

 

L’impact de la Covid 19 sur l’économie du spectacle

 YE,  cabinet d’audit  et d’expertise comptable, publie une étude quant aux effets de la pandémie sur le spectacle privé.  A partir de chiffres  en provenance  du Syndicat national du spectacle musical et de variétés (PRODISS) et d’autres professionnels du secteur privé.

« La perte totale de chiffre d’affaires cumulé pour le secteur privé a atteint 590 M€ entre le 1er mars et le 31 mai», ce qui laisse augurer de plus gros dégâts étant donné la durée du confinement. monalisa-4893660__340-2Et un report paraît souvent  impossible, notamment pour les spectacles internationaux et ceux qui sont exploités sur le long terme.  Il faut en effet tenir compte du nombre d’événements annulés au printemps et à l’été qui ne pourront donc s’ajouter à la programmation déjà chargée en automne des lieux d’accueil.

 Ces pertes colossales de chiffre d’affaires mettent en question la pérennité, voire l’existence, de nombreuse entreprises du spectacle privé, le secteur devant assurer des dépenses  de budgets déjà engagés pour certaines réalisations qui ne verront pas le jour… Autre source d’inquiétude pour ces entreprises qui sont majoritairement des P.M.E. à la marge nette moyenne très faible : selon elles, seulement 8% des spectacles seront couverts par les assurances… L’étude estime qu’au total, 37. 900 personnes vont être directement touchées par ces annulations de spectacle, à différents degrés selon leur statut (permanents  ou intermittents) et selon la perte effective de cachets et d’heures travaillées, ce qu’il n’est pas possible d’estimer en l’état actuel de la situation.

 Toujours selon YE , précise La Lettre du spectacle dans un communiqué  : « On craint la destruction de 26. 000 emplois en 2020 : soit 22.000 emplois d’artistes et techniciens intermittents et  4.200 de salariés permanents. » A suivre …

 Mireille Davidovici

 http://www.prodiss.org/sites/default/files/atoms/files/ey_prodiss_impact_du_covid19_mars_2020_vf.pdf

Entretien avec Simon Delétang

 

Entretien avec Simon Delétang

 Lors de la pandémie qui a secoué la France et tant d’autres pays, blessant fort le Grand-Est, le conseil d’administration du Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher a décidé avec son directeur Simon Delétang et avec François Rancillac, responsable de l’Association du Théâtre, et bien sûr, les partenaires publics qui soutiennent le Théâtre, d’annuler la saison d’été 2020. La saison est considérée comme blanche par Simon Delétang, et son mandat qui devait prendre fin en 2021 est prolongé d’un an pour que se réalisent les quatre spectacles prévues cet été. Hamlet  de Shakespeare et  Hamlet-Machine de Heiner Müller est reporté à 2022, l’été 2021 étant déjà programmé. Comme (Hamlet, à part) conçu par Loïc Corbery de la Comédie-Française.

uhSQL37mkJRB_eAyYOqvjWtnb9HDkJzge9lPKHIcR7AWwemCWrkDrQFk3aee78aM71dnBQ=s130Simon Delétang, lui, mettra en scène les deux premières œuvres en résonance étroite : une démarché inspirée par le geste qu’Heiner Müller lui-même avait proposé à Berlin, au moment de la chute du Mur. D’abord avec le texte de William Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, avec Stéphanie Schwartzbrod, Loïc Corbery, Fabrice Lebert, Anthony Poupard, Georgia Scalliet de la Comédie-Française. Mais aussi les comédiens amateurs du Théâtre du Peuple. Et il montera aussi Hamlet-Machine d’Heiner Müller, traduction de Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger, avec les mêmes comédiens déjà cités. Enfin, (Hamlet, à part) sera conçu et interprété par Loïc Corbery à partir du texte de William Shakespeare et d’autres. On se souvient du comédien beckettien au Studio de la Comédie-Française, au plus près de sa collection de vinyles, écoutant des enregistrements fondateurs choisis.

 Entretien avec Simon Delétang

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

-L’annulation et le report de l’ensemble du programme d’été se sont  imposés…

 -Oui, nous avons davantage pris conscience, les jours passant, de l’impossibilité à tenir cette manifestation estivale dans des conditions sanitaires acceptables. Les répétitions auraient dû commencer le 1er juin mais le nombre de salles de bains, par exemple, n’est pas suffisant et la la restauration qui se fait sur place, pose problème. Comment alors assurer des répétitions avec une équipe aussi nombreuse : sur le plateau, en coulisses, dans les bureaux, aux cuisines, à la billetterie, à l’accueil. Elle œuvre des semaines à la naissance d’un spectacle…  Et il faut assurer dignement l’accueil d’un très large public avec toute la convivialité si appréciée au Théâtre du Peuple. Le public qui donne vie à la manifestation, aurait-il été motivé pour venir dans ces conditions?

-Comment allez-vous aujourd’hui ?

 -Je n’ai pas été malade et le confinement dans les Vosges est loin d’être désagréable : on voit les arbres majestueux par la fenêtre. Quand la pandémie a sévi, nous étions dans la construction des décors, pratiquement achevés, aux ateliers de la Comédie de Saint-Etienne.  L’arrêt de l’entreprise technique et artistique a été un vrai drame. Mais, comme le programme de cet été a été reporté en 2022, les spectacles et leurs décors ne sont pas perdus. La phase la plus dure est passée, entre la décision d’annulation du programme puis son report, et la nécessité d’indemniser les intermittents et les saisonniers. On entame une phase nouvelle où on retrouve un peu plus ses nerfs.

-Comment se traduit cette engouement retrouvé ?

- Nous aimerions présenter, avant la fin de l’été, une petite forme d’une demi-heure sur le site du Théâtre de Bussang pour les spectateurs de la région… Une façon de rouvrir le théâtre dans un rapport inversé, puisqu’ils seraient assis à l’extérieur, dans la toute proche forêt vosgienne : ce fameux fond de scène du théâtre de Bussang que  tout le monde admire… Assis dans la verdure et la fraîcheur des arbres feuillus, ils verraient, alors depuis ces hauteurs boisées, le plateau, les sièges… Mais c’est une hypothèse de travail et on verra ce que l’on peut faire, en fonction des contraintes sanitaires strictes pour un public d’une trentaine de personnes…

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-Et le programme 2021 ?

 -Je devais faire un spectacle avec les élèves qui sortiront l’an prochain de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon (E.N.S.A.T.T.) Mais l’ensemble du programme 2020 a été reporté  à 2022.
J’adapte pour la scène Leurs Enfants après eux, un roman de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, L’auteur vit à Nancy et est un spectateur fidèle des étés à Bussang.
L’action se situe en Lorraine du côté des hauts-fourneaux mais ce récit politique entre en résonance  avec toute la région et il est, je crois, universel. J’ai le même âge que l’auteur, les mêmes enfance et adolescence… Le spectacle se fera avec quatorze acteurs et aura trait à la jeunesse. En 1992, les hauts fourneaux ne fonctionnent plus depuis longtemps : une vallée de petites villes aux zones pavillonnaires et  aux Z.A.C. bétonnées rend l’âme et doit trouver une nouvelle voie.
En toile de fond : des fêtes foraines, des travailleurs et travailleuses usés avant l’heure, un sentiment partagé de déclin et de rage… Mais aussi la nécessité d’une véritable décence

-Et avant l’été 2021 à Bussang ?

  -J’ai d’autres créations en vue pour la saison qui vient. A Paris, notamment et à la Comédie de Colmar, avec de petites formes, des monologues dynamiques à jouer dans les collèges : entre autres, une adaptation de Construire un feu de Jack London…

Véronique Hotte

Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, Bussang, Vosges.

La Conjuration des jardins, Enterrer les morts, Réveiller les vivants

La Conjuration des jardins, Enterrer les morts, Réveiller les vivants

Deux cent acteurs des compagnies franc-comtoises, plutôt jeunes et tout habillés de noir, se sont rassemblés place de la Révolution à Besançon, isolés les uns des autres et bien entendu masqués, selon le strict respect des consignes sanitaires. Ils  occupent un large cercle. Tout autour des groupes de moins de dix spectateurs donc respectant là aussi ces mêmes consignes…

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Arrive un cercueil porté par quatre acteurs, qu’ils déposent sur des tréteaux au centre de la place. Pendant que résonne le célèbre et magnifique Messie de Friederich Haendel. Les services de sécurité essayent  de disperser tout le monde mais finalement laisseront ce happening se dérouler comme prévu. Tous les acteurs restent chacun dans un rond, qu’ils forment de la farine puis s’en saupoudrent avec la main  gauche,  puis enlèvent leur masque. Immobiles, ils se frappent la poitrine pour  faire voler la farine. Camille et Césaire brandissent des drapeaux avec côté face: Enterrer les morts et côté pile: Réveiller les vivants…

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Public et acteurs restent silencieux; on entend le kaddish d’Armand Amar un rituel klezmer polonais chanté aux enterrements. Finalement, personne ne sera inquiété par la Police pour ce splendide hommage funéraire.

Ce fut un beau moment revigorant que cet acte poétique avec un ciel bleu et la joie d’être ensemble. Le public était  visiblement touché…

 

 


Edith Rappoport

Place de la Révolution, Besançon (Doubs)  le 26 mai.

Résumé filmé https://youtu.be/GoEO2PHIURY

A l’Université populaire, un article d’une collègue critique dramatique

A l’Université populaire, un article d’une collègue critique dramatique

C’est le meilleur théâtre de Paris, le plus riche et le plus varié. La Comédie-Française, l’Odéon, au besoin, l’Opéra et l’Opéra-Comique lui fournissent des vedettes, Le Parlement et l’Académie des conférenciers. Il y a des chiens savants, des jongleurs ; c’est le seul endroit où les mimes prennent la parole et où l’on voit, comme dimanche soir, des chansonniers débuter dans la pantomime.

 

L'Ecole des femmes, mise en scène  au Théâtre de l'Odéon de Stéphane Braunschweig en 2018

L’Ecole des femmes, mise en scène au Théâtre de l’Odéon de Stéphane Braunschweig en 2018


Et que parlez-vous de « troupes homogènes » ? L’interprétation de L’École des femmes rassemblait des comédiens de l’Odéon, du Fémina, de l’Athénée, autour d’une surprenante Agnès, une fluette enfant du faubourg, touchante et neuve, et pas même maquillée sous sa cornette de linge. La bonne volonté ébauche, à l’Université populaire, des miracles que le public parachève. Car le « meilleur théâtre de Paris » s’emplit du « meilleur public ». Il n’y en n’a pas de plus avide de plus sensible. Si la flatterie le blesse, s’il se replie sous la cordialité maladroite, il attend et reçoit la parole de l’orateur ou du comédien comme une chose précieuse et tangible ; certains visages tendus ont l’air, sur les bancs les plus proches de la scène, de vouloir happer un fruit.C’est véritablement l’élite intelligente d’un peuple qui se rassemble ici, respectueuse des textes qu’on lui lit, courtois au point de se retenir, jusqu’au baisser du rideau, la toux et les applaudissements. Presque tous ceux qui viennent passer ici la soirée sacrifient quelques heures de leur sommeil. Ils portent encore sur eux, hommes et femmes, des brins de fil, des paillettes de métal fondu, de taches de vernis ou d’acide. La plupart des femmes et des jeunes filles appartiennent à la fine race de Paris, qui a des petites mains et des yeux vifs. Dimanche soir, parmi la foule qui s’écrasait dans la salle et montait le long des murs comme une eau refoulée, il n’y avait pas un seul homme qui eût « un verre de trop ». Et il faut bien que l’Université populaire soit un lieu unique, où le zèle des camarades machinistes, des camarades figurants, des camarades metteurs en scène est si contagieux qu’on pouvait, ce même dimanche, sous l’apparence un peu poudreuse d’un accessoiriste improvisé qui portait bravement une échelle, reconnaître M. Simyan, ancien ministre, rapporteur du budget des Beaux Arts.

Jeu : de quand date ce texte? Sûrement pas d’hier mais peut-être d’après-demain, quand quelques-uns auront retrouvé le goût du théâtre populaire. Comme l’annonce pour « après », parmi d’autres,  le Théâtre de la Ville à Paris, avec son programme :Tenir Parole. À savoir: être fidèle à ses engagements et donner toute sa place à la parole et à la connaissance.

Chiche : voici venu le moment de travailler et beaucoup s’emploient en ce mois de mai pas encore réellement déconfiné, à ce que le théâtre ressurgisse de l’ombre. Là encore, on n’y peut rien, mais le mot est sévère. Suffit !  Assez d’ombre ! On aimerait bien, puisque ministre de la Culture il y a, que Frank Riester fasse un peu la lumière sur sa politique. Mais les artistes n’attendent pas, contre peurs et rumeurs et avant tout contre la démagogie, « la flatterie qui blesse,  la cordialité maladroite » AVT_Sidonie-Gabrielle-Colette_8570

De qui, cet article, plein d’une heureuse confiance dans les artistes et un peuple curieux, intelligent, joyeux, ni méprisé ni méprisant ? De l’écrivaine Colette  (paru dans Le Matin en février 1914. Elle n’a jamais été, jamais voulu être une « tête politique », mais, ce jour là une belle politique culturelle s’est imposée à elle, tout simplement. Ce texte a été  de nouveau publié en 1918, rassemblé avec d’autres où elle relate l’arrestation de la bande à Bonnot, la visite du roi d‘Angleterre sous le titre : Dans la foule. Où l’on voit la différence entre foule et… peuple. Colette a été ensuite chargée de la critique dramatique à L’Eclair en 1918.

Christine Friedel

On trouvera Dans la foule, dans le premier volume des œuvres de Colette, (1873-1954) collections Bouquins, Robert Laffont, 2019.

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