Entretien avec Denis Lecat, directeur du festival Humour et Eau salée
Entretien avec Denis Lecat, directeur du festival Humour et Eau salée de Saint-Georges de Didonne
Comédien et auteur, il fut chargé de mission pour le Développement culturel en milieu rural à la Communauté de communes du bassin de Marennes en Charente-Maritime puis a été chargé de programmation de spectacles au Conseil départemental des Côtes-d’Armor de 2004 à 20113. Et il a ensuite dirigé de 2011 à 2013 l’association Le Nombril du monde, dans les Deux-Sèvres.
Il est depuis quatre ans directeur de l’association culturelle CREA, du nom charentais de l’esturgeon…
-Vous avez plusieurs missions dont celle d’imaginer et de gérer pendant une semaine au début août le festival Humour et Eau salée…
– Oui, cette association contribue depuis 1986 au rayonnement culturel du territoire, avec d’abord, ce festival à la fois dedans et dehors, dont j’assure la direction depuis trois ans. Et une saison culturelle avec trente à quarante spectacles à la salle Bleue de Saint-Georges de Didonne (276 places) et à la Salle multiculturelle de Breuillet (300 places). Nous avons aussi Le Relais, un cinéma classé Art & Essai, et labellisé Jeune Public, Patrimoine et répertoire, Recherche et découvertes; il est membre du réseau Cinéma Europa, à la salle Jacques Villeret. Et depuis l’an passé, nous avons le cinéma Le Cristal à Ronce-Les-Bains. Et chaque année, un évènement festif, participatif et citoyen à la rentrée de septembre: Et toujours en été… et un festival de cinéma Jeune Public, Les P’tits devant l’écran !
- Et cette année, vous avez quand même pu programmer le festival Humour et Eau salée?
– Oui, mais nous allons, comme les autres, devoir nous adapter, même si ce n’est pas simple. Nous attendons, de toute façon, les directives concernant les mesures sanitaires rendues obligatoires par le gouvernement. Pour le moment, comme vous le savez, les salles restent fermés au public. Et le rapport du professeur François Bricaire, chef de service honoraire d’infectiologie, remis à l’Elysée il y a un mois, a été commandée par le groupe Audiens pour imaginer les grands principes permettant au secteur culturel, de reprendre ses activités après le déconfinement. Il propose des mesures très strictes: le plus difficile étant de protéger les spectateurs surtout dans des lieux clos: un mètre cinquante entre chacun, port du masque obligatoire, nettoyage et ventilation des théâtres… Cela dit comment s’assurer que le port du masque sera bien respecté quand une salle est dans le noir ! C’est aussi à chaque spectateur de prendre ses responsabilités…
Les festivals et manifestations culturelles rassemblant plus de 5.000 personnes ne pourront se tenir avant le 31 août prochain. Nous sommes une manifestation avec de petites jauges de public donc tout va bien mais nous allons bien sûr diviser le public d’une salle par deux ou trois! Et par exemple, Emma la clown fera sa création à l’extérieur, c’est à dire dans les jardins du Phare.
Nous sommes une équipe de dix salariés dont quatre projectionnistes mais il y a environ 80 bénévoles qui viennent nous aider. Comme comme les regroupements sont interdits, il n’y aura, bien entendu, pas de buvette.
Et nous avons dû renoncer à un spectacle comme Le Grand débarras. Petit-vide grenier nocturne et pas pareil de Pascal Rome avec douze comédiens et il va nous proposer autre chose. Impossible aussi de présenter Delinus 03, d’une compagnie néerlandaise avec son minibus pour deux personnes, sans vraiment d’horaires mais qui fournit un excellent service et où il y a toujours de la place pour un de plus !
Pour le championnat d’alpinisme horizontal sur la plage, il sera cette année très encadré et il n’y aura pas d’ascension en duo…
Mais maintenir l’activité de ce festival et bien entendu toute son économie ne me fait pas peur. Même si une troupe japonaise a dû annuler sa tournée: c’était trop compliqué…
-Quand on lit votre programme, on est étonné par le nombre de spectacles gratuits comme autrefois au festival d’Aurillac… Comment vous en sortez-vous ?
-Nous avons des subventions de la ville de Saint-Georges de Didonne, du Département, de la Région, etc. Et nous ne courrons pas après les spectacles de vedettes qui exigent en général d’importants moyens techniques et… des cachets exorbitants. Quand j’ai pris en 2016 la direction du festival Humour et Eau salée, j’ai fait de nouveaux choix et programmé entre autres La Conférence de Joe Houben, mais le titre même de ce remarquable solo avait dû faire peur et il y avait peu de public, alors qu’il est très drôle! J’ai parfois l’impression que dans notre société, tout le monde a peur de tout et de tous mais notre rôle, à nous programmateurs et directeurs de festivals, est, je pense, d’apprendre au public à n’avoir pas peur de ce qui est différent.
Quant à la durée, une semaine du 1 er au 7 août, avec quatre ou cinq spectacles par jour et cette année, de petites jauges d’une cinquantaine de personnes, cela me semble être la bonne mesure. Le public peut prendre du bon temps, en allant à la fois voir des spectacles et se balader. Nous avons le bonheur d’avoir de très grandes et belles plages…
-Quel est le public pour une manifestation atypique de ce genre et comment choisissez-vous les spectacles ?
– Un public à la fois local et de «néo-arrivants», comme on dit en général des retraités qui ont choisi d’habiter ici mais aussi de Bordelais et Parisiens qui ont à Saint-Georges de Didonne ou à proximité, une résidence secondaire
Et j’essaye de faire de propositions qui rassemblent les gens. Avec entre autres cette année pour la clôture du festival Frédéric Fromet qui chante l’amour au moins pendant cinq minutes et qui a été révélé au grand public par sa chanson hebdomadaire sur France-Inter. Cet humoriste n’épargne rien ni personne, et, sur scène, il est encore plus drôle, plus vif, et plus profond aussi.
Mais il y aussi de la place pour la poésie comme avec Nyx du néerlandais Givjs van Bon dont la machine écrit de la poésie émettrice de lumière dans l’obscurité totale, en continu pendant trois heures.
Lettre après lettre, le texte lumineux s’écoule lentement au sol rougeoyant dans la rue. et que le public lit avec une grande attention. J’essaye que ce festival soir diversifié et cette année il y aura Soli Solo Saga de Bernard Lubat,un spectacle musical, clownesque et néanmoins philosophe… Entre Pierre Desproges et Thélonius Monk avec des chansons « enjazzées » et des textes « entchachés ». Et Fred Tousch, « seule » en scène, réglera tous les problèmes du monde, sans exception. Une performance chantée et narrée par le plus improbable des comédiens, poètes et philosophes de l’absurde, une fable néo-punk déjantée, tout public et gratuite.
Comme à Avignon, la vie l’été reste jeune grâce en partie aux acteurs des compagnies venues jouer. Nous avons environ entre 7.000 et 10.000 spectateurs sur la durée du festival.
Et comme tous les directeurs de structures culturelles et de festivals, je vais « faire mon marché » comme on dit, dans le off d’Avignon et au festival d’Aurillac, je regarde aussi les vidéos que les artistes m’envoient. J’essaye aussi de proposer des créations après une résidence, comme cette année après une semaine sera créé le concert d’ouverture par la compagnie Jazzigottos, une rencontre jouissive avec trois géants de l’humour musical.. Hébergements, aide financière, mise à disposition d’un lieu, c’est selon…
-Dernière question rituelle : comment voyez-vous l’avenir du spectacle et du théâtre en salles ou à l’extérieur ?
-Il y aura sans doute un rapport de force entre ceux qui voudraient que les places coûtent moins cher et ceux qui voudraient que les tarifs soient augmentés vu la pandémie et donc le nombre limité de spectateurs. Il me semble que c’est un rapport de force utile, voire indispensable. Nous sommes un pays qui a une force unique : celle de posséder un parc culturel exceptionnel. Il faut à tout prix préserver cette flore artistique et je me bagarre pour qu’ici, le festival se conjugue avec le tourisme.
Pour qu’un spectacle marche bien, il n’y a pas de recette miracle mais plusieurs paramètres à respecter: il faut qu’il soit bien choisi, qu’il puisse faire bouger le public et, chose très importante, que le lieu soit suffisamment identifié dans la ville. Cela dépend d’un désir, de l’air du temps, de l’envie de transmettre quelque chose. Mais un événement peut avoir un beau succès avec, finalement, peu de public comme cette balade de gens nus dans une prairie qui avait aussi eu lieu au festival d’Aurillac… Mais nous avons eu du mal. Peu importe, le fait qu’on puisse à un moment d’un festival faire réfléchir sur la nudité, me semble important. C’est un vrai travail personnel sur le corps qui peut amener les gens à être plus décontractés. Mais bon, le public est parfois un peu frileux et quand il y a eu à Royan une exposition de photos de couples homosexuels ou de couleur, certaines d’entre elles ont été lacérées…
Philippe du Vignal