Et après ? (suite et non pas fin)
Et après ? (suite et non pas fin)
Heureusement dans le paysage en ruines des théâtres, on peut entendre la radio. France-Culture, bien sûr et France-Inter, qui a consacré ce mardi 5 mai à la Culture naufragée, ou, pour mieux dire, sabordée par la pandémie et le confinement qui s’ensuit. Une objet déjà surnage : dans les propos et questions des journalistes, le premier mot associé à la culture, c’est le mot théâtre, emblème et métonymie de l’art du spectacle.
Dès le matin, la parole est donnée aux acteurs, metteurs en scène, directeurs de lieux. Julie Deliquet, la nouvelle directrice du Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis, a saisi la balle au bond et le sens des paris fondamentaux: I) Ne jamais oublier qu’on est à Saint-Denis (dans le « neuf–trois ») et que le théâtre doit quelque chose à sa ville et à sa population jeune. II) Utiliser les circonstances exceptionnelles, faire feu de tout bois et de nécessité, vertu et en profiter pour créer. Mais créer vraiment : inventer une complicité, si possible drôle et affutée avec ce malheureux public masqué et “distancié“.
Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre de Rond-Pont à Paris promet que chaque acteur entrant en scène prendra sa température sur scène pour rassurer (!) un public géométriquement clairsemé. Et muselé : défense de rire, sinon d’un rire étouffé, ou de siffler un mauvais spectacle. Là-dessus on peut se rassurer, il y a bien longtemps que le public est devenu trop respectueux!
Les autorités sanitaires inventent de sacrées mises en scène hygiénistes mais ont une méconnaissance totale de ce qu’est le théâtre, puisqu’elles interdisent tout échange sensible, ce qui en est l’essentiel , autant que faire se peut. À réécouter : Macha Makeïev, directrice du Théâtre de la Criée à Marseille s’est donné comme feuille de route : «accueillir et transmettre», et «on invente, on réfléchit». Son projet pour l’heure : «donner un signal contre la désespérance», pratiquer un théâtre ouvert à de nouvelles inventions artistiques à partir du réel, jusqu’à ce qu’on puisse rouvrir le théâtre. Comme avant ? La tentation est là d’oublier les inventions importantes et l’ouverture, paradoxalement, que crée le confinement.
D’autres parlent d’argent et il le faut bien. Le directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin annonce pour la réouverture (mais quand?) avec un spectacle de qualité incontestable : mis en scène par Alain Françon et joué, entre autres par André Marcon. Avec un tel programme, le public peut lui faire confiance. Et puis, dit-il, le théâtre est très grand, il serait donc possible d’y « distancier » les spectateurs. On reste sceptique…
Ne pas oublier le présent : la réouverture des salles est lointaine et le “théâtre à l’oreille“ continue; beaucoup proposent, à commencer par la Maison de la Poésie, à Paris avec des podcasts en direct. Et la compagnie de Robert Cantarella avec son Musée vivant les 14 et 15 mai (info@robertcantarella.com) et la complicité, entre autres, de l’autrice de théâtre Noëlle Renaude et d’un programme incluant tous les arts.
Même effervescence au Nouveau Théâtre de Montreuil: les 9 et 10 mai aura lieu une série de mini-conférences pour les enfants et une grande rencontre par Zoom avec les habitants de Montreuil (contact@nouveau-theatre-montreuil.com et facebook). Deux ou trois gouttes d’eau dans la mer des propositions (heureusement), face au désert des productions et à l’angoisse des travailleurs du spectacle. Avec l’espoir tenace qu’il restera quelque chose de cette résistance après : cette fois le mot n’est pas employé de façon abusive, par pure fanfaronnade et auto-congratulation…
Christine Friedel