Des nouvelles du front : des artistes s’interrogent sur l’après Covid 19
Des nouvelles du front : des artistes s’interrogent sur l’après Covid 19
Sur la plateforme Zoom, on se voit et on se parle sans danger de contagion. Heureux de se retrouver pour quelques échanges et tours d’un horizon qui s’entrouvre depuis l’annonce du déconfinement, prévu le 11 mai… Mais qui reste brumeux après les dernières annonces d’Emmanuel Macron et de Frank Riester (voir le Théâtre du Blog). Olivier Saksik et Manon Rouquet, attachés de presse de l’agence Elektronlibre, ont invité plusieurs artistes à dialoguer avec nous.
Laurent Vacher
Le metteur en scène prépare un spectacle sur Giordano Bruno, Le Souper de Cendres programmé en novembre. « Je peaufine le texte, dit-il, et j’ai eu du temps pour travailler sur l’infini ! Pour la suite, c’est assez énigmatique. Les acteurs sont des machines à postillons. » (…) « J’ai hâte d’être sur le plateau pour voir comment inventer des choses. Avec la technologie…» Il reste optimiste: «Nous allons trouver des façon d’être, de faire, mais l’obligation que les spectateurs soient masqués, c’est un souci. »
Simon Delétang
En deuil du festival du Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) fondé en 1895 par Maurice Pottecher, et qu’il dirige, il se trouve face à l’inconnu. La région, fortement touchée par l’épidémie, ne recevra pas de touristes cet été. Les hôtels et centres de vacances restent fermés et l’hôpital le plus proche situé à Remiremont, est encore surchargé. » Quant à Lenz , son spectacle itinérant à travers les Vosges, est reporté sine die (voir le Le Théâtre du blog).
A peine prévoit-il quelques événements dans le parc du Théâtre du Peuple, à la fin août. Les spectacles programmés cette année le seront à nouveau en 2022. La subvention 2020 a quand même pu être intégralement sauvée. .
Mais on attend une réponse de la Direction de l’emploi et du travail pour les 104 déclarations de chômage à temps partiel qui ont été déposées.
« Il y a, dit-il, une angoisse, surtout chez les comédiens et si elles n’étaient pas validées, la structure aussi serait en déficit en 2021 car tous les contrats ont été honorés. »
La Maison Maria Casarès
Moins de souci pour son festival d’été: Alloue se trouve en zone verte et les rencontres accueillent moins de cent personnes : « Nous revendiquons haut et fort notre petit festival , dit Johanna Silberstein, codirectrice de ce lieu de création et de résidence (voir Le Théâtre du Blog) et nous espérons toucher un public local venu de Limoges, Poitiers Angoulême…(voir le Théâtre du Blog) …Les spectacles sont déjà créés. Ils expérimenteront de nouvelles manières d’organiser les « banquets » qui ressemblent artistes et spectateurs, et sont certains que rassuré, le public aura envie de venir … Certains fidèles se sont déjà manifestés.
Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth
Les metteuses en scène dont nous avions récemment apprécié Family Machine à Chaillot-Théâtre national de la Danse sont confinées ensemble mais en plein travail. Elles ont pu avancer sur un spectacle musical, initié par la violoniste Florence Malgoire et initialement prévu en juillet au festival Format Raisin: La Merveille du siècle /Portrait musical d’Elisabeth Jacquet de la Guerre (1645/1729). Cette enfant prodige devint la protégée de Louis XIV avant d’imposer un style qui s’émancipera peu à peu du modèle imposé par Lully: » Hervé Mestron, écrivain et musicien, travaille sur le texte. C’est intéressant de travailler chacun de son côté, puis par Skype avec Florence Malgloire, au violon et avec la claveciniste… »
« Ce portrait musical d’Elisabeth Jacquet de la Guerre sera l’occasion d’entendre la voix d’une artiste accomplie à une époque où la bienséance faisait tout pour restreindre le droit des femmes, annonce Hervé Mestron. « Elle nous parlera d’elle, des bonheurs et des épreuves qui ont ponctué son chemin de vie. Elle nous donnera surtout à entendre sa musique qu’elle considère comme son testament philosophique, où textures et formes codifiées nous restituent l’atmosphère d’une exigence royale toute dévouée à l’art. »
« Pour la mise en en scène, on va se débrouiller, dit Brigitte Seth. « La danse c’est un peu plus compliqué mais il y a des possibilités de répéter sans se toucher. Que ce soit danseurs ou comédiens. Il ne faut pas que les gens se mêlent d’inventer à notre place, les politiques surtout. A nous de trouver les moyens de répéter… »
Dominique Bérody
Ce spécialiste du spectacle et de l’action culturelle jeunesse connaît bien la question et émet des réserves quant aux discours d’Emmanuel Macron et de Frank Riester à propos de l’éducation artistique. Conseiller artistique et littéraire (Actes Sud Papiers, collection Heyoka jeunesse) La Cour aux ados, festival lancé par Jean-Claude Gal, le directeur artistique du Théâtre du Pélican, à Clermont-Ferrand voir le Théâtre du blog)
Expert à la DRAC Île-de-France , la DAC Ville de Paris et Artcena, il remarque, en observateur éclairé : « Ça fait trente ans que cette question est lancée. Oser dire aux artistes qu’il va falloir inventer, les envoyer faire de l’animation dans les colonies de vacances… Par mépris et ignorance de l’éducation artistique … On aimerait un projet culturel fort. Au lieu de quoi on improvise devant un ministre qui prend des notes, on méprise ceux qui inventent … On n’associe par les partenaires sociaux C’est un mépris fondamental de l’art émancipateur, et de l’engagement des artistes… On leur dénie la responsabilité partagée d’inventer une politique… »
Une colère qui vient en écho aux critiques émises par la profession du spectacle sur la politique actuelle du gouvernement. Et beaucoup n’attendent plus rien d’un État-Providence mis à mal par un libéralisme mercantile et triomphant, comme en témoigne la pétition lancée aujourd’hui : « Nous ne voulons pas qu’on parle à notre place ! Il faut que nous soyons à la table des négociations sur le déconfinement. Nous sommes les seuls à savoir si nous pouvons faire des « mises en scène adaptées » ou proposer d’autres formes en lieu et place des spectacles programmés à l’automne…
« Il est essentiel de repenser le spectacle et ses rapports de production. Les théâtres sont nos outils de travail et des mandats ont été donnés à des directeur.rice.s. Mais ces services publics nous appartiennent aussi! Prenons le temps de réfléchir collectivement sur nos pratiques : artistes, directions et équipes attachées à des lieux culturels, tutelles, public…« Nous ne voulons pas recommencer comme avant. »
Mireille Davidovici
Pétition : https://www.facebook.com/1001658452/posts/10219014944976855/?d=n
*Giordano Bruno, le souper des cendres, mise en scène de Laurent Vacher, novembre, décembre 2020 et janvier 2021 au Théâtre de la Reine Blanche. http://www.compagniedubredin.com/Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, 40 rue du Théâtre, Bussang (Vosges) T. 03 2961 62 47 www.theatredupeuple.com
La Merveille du siècle mise en scène par Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth sera notamment présenté aux Journées du Matrimoine .
https://toujoursapresminuit.org/
Festival d’Eté de la Maison Maria Casarès : Deux riens mise en scè̀ne de Caroline Maydat et Clé́ment Belhache.; Prodige de Mariette Navarro, mise en scène de Matthieu Roy ; Les Noces de Samira Sedira, mise en scène de Jeanne Desoubeaux (Jeune Pousse 2017); Parcours sonore autour de la Correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès du 27 juillet au 20 août.
Maison Maria Casarès, Domaine de la Vergne, Alloue ( Charente). T. 05 45 31 81 22
www.mmcasares.fr