Les confinés du Théâtre du Blog parlent aux futurs déconfinés
Les confinés du Théâtre du Blog parlent aux futurs déconfinés
Christine Friedel, critique de théâtre
-Comment vivez-vous cette période sur le plan théâtral et personnel?
-Cela ne change pas grand chose à ma vie de retraitée, j’ai plein de boulot et je pourrai en avoir encore plus, mais comme j’ai été un peu malade (sans doute légèrement touchée par le corona virus) je sors très peu de chez mon appartement au sixième étage près du Châtelet d’où je peux voir le ciel et de la verdure… J’ai rencontré par hasard une copine et nous nous sommes parlé à quelque mètres…
Côté théâtre, je regarde comme tout le monde je crois, un certain nombre de captations. Pour ceux qui ont déjà vu un spectacle il y a dix ans voire plus, cela peut donner envie de réactiver des images. Mais cela met quand même le théâtre au niveau d’un défilé de mode, d’une pub et de la grande foire aux images de la télévision. J’ai revu sur le site de la Comédie-Française, la Bérénice de Racine avec Ludmila Mikael et Richard Fontana, hélas disparu. On s’aperçoit que l’on garde très peu d’images, même quand il s’agit de grands spectacles auxquels on a assisté il y a quelque vingt ans ou plus. Et curieusement, on en a une autre vision. Même les pièce qui comme cette Bérénice ont été bien filmées manquent toutes de plans d’ensemble, ce qui est pourtant la vision normale d’un spectacle au théâtre… Et les réalisateurs usent et abusent souvent des gros plans, alors qu’on n’est pas au cinéma!
J’ai revu aussi avec plaisir La Grande Magie d’Eduardo de Filippo, dans la mise en scène de Dan Jemmett à la Comédie-Française. Et le très réussi Fantasio que Thomas Jolly avait réalisé avec beaucoup d’invention et de précision; la musique de Jacques Offenbach était finement traitée par les interprètes qui chantaient parfois en faisant le cochon pendu…
Et le festival d’Avignon dans toute cette affaire?
-Très franchement, cette année, il ne me manquera pas. La première fois que j’y étais allée, j’avais vingt-deux ans et j’étais critique de théâtre à Réforme. Jusqu’à mes trente ans, j’ai suivi chaque festival. Puis de trente à quarante, un peu moins sans doute. Et de nouveau, surtout depuis que j’écris dans Le Théâtre du Blog, très régulièrement. Mais cette cure de repos, cette pause: après tout, cela n’est pas si mal. Cela dit, de grands spectacles comme ceux d’Angelica Liddell ou d’Ivon van Hove que j’ai loupé à leur création et dont les créations avaient été programmése cette année, j’aurais bien aimé les voir et en rendre compte…
Quant au off, là aucun regret, aucun manque! Cela n’est plus vraiment un plaisir quand il faut courir sans arrêt et même si, en une semaine, on tombe parfois sur quelques spectacles intéressants. Ce manque de sélection dans le off offrait un avantage mais quand il y a plus de mille spectacles de théâtre sans parler du cirque, de la danse, de la chanson, pas sûr que cette inflation rende plus intelligent! Le système a fonctionné il y a encore une bonne vingtaine d’années, quand il y avait deux cents spectacles créés ou qui avaient déjà pas mal tourné. Mais là, c’est trop et refrain connu, la mauvaise monnaie chasse la bonne…
-Comme aux autres collaborateurs du Théâtre du Blog, je vous pose la question: et l’avenir du théâtre en France après cette singulière épreuve où toutes les cartes sans exception sont déjà ou vont être rebattues?
- Oui, comme vous dites, il va y avoir partout du ménage et les professionnels en sont bien conscients! Les gens auront sans doute toujours envie d’aller voir telle ou telle vedette comme Isabelle Huppert dans La Ménagerie de verre de Tennesse Williams à l’Odéon (voir Le Théâtre du Blog) et feront valoir les places qu’ils avaient achetées avant le confinement. Sauf, bien entendu, si, comme on le craint, il y a un rebond de cette pandémie. Les lieux parisiens qui qui disposent pas de gros moyens comme Chaillot, le Théâtre de l’Odéon , la Comédie-Française n’ont pas grand chose à craindre. Mais pour les petits théâtres… une chose est sûre: rien ne sera tout à fait comme avant et il faudra attendre la rentrée en septembre ou plus sûrement en octobre pour y voir plus clair.
Jean Couturier, critique de danse
-Comment vivez-vous ce confinement?
-A titre personnel, pas trop mal. J’ai la bizarre impression de revivre l’année du concours de l’internat de médecine où on travaillait cloîtré (beaucoup), où on se nourrissait (vite et mal) et où on dormait ( peu). Avec pour seule petite fenêtre, la radio : c’est à dire France-Inter et France-Culture où j’écoutais avec plaisir l’émission d’Alain Veinstein, Nuits Magnétiques les chroniques de théâtre d’un certain Philippe du Vignal devenu entre autres, notre rédac chef du Théâtre du Blog…
En ce moment, je fais du télé-travail pour un centre d’expertises médicales et quelques télé-consultations. Mais je prends aussi le temps de relire mes auteurs favoris comme Boris Vian (Cantilène en gelée), et des pièces d’Heiner Muller et d’Edward Bond…
-Et le festival d’Avignon vous manquera cette année?
- Très franchement, oui. Cela fait plus de trente ans que j’y vais . Malgré la chaleur, les difficultés pour se loger, malgré les courses éffrenées dans le in et mais aussi dans le off pour arriver à voir tous les spectacles que l’on souhaite… En fait, c’est une espèce de drogue estivale et il y a des moments uniques comme assister à un spectacle dans la Cour d’Honneur, quel que soit sa qualité. Et aussi toutes les rencontres que l’on peut faire…
- Comment voyez-vous la reprise à la rentrée?
- Pour moi qui suis médecin, toute salle est potentiellement dangereuse; cela dit, on a bien envie de retourner dans les théâtres mais je respecterai rigoureusement les règles sanitaires: masque porté en permanence (le virus ne descend pas alors dans les fosses nasales puis dans les bronches), distance obligatoire entre chaque spectateur et gel hydro-alcoolique à volonté et je n’irai pas aux pots après les premières mais cela m’étonnerait que les théâtres en fassent, du moins pour un bon moment…
Comparaison n’est pas raison mais au Japon, les restaurants sont ouverts comme les salles de spectacle mais tout le monde, absolument tout le monde, petits et grands, porte un masque. Ici, il faut que les gens prennent bien conscience que la charge virale ne diminuera pas tout de suite et, au mieux pas avant juillet. Et je ne vois pas comment des festivals, même de taille réduite, pourraient avoir lieu en août… Il y a encore beaucoup de paramètres mal connus et il est donc très difficile de faire des prévisions solides: on avait craint que la chaleur ne soit un facteur aggravant. Et même à Naples ou en Afrique, par exemple, au Bénin, ce n’est pas le cas.
Mireille Davidovici, critique de théâtre
-Quelle est votre vie actuelle?
- Je vis cette cela très bien et pas très bien à la fois dans l’Hérault pas loin de Lodève dans ma famille. Je lis des manuscrits pour le concours de Radio France Internationale mais j’écris aussi ds articles sur le volet social de cette crise pour Le Théâtre du Blog. Et sinon, Je me balade une heure par jour dans la campagne, je fais du vélo d’appartement, j’écoute France-Culture ou des cours au Collège de France et je fais quarante cinq minutes de yoga par jour. Côté cuisine, je prépare des soupes d’orties et de fanes de carottes…
-Paris vous manque?
- Non, surtout le Paris confiné comme celui où vivent actuellement nos amis. Mais comme tout le monde, je téléphone beaucoup. Et je lis des romans comme La Peste d’Albert Camus et ceux de Joyce Carol Oat ou de l’écrivaine britannique Zadie Smith que je télécharge sur le site de la Bibliothèque de la Vile de Paris.
-Question rituelle: Avignon?
-Pas de festival cette année, et alors? Cela fera une pause qui était de toute façon nécessaire… Il faut prendre les choses comme elles viennent mais bien entendu, je ne sous-estime pas les retombées énormes qu’il y aura sur le théâtre et le spectacle en général. En tout cas, je ne vois pas bien l’avenir si on prend les mêmes et si on recommence en mettant les bouchées doubles. Il y a de quoi être très pessimiste surtout dans une économie ultra-libérale!
La solution consistant à faire intervenir l’Etat dans les prix de location des salles dans le festival off d’Avignon ne me parait pas réaliste. C’est aux compagnies de refuser ce racket institutionnalisé depuis longtemps et d’aller voir ailleurs. Et de toute façon, elles vont pour beaucoup faire faillite et ne pourront donc plus aller en Avignon mais cette crise va aussi toucher sévèrement tous les métiers dépendant du spectacle. D’abord les intermittents : artistes et techniciens qui, à terme, devront s’inscrire au R.S.A. mais aussi les boîtes de production de télévision comme de cinéma qui font aussi vivre les acteurs de théâtre et les graphistes, attaché (e)s de presse, …
-Et à Paris, comment voyez-vous l’avenir des théâtres et en général des salles de spectacle?
-Franchement, pas bien… Nous avons un espoir grâce aux professionnels militants qui, avec les réseaux sociaux, permettront peut-être aux métiers du spectacle de se réorganiser mais encore une fois les plus faibles des compagnies disparaîtront sauf si elles se fédèrent avec énergie et travaillent à des projets communs intéressants. Et personnellement, j’attends un sursaut des « collectifs » mais soyons clairs, ils devront sortir enfin des stéréotypes du genre comme la n ième version des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov…
Elisabeth Naud, critique de théâtre et enseignante à Paris VIII
– Comment vivez-vous la période actuelle?
- C’est sans doute un paradoxe mais plutôt bien, même recluse dans mon appartement parisien. On a du temps pour ce qui est de la vie quotidienne et pour lire: comme cette Introduction aux auteurs : Valère Novarina, Jean-Luc Lagarce, Edward Bond, Jon Fosse, Bertolt Brecht, Sarah Kane… Et des romans, je lis aussi actuellement Papa de Régis Jauffret sorti il y a peu. J’ai un temps de vie assez rythmé. Avec d’abord et surtout le télétravail avec mes étudiants à qui j’ai demandé d’écrire un monologue de théâtre puis de le transformer en dialogue, avec pour seule consigne: une bio-fiction personnelle à partir de grandes pièces antiques, classiques: Oedipe, Médée, La Mégère apprivoisée, Phèdre, Woyzeck mais aussi celles d’auteurs contemporains: Aziz Chouaki, Eugène Durif, Joël Pommerat.
Chacun lit une pièce et, à partir d’un des personnages, écrit un texte tout à fait personnel, voire intime, sur un moment de sa vie qui a pu être joyeux ou dramatique. Avec au besoin, une grande part d’invention… Et ils peuvent aussi en réaliser une mise en voix avec vidéo qu’ils m’envoient. Tous les étudiants ont connaissance du travail des autres. Cet exercice de “mentir vrai” permet, me semble-t-il, d’être plus créatif, de réfléchir à ce qu’est une œuvre théâtrale… de lire davantage de pièces mais aussi d’aller vers la poésie…
- Le festival d’Avignon annulé, cela va vous manquer?
- Désolée mais pas du tout… Cela fera une pause, va sans doute faire du bien à tout le monde et en tout cas, fera bouger les lignes. Il faut absolument que le in devenu très sélectif redevienne convivial et que les prix de places actuellement très coûteux, soit à nouveau abordable. Il faudra sans doute diminuer les jauges et adapter le festival à cette nouvelle situation sanitaire et…économique.
Même chose pour le off dont les tarifs de location de salle et de séjours se sont envolés ces dernières années; de toute façon, de nombreuses compagnies déjà endettées à cause de cette crise, ne pourront plus venir en Avignon. Cela va donc rebattre les cartes…
-Et l’avenir du théâtre en France?
- Là aussi, les directeurs de salles à Paris et dans les grandes villes devront s’adapter rapidement s’ils veulent garder leur public. Pourquoi pas des places beaucoup moins chères dans les grands lieux subventionnés? Pourquoi ne pas diminuer là aussi les jauges des salles et doubler le nombre de représentations si l’on veut que le public revienne, ne particulier les jeunes qui y vont peu, voire pas du tout? Personnellement, je n’ai pas peur mais cela dit je choisirai quand même les salles où aller. Hors de question de s’entasser dans de petits lieux! Mais de toute façon, pourront-ils rouvrir à la rentrée? Enfin, à quelque chose malheur est bon: cela permettra sans doute de désacraliser le lieu théâtral…
Quant aux petites compagnies, leur situation si l’on en juge par ce qui se passe actuellement, est souvent catastrophique. Là aussi, il faudra inventer de nouvelles formes et aller jouer ailleurs que dans les salles conventionnelles pour fidéliser le public. Cela n’obéit pas à une esthétique mais répond à une nécessité et implique bien entendu une profonde réflexion de toute la profession mais aussi du Ministère de la Culture. Le théâtre dit privé, aux prix de places élevé, est fréquenté par un public d’un certain âge donc très soucieux de se protéger du virus. Et ces théâtres parisiens vont eux, en prendre plein la gueule et auront tout intérêt à revoir leur programmation qui est souvent pour rester poli, d’un intérêt très limité…
–Un motif d’espoir?
- Pas de cynisme mais dans le passé, le théâtre a connu en France des hauts et des bas et si cette crise sanitaire sans précédent permet de faire un certain ménage sur les plans esthétique et financier, on ne peut que s’en réjouir…
Entretiens réalisés par Philippe du Vignal
A suivre: ceux avec Véronique Hotte, Gérard Conio, Edith Rappoport, Béatrice Picon-Vallin et… Philippe du Vignal.