Les déconfinés parlent aux déconfinés : Jean-Pierre Han
Les déconfinés parlent aux déconfinés:
Jean-Pierre Han, critique dramatique, directeur de la revue Frictions et rédacteur en chef des Lettres Françaises
-Toujours confiné? Mais on est vendredi 8 mai et cela touche à sa fin…
-Oui, confiné dans mon appartement à Paris et je ne suis pas atteint par le corona, c’est déjà cela! Nous n’allons plus au théâtre mais comme nous avons tous l’habitude de travailler chez nous, cela ne change donc pas grand chose. Le comité de rédaction de Frictions, on le fait, même si on ne se voit pas très bien: Zoom a des hauts et des bas et cela demande une certaine gymnastique mentale. Et je travaille aussi sur des articles pour la presse papier. Pour Frictions, le montage du nouveau numéro était bouclé quand a été décidé le confinement, puis il a été imprimé. Et les paquets de numéros ont été livrés devant ma porte. Il ne m’a plus resté qu’à les descendre petit à petit dans ma cave : soit deux jours de gymnastique…
Dans ce numéro de Frictions est évoqué de loin le confinement avec Guerre des virus une séquence d’un texte d’Heiner Muller: une scène très drôle qui n’a pas été retenue dans Germania III, les spectres du mort homme, un spectacle de Jean Jourdheuil qui me l’a signalée. C’est un dialogue ironique et très drôle dans un théâtre entre un auteur et un metteur en scène qui lui dit : « Dieu est le monde » Et l’auteur réplique : “Dieu est peut-être un virus qui nous habite. » Heiner Muller décédé en 1995, était venu à Verdun, tu t’en souviens peut-être, pour la création d’un spectacle déambulatoire avec des textes de lui et de Michel Simonot… Cela devait se jouer à quelques kms des tranchées de la guerre de 14-18. Mais à la suite d’un entretien avec Heiner Muller assez virulent, le spectacle avait été censuré et finalement annulé…
-Que fais-tu à Paris depuis plus de huit semaines?
-Je ne vois bien entendu aucun spectacle ni aucune répétition mais comme je l’ai dit, je continue à travailler et à beaucoup lire. Entre autres, Débutants, un roman de Catherine Blondeau, la directrice du Grand T à Nantes. Cela se situe à l’’inauguration du musée national de Préhistoire réunit en Dordogne avec Nelson Ndlovu, un archéologue sud-africain, Peter Lloyd, un traducteur anglais installé là depuis quinze ans et Magda Kowalska, jeune femme polonaise qui tient une maison d’hôtes. Mais je lis aussi Les Abattues, un polar de la dramaturge Noëlle Renaude.
Du côté théâtre, je relis la pièce de Bertolt Brecht d’après le roman de Jaroslav Hašek, Le Brave soldat Schweik dans la seconde guerre mondiale que j’avais vue autrefois dans la mise en scène de Roger Planchon avec Jean Bouise au Théâtre des Champs-Elysées. Un grand moment de théâtre…
- Et les captations que de nombreux théâtres nous offrent pour essayer de fidéliser le public en vue d’une rentrée qui reste pour le moins problématique?
- Cela ne m’intéresse pas beaucoup. Claude Régy, mort il y a quelques mois, refusait qu’on enregistre ses mises en scène et il avait raison: c’est une ersatz qui n’a pas grand chose à voir avec un vrai spectacle…
- Et toujours …et encore, le nom qui fait tout de suite problème : Avignon?
-Que dire? Ce festival -qui est un peu à l’image du théâtre actuel- ne pouvait pas continuer longtemps comme cela. Surtout quand on voit les prix de location de salles dans le off. Et faire une édition spéciale du in à la fin octobre ou au début novembre, ressemble à une vaste rigolade! Le public ne sait généralement pas que, derrière tout cela, il y a une question de gros sous! Et qu’il faut honorer les contrats signés et qu’il y a tout un système d’assurances à faire jouer…
En tout cas, je vois mal les choses: comment faire vivre ce festival en hiver ou presque: cela risque fort d’être lugubre. Et quant à l’année prochaine, je crains fort que cela ne reparte comme avant. Olivier Py espérait qu’on prolonge son mandat d’un an. Mais il semble que l’Etat souhaiterait que Stanislas Nordey lui succède et auquel cas, Olivier Py le remplacerait à la direction du Théâtre National de Strasbourg. Ce qui pourrait créer disons quelques mouvements parmi le personnel…
-Cette annulation semble révéler au grand public le malaise de toute la profession théâtrale…
-Oui, bien sûr mais il s’agit, même si on n’en perçoit pas encore toutes les conséquences d’une remise en cause fondamentale qui nous tombe dessus et d’un seul coup: que ce soit les gens de théâtre mais aussi les critiques. Sur quoi allons-nous écrire, s’il y a très peu de spectacles dans les mois à venir? Et il va falloir que le Syndicat de la critique puisse aider les pigistes en leur accordant de petites bourses. Bien entendu, le travail des producteurs comme des attaché(e)s de presse va aussi être laminé et un certain nombre va devoir trouver un autre emploi.
Quant à la rentrée théâtrale à Paris, je reste assez pessimiste et ce ne sera pas avant octobre et encore! Mais je ne vois pas comment elle pourrait se faire correctement vu les conditions sanitaires draconiennes imposées dont l’obligation de n’occuper qu’une place sur trois! Et dans les petites salles, cela serait impossible! La lettre à Olivier Royer, le directeur de l’Espace des Arts de Chalon-sur Saône que lui a écrite Matthias Langhoff et que Le Théâtre du Bloga a publiée, est très intéressante. Il a une véritable pensée et une force de proposition devant cette affaire compliquée: cela ouvre au moins des perspectives et quelques espoirs…
Entretien réalisé avec Philippe du Vignal