Adieu Michel Piccoli
Adieu Michel Piccoli
Il avait quatre-vingt quatorze ans… Père violoniste et mère pianiste, pas de Conservatoire National mais une formation basique au Cours Simon. Il jouera vite au théâtre dans les années cinquante avec les compagnies Renaud-Barrault et Grenier-Hussenot, et au Théâtre de Babylone, une petite salle au fond d’un cour, boulevard Raspail, à Paris, tout près de la station Sèvres-Babylone… Là où fut créé le célébrissime En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène par Roger Blin.
Il jouera dans des classiques comme Pirandello, Strindberg… sous la direction, entre autres, de Jean-Marie Serreau, de Jean Vilar dans Phèdre mais enchaînait aussi les films: quatre en 1952! Et quatre ans plus tard La Mort en ce jardin de Luis Buñuel et Journal d’une femme de chambre (1963), Belle de jour (1966), La Voie lactée (1969), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) et Le Fantôme de la liberté (1974). Et en 1963, Michel Piccoli joue dans Le Mépris de Jean-Luc Godard avec Brigitte Bardot. Mais il restera fidèle au théâtre et sera en 1965, un remarquable Dom Juan, d’après Molière, dans une adaptation télévisée de Marcel Bluwal. Il jouera aussi Racine, Shakespeare, Marivaux, Ibsen, Koltès ou Duras, avec Peter Brook, Patrice Chéreau: La Fausse suivante de Marivaux, Bob Wilson: La Maladie de la mort de Marguerite Duras, Luc Bondy, Terre étrangère d’Arthur Schnitzler et Le Conte d’Hiver de William Shakespeare … Puis il sera encore très remarqué au cinéma dans Les Choses de la vie de Claude Sautet dont il sera un des acteurs fétiches dans Max et les Ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul… et les autres (1974), puis Mado (1978), tous avec Romy Schneider.
Et il jouera aussi dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri, avec entre autres Marcello Mastroianni, Philippe Noiret… Il sera aussi un des acteurs les plus marquants de Claude Chabrol et de Louis Malle (Atlantic City, Milou en mai), mais aussi de Jacques Doillon, Francis Girod ou Leo Carax. Puis de Manoel De Oliveira (Je rentre à la maison) et Raoul Ruiz (Généalogie d’un crime).
La dernière fois que nous l’avions vu au théâtre, c’était en 2006 aux Ateliers Berthier où il jouait Le Roi Lear dans la mise en scène d’André Engel avec une distribution d’exception: Gérard Desarthe, Julie-Marie Parmentier, Jean-Paul Farré, Jérôme Kircher…
Mais brusquement après une petite heure de jeu, il était sorti, suivi de ses camarades sur le plateau avec lui. Et un régisseur avait demandé au public de quitter la salle. Incompréhension du public croyant sans doute à un jeu de scène. Le régisseur était alors revenu et avait insisté: le public était alors sorti…Michel Piccoli avait simplement présumé de ses forces et avait eu un malaise: à 80 ans, il avait tourné dans un film le même jour!, alors qu’il jouait le soir ce rôle écrasant! La passion du théâtre…
Un acteur à la carrière exemplaire, souvent à contre-courant des modes… très engagé politiquement à gauche et, fait assez rare, qui a joué avec les plus grands des metteurs en scène de théâtre et les plus importants cinéastes du XX ème siècle.
Philippe du Vignal