Le Joueur de flûte de Joachim Latarjet
Le Joueur de flûte de Joachim Latarjet
« Ce texte peut être joué par deux interprètes. Il est indiqué que ce joueur de flûte joue du trombone et non de la flûte. Le trombone peut être remplacé par n’importe quel autre instrument à l’exception de … la flûte. Et le texte des chansons peut être joué comme des poèmes mais le mieux reste de les chanter. » Ainsi commence le préambule de précautions à privilégier pour une jolie mise en jeu. Et l’auteur ajoute une once de philosophie: « Quand il est arrivé en Amérique, l’homme blanc pensait qu’il était arrivé en Inde. En voyant tous ces magnifiques guerriers, ces magnifiques femmes, toutes ces magnifiques tribus, il a dit : « Que ces Indiens sont magnifiques ! »
Mais, petit souci, il n’était pas en Inde. Quand il a découvert son erreur, l’homme blanc aurait pu simplement demander : « Comment vous appelez-vous ? » et avouer aux autres hommes blancs qu’il s’était trompé sur toute la ligne, que ce n’était pas des Indiens mais des Arawaks, des Cherokees, des Iroquois ! Mais non, il s’en fiche l’homme blanc. Il s’en fiche, de toutes les façons, il va tous les massacrer les Indiens d’Amérique. Eh bien ! Il s’est passé un peu la même chose avec le joueur de flûte. Un homme l’a vu souffler dans son instrument et plutôt que lui demander : « Mais quel est cet instrument dans lequel vous soufflez ? Je ne le connais pas », il a dit : « C’est une flûte », sans réfléchir, comme ça, il a nommé le premier instrument qui lui passait par la tête.
Plutôt que demander et reconnaître qu’il n’y connaissait rien en instruments de musique, il a préféré, sans doute pour ne pas avouer qu’il était totalement nul, dire à tous : « C’est une flûte ! » Et comme pour les Indiens, c’est resté ! Il est resté le joueur de flûte, alors qu’il n’en joue absolument pas. Ou peut-être a-t-il dit : « Flûte alors ! », comme une exclamation, comme quand on dit « ça alors ! » Car voir le joueur de flûte au travail peut être une vision extraordinaire. »
La narratrice présente ainsi avec facétie le protagoniste, joueur de flûte supposé : un enfant un peu secret : « Il aime bien se raconter des histoires tout seul avec sa musique, sans personne pour le déranger. » Il a sept frères et sœurs et il arrive qu’on l’oublie… au marché, au square, à l’école, à la table du dîner où il est absent. Il sait bien qu’il est un enfant, mais différent des autres qui sont méchants avec lui. Face à l’incompréhension que ravivent les autres enfants, il sent en échange qu’il se passe une chose étrange en lui quand il chante…« Le monde disparaît et alors, il ne reste plus que son chant, il ne reste plus que la musique. Et les animaux sont les premiers à l’entendre. D’abord les oiseaux, les chats, les chiens. Puis arrivent les animaux plus petits : les souris, belettes, hamsters, taupes… L’enfant chante au milieu des bêtes et il est heureux. » Or, les enfants humains l’entendent et l’écoutent, ils aiment son chant. »
L’enfant chanteur est jalousé par un méchant garçon et quand il est invité aux anniversaires, on le couvre de cadeaux. Le méchant garçon appelle alors les autres méchants enfants qui ne réfléchissent pas et sont prêts à obéir à tous ses ordres. « Il sort un couteau et taillade le visage du pauvre chanteur qui hurle, hurle si fort que sa voix se casse ! Sous l’effet de la terrible douleur, l’enfant s’évanouit, le visage à jamais déformé et la voix pour toujours cassée. » Le joueur de flûte ne veut plus parler ; les mots prononcés lui ont été fatals .Heureusement, la dératiseuse lui veut du bien et lui apprend l’art du trombone. Se débarrasser des rats, lui dit-elle, est un métier plein d’avenir car les êtres humains s’entassent de plus en plus nombreux dans les villes qui grandissent sans fin : « Plus de monde dans les villes, c’est plus de déchets car ces gens mangent, bien sûr, ils ont même tendance à bouffer de plus en plus. »
Le jeune garçon aime immédiatement le trombone
dont les sonorités font penser à la voix humaine : il continue à raconter des histoires sans prononcer un seul mot et devient en quelques années le plus grand dératiseur de tous les temps. Le joueur de trombone, après avoir été apprenti devient dératiseur en chef, et Madame la Maire fait appel à lui pour débarrasser la ville des horribles rats. Il réussit sa tâche avec évidence mais la Maire ne le payera pas. Celui qui a été trahi, ourdit alors sa vengeance : il videra la ville de tous ses enfants. En entendant sa musique, ils ont la tête qui tourne et le cœur qui bat plus vite et suivent le musicien. Rien ne peut les arrêter et ils disparaissent alors dans la montagne.
Joachim Latarjet a rafraîchi ce conte pour notre temps et il ne perd rien de sa verve car la parole de la narratrice, comme celle des personnages, reste vive et spontanée. Un joli texte revisité…
Véronique Hotte
Le livre est édité chez Heyoka Jeunesse, Actes Sud Papiers.