Tous, Place de la Révolution à Besançon…

Tous, Place de la Révolution à Besançon …

Une cinquantaine de compagnies de théâtre franc-comtois se sont réunis dans un jardin à Besançon  le 19  mai (voir Le Théâtre du Blog). Ils ont décidé de faire une intervention théâtrale express le mardi 26 mai, place de la Révolution. « Pour que l’image  fonctionne, disent-ils, il faudrait qu’il y ait environ trois cents participants. Ce sera rapide et ce genre de manifestation est, bien sûr, interdite. » 

Place de la Révolution Photo X


Photo X

Pourquoi ? Le théâtre est en grand danger  et nous voulons prouver  que nous sommes encore capables d’en faire. Nous espérons bien  que l’événement sera couvert par les télés et la presse. « 

Les participants, bien entendu tous masqués et tous à distance les uns des autres, devront être être habillés en noir et chacun apportera un kilo de farine, puis entrera sur la place à partir de 18h mais pas avant et suivra les instructions qui seront données.
Notre amie Edith Rappoport  y sera et nous en dira bientôt plus…

Philippe du Vignal

 


Archive pour mai, 2020

Le Joueur de flûte de Joachim Latarjet

 Le Joueur de flûte de Joachim Latarjet

 « Ce texte peut être joué par deux interprètes. Il est indiqué que ce joueur de flûte joue du trombone et non de la flûte. Le trombone peut être remplacé par n’importe quel autre instrument à l’exception de … la flûte. Et le texte des chansons peut être joué comme des poèmes mais le mieux reste de les chanter. » Ainsi commence le préambule de précautions à privilégier pour une jolie mise en jeu. Et l’auteur ajoute une once de philosophie: « Quand il est arrivé en Amérique, l’homme blanc pensait qu’il était arrivé en Inde. En voyant tous ces magnifiques guerriers, ces magnifiques femmes, toutes ces magnifiques tribus, il a dit : « Que ces Indiens sont magnifiques ! »

 Mais, petit souci, il n’était pas en Inde. Quand il a découvert son erreur, l’homme blanc aurait pu simplement demander : « Comment vous appelez-vous ? » et avouer aux autres hommes blancs qu’il s’était trompé sur toute la ligne, que ce n’était pas des Indiens mais des Arawaks, des Cherokees, des Iroquois ! Mais non, il s’en fiche l’homme blanc. Il s’en fiche, de toutes les façons, il va tous les massacrer les Indiens d’Amérique. Eh bien ! Il s’est passé un peu la même chose avec le joueur de flûte. Un homme l’a vu souffler dans son instrument et plutôt que lui demander : « Mais quel est cet instrument dans lequel vous soufflez ? Je ne le connais pas », il a dit : « C’est une flûte », sans réfléchir, comme ça, il a nommé le premier instrument qui lui passait par la tête.

 Plutôt que demander et reconnaître qu’il n’y connaissait rien en instruments de musique, il a préféré, sans doute pour ne pas avouer qu’il était totalement nul, dire à tous : « C’est une flûte ! » Et comme pour les Indiens, c’est resté ! Il est resté le joueur de flûte, alors qu’il n’en joue absolument pas. Ou peut-être a-t-il dit : « Flûte alors ! », comme une exclamation, comme quand on dit « ça alors ! » Car voir le joueur de flûte au travail peut être une vision extraordinaire. »

 La narratrice présente ainsi avec facétie le protagoniste, joueur de flûte supposé : un enfant un peu secret : « Il aime bien se raconter des histoires tout seul avec sa musique, sans personne pour le déranger. » Il a sept frères et sœurs et il arrive qu’on l’oublie… au marché, au square, à l’école, à la table du dîner où il est absent. Il sait bien qu’il est un enfant, mais différent des autres qui sont méchants avec lui. Face à l’incompréhension que ravivent les autres enfants, il sent en échange qu’il se passe une chose étrange en lui quand il chante…« Le monde disparaît et alors, il ne reste plus que son chant, il ne reste plus que la musique. Et les animaux sont les premiers à l’entendre. D’abord les oiseaux, les chats, les chiens. Puis arrivent les animaux plus petits : les souris, belettes, hamsters, taupes… L’enfant chante au milieu des bêtes et il est heureux. » Or, les enfants humains l’entendent et l’écoutent, ils aiment son chant. »

 L’enfant chanteur est jalousé par un méchant garçon  et quand il  est invité aux anniversaires, on le couvre de cadeaux. Le méchant garçon appelle alors les autres méchants enfants qui ne réfléchissent pas et sont prêts à obéir à tous ses ordres. « Il  sort un couteau et taillade le visage du pauvre chanteur qui hurle, hurle si fort que sa voix se casse ! Sous l’effet de la terrible douleur, l’enfant s’évanouit, le visage à jamais déformé et la voix pour toujours cassée. » Le joueur de flûte ne veut plus parler ; les mots prononcés lui ont été fatals .Heureusement, la dératiseuse lui veut du bien et lui apprend l’art du trombone. Se débarrasser des rats, lui dit-elle, est un métier plein d’avenir car les êtres humains s’entassent de plus en plus nombreux dans les villes qui grandissent sans fin : « Plus de monde dans les villes, c’est plus de déchets car ces gens mangent, bien sûr, ils ont même tendance à bouffer de plus en plus. »

 Le jeune garçon aime immédiatement le trombone

Spectacle de la compagnie Oh! Oui... © Olivier Ouadah

Spectacle de la compagnie Oh! Oui… © Olivier Ouadah

dont les sonorités font penser à la voix humaine : il continue à raconter des histoires sans prononcer un seul mot et devient en quelques années le plus grand dératiseur de tous les temps. Le joueur de trombone, après avoir été apprenti devient dératiseur en chef, et Madame la Maire fait appel à lui pour débarrasser la ville des horribles rats. Il réussit sa tâche avec évidence mais la Maire ne le payera pas. Celui qui a été trahi, ourdit alors sa vengeance : il videra la ville de tous ses enfants. En entendant sa musique, ils ont la tête qui tourne et le cœur qui bat plus vite et  suivent le musicien. Rien ne peut les arrêter et ils disparaissent alors dans la montagne.

Joachim Latarjet a rafraîchi ce conte pour notre temps et il ne perd rien de sa verve car la parole de la narratrice, comme celle des personnages, reste vive et spontanée. Un joli texte revisité…

Véronique Hotte

 Le livre est édité chez Heyoka Jeunesse, Actes Sud Papiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

Culture à l’arrêt : les dommages collatéraux..

 

 

Culture à l’arrêt : les dommages collatéraux…

Le doute plane sur l’avenir de ces « invisibles » travaillant dans le monde de la Culture avec divers statuts: salariés, travailleurs indépendants, gérants de petites entreprises…  « Nous sommes dans l’ombre, aidez-nous à remettre la lumière», disent les artisans du spectacle réunis en collectif. Artistes, techniciens, directeurs de production, attachés de presse, régisseurs, décorateurs, habilleurs et maquilleurs, ils sont travailleurs indépendants, auto-entrepreneurs, gérants ou salariés en  C.D.D.U.  (C.D.D. d’usage). Soit 1,3 million de personnes, selon le collectif,  mais, disent-ils, « seuls 270.000 d’entre nous ont droit au régime de l’intermittence  et 25% du chiffre d’affaires dans le secteur culturel est réalisé par de très petites entreprises.

kroum de Warlikowski

Kroum d’H. Lévin, mise sn scène de K.  Warlikowski

 Pour ce collectif, certaines annonces d’Emmanuel Macron le 6 mai, comme une « année blanche” pour les intermittents, vont dans le bon sens mais ne concernent pas toute la profession. Il faudrait : « qu’il y ait une aide pour les non-salariés,  indexée et plafonnée sur un principe similaire à l’activité partielle» et  jusqu’en août 2021, une « exonération totale des charges sociales patronales. ”
Autre requête: « une révision des conditions d’éligibilité au Fonds de soutien et une prolongation des droits jusqu’en août 2021 pour les salariés en contrat court comme les cuisiniers, chauffeurs ou agents de sécurité… »
 
Pas un mot en effet des Pouvoirs publics concernant ces travailleurs sans régime particulier! Il serait urgent que le ministère du Travail gèle le capital des jours d’indemnités qu’il leur restait au 15 mars jusqu’à leur retour au travail. Et il faudrait supprimer le deuxième volet de la réforme du chômage prévue en septembre qui, à terme, les priverait de leurs droits. Ces salariés en C.D.D.U. vivent sur leurs dernières indemnités de chômage. Après, ce sera la R.S.A. !

 Même inquiétude au Syndicat des prestataires de services de l’audiovisuel scénique et événementiel.  « Quelle que soit la taille des entreprises, elles contractent une dette importante pour investir dans du matériel, ce qui pèse sur leur chiffre d’affaires. Sur le terrain, nous constatons souvent que le prêt garanti par l’État peut être validé par la B.P.I., mais pas par la banque. Si d’autres mesures ne sont pas prises pour soutenir les entreprises, nous allons assister à de nombreux licenciements et dépôts de bilan. »

 Un Front commun des attachés de presse indépendants s’est aussi constitué. Cent-quarante attaché(e)s de presse ont adressé un courrier au Centre National de la Musique. « Nous sommes une profession méconnue, souvent négligée et pourtant essentielle à la promotion des artistes, concerts, festivals. Nous souhaitons que les dispositifs du C.N.M. nous prennent en compte, même si nous ne dépendons pas d’eux. Nous pourrions, par exemple, être  éligibles au crédit d’impôt ou être indirectement aidés au titre des relations avec la presse d’un tourneur ou d’un festival. Nous allons vite nous structurer en syndicat. » Les signataires ont estimé que leur chiffre d’affaires avait été, en moyenne, divisé par deux entre mars et juin 2020, par rapport à 2019.

De son côté, le Cercle Libre des Attachés de Presse : soit soixante personnes travaillant dans le cinéma, réclame un plan de sauvetage et demande au Centre National du Cinéma à être reconnus comme appartenant à ce secteur. Moins de la moitié de ses adhérents ont obtenu les 1.500 euros d’aide et projettent aussi de se constituer en syndicat.

 

La Dispute de Marivaux, mis en scène de R. Peduzzi

La Dispute de Marivaux, mis en scène de P. Chéreau, scénographie  de R. Peduzzi   Photo X

 

L’Union des Scénographes, elle, craint qu’il n’y ait  des conséquences pour toute la chaîne de fabrication des décors et pour les prestataires de service : «Il faut regarder ce que la situation implique pour les ateliers, les fournisseurs et transporteurs… » Les scénographes craignent aussi pour leurs revenus : intermittents du spectacle, ils relèvent de l’annexe 8 (techniciens). Les metteurs en scène et comédiens ont droit à des cachets de douze heures,  mais les leurs sont limités à huit. »

 A quand la reprise ?

 Mireille Davidovici

 

 

 

 

Robert Cantarella et la voix des autres

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Robert Cantarella dans Faire le Gilles

Robert Cantarella et la voix des autres


Le metteur en scène a découvert la voix de Gilles Deleuze en restituant dans Faire le Gilles les leçons du philosophe, mot à mot grâce à une oreillette (voir Le Théâtre du Blog). Il raconte cette démarche originale qu’il a adapté pour transmettre et penser le jeu de l’acteur. Et qui, dit-il, a fait des émules… Voici l’intégralité de son texte.

Mireille Davidovici

Copier et jouer

 « Il  y a neuf ans, je tentais pour une première fois de dire à haute voix ce que j’entendais. Avec des oreillettes, je copiais une voix. Je suivais les cours enregistrés de Gilles Deleuze en les jouant sur les lèvres puis en les disant à haute voix.  J’entamais, sans le savoir à ce moment-là, la reproduction vocale de ses séminaires. Je ne pensais pas donner naissance à des manières de transmettre, à des façons de penser le jeu de l’acteur autrement. 
 Avant de faire du trafic des corps et des voix, ma passion et mon métier, les voix enregistrées étaient les fantômes vocaux qui permettaient de fructifier mes imaginaires. Avec des prolongements, des architectures, des suites comme je pouvais le comprendre en musique. Je me défaisais en écoutant la voix des autres, puis me recomposais, autrement. 
Le surgissement de l’autre par la voix m’altère, me rend fragile, me différencie, me met hors de moi, loin de moi.
La voix des autres me fait tomber dans autrui et me défait, enfin. La voix m’ouvre, l’image me cautérise. Déjà, encore enfant, lorsqu’on m’a prescrit de faire une radio à cause de poumons peut-être défectueux, je n’entendais dans ce mot que la bande-son qui m’alimentait en images, en pures fréquences auditives. J’étais peuplé de ces voix parlantes dans un poste et je pensais que c’était celles qui me diraient ce dont je souffrais. La radio me soignerait par la voix. 
Je mis peu de volonté à vouloir faire une différence entre les deux types de techniques, celle qui me donnait accès aux voix me plaisait trop pour rendre étanche deux machines avec un même mot. Je voulais que la radiographie soit l’écriture des images vocales, un point, c’était tout. Depuis les voix me font sortir du rang de mon sillon vocal. Quelle tristesse que de se penser seul avec une mélodie verbale qui mourra avec le reste du corps comme caisse de résonance et de raisonnement. 

Donc, j’écoute et j’aime imiter, faire comme si. Je ressens les puissances d’une voix. J’aime y puiser une essence, faite d’accentuations, de grains, de souffles, de cristaux de salive, d’attaques de crêtes, de glissades inutiles.  Je ferme les yeux et un spectre sort de la terre mate du corps émetteur, il confie sa solitude, il habite solitairement un paquet de chair depuis 20 ans, 40 ans, 60 ans, 85 ans. La voix de l’autre était une aspiration qui est un effet de souffle permettant à une voiture de se laisser guider par celle qui la devance pour ne plus réfléchir provisoirement à la destination, ou tout au moins à une conduite volontaire, c’est un relâchement de la décision et de la direction. La voix m’aspirait, je me laissais faire.  Par exemple, j’écoutais Laure Adler dans Les Nuits magnétiques, l’émission d’Alain Veinstein j’ai vingt ans, sa voix me dépose ailleurs, loin de mon assise. 
La voix d’Antoine Vitez fera un effet de déplacement équivalent. Je me souviens de son aspiration inspirante, de ses jetés de mots qui, sans doute avaient du sens mais surtout du son pour moi. Je peux le refaire, le rejouer, repasser par sa voix pour penser, parler, et en le refaisant être en train de devenir. J’ai des idées de lui qui viennent en moi. 
Et aussi me voilà dans la voix de ma mère, les idées sous forme de coulées de mots, d’interjections, me font dire à sa place ce qu’elle pense. Elle est morte, sa voix passe sur ma radio. En écoutant, en me laissant emprunter par la forme d’une voix de l’autre, je fuis. 
J’écoute des nuits entières des voix. Je commence à sentir les datations, les placements, les histoires de chaque vocalise.Je vieillis.  Entre temps, je travaille avec des actrices et des acteurs. Je dirige, quel mot idiot, des corps parlants. En réalité je me fais diriger, ou plus exactement je me laisse aller aux sons qui me pensent et me poussent à penser. 

J’écoute les voix passées, d’acteurs, de penseurs, de corps morts depuis longtemps. Je commence à comprendre que, par la voix, je peux entrer dans la pensée-souffle du corps manquant. L’esprit dit, parlé, enregistré est un trésor qui reste à imprimer vocalement, à être emprunté, comme un cimetière vocal en d’attente d’être réveillé provisoirement. 

Un groupe de travail s’organise au Cent-Quatre à Paris pour m’accompagner dans le chantier des éditions de pièces de théâtre. A l’I.N.A., je choisis Le Prince de Hombourg mis en scène par Jean Vilar,  La Danse de mort mis en scène par Claude Régy, et Electre mis en scène par Antoine Vitez. Nous copions les voix de Maria Casarès, Alain Cuny, Gérard Philipe, Jean Vilar, Jeanne Moreau, Georges Wilson, Valérie Dréville, Evelyne Istria, et nous découvrons un continent… En écoutant, je reproduis les sons entendus sur mes lèvres.  Les lèvres jouent le jeu de se prendre pour l’autre. Elles me parlent et je ne sais pas ce que je dis mais c’est bon de se laisser parler. Le bonheur de l’entame est celui de se laisser parler par l’autre. Caresse dans le sens de la voix, il suffit de se laisser aspirer et peu importe la destination, on parle, ou, il parle comme il neige ou il pleut. 

Puis la voix de Gilles Deleuze devient une chambre d’écho. Sans doute mon peu de connaissance en philosophie et mon parcours si éloigné des études universitaires font que je n’ose pas le comprendre, alors je laisse flotter la prise sonore pour jubiler du fil de l’eau de sa voix de graviers, et de chemins. 
Je suis toujours complexé, son intelligence a la forme d’un mouvement ininterrompu. J’en écoute d’autres. Lacan me fait sourire, car je l’entends s’enfouir lui-même dans le plaisir de sa diction claire sans aucun doute, pour nous mettre hors d’état de le suivre avec le bonheur d’une expédition en pleine friche.  Foucault cisaille, organise les sens à coup de dentale puis d’aération de voyelles, on visite l’organisation de sa pensée par la mathématique des labyrinthes métalliques de sa voix. Barthes, dont l’onctuosité matièrée de tact, saisie la proie du sens pour la laisser toujours humide, filante, instable, pourtant apaisée. 

J’écoute et crois comprendre. Dans la voix de Gilles Deleuze, pas de prétention à augmenter le pouvoir des vocables, pas d’idées cachées sous les mots, mais le balancement régulier, joueur, d’un déhanchement nécessaire pour que la pensée, comme pour la marche, puisse avancer. Une allure de vache, dont il aime tant la rumination.

Je dis Gilles Deleuze et je deviens, mais sans arriver nulle part précisément, ou plutôt sans avoir anticipé la destination.  Jamais parvenu, toujours instable, heureusement insatisfait. Je fais le Gilles, je fais l’idiot, je me laisse prendre par la voix, c’est sensuel, sexuel, abstrait, pratique et chamanique.

Michel Corvin qui venait voir avec régularité toutes les reproductions des cours de Deleuze à la Ménagerie de Verre, puis à la Cinémathèque française de Paris, me dit : « Je ne comprends toujours pas ce qui se passe, mais peut-être que ce qui se passe est précisément ce qui doit ne pas se retenir chez l’acteur. » Je devine ce qu’il dit car il parle en devançant l’auditeur et il faut sentir sa pensée comme une poussée du sens, donc je lui réponds ce que je sens est la coulée d’un esprit qui provisoirement prend place dans ma gorge, dans mon appareil phonatoire pour revenir à l’air, alors lui:  » Mais le théâtre ne sert qu’à ça, faire remonter les fantômes à la surface, tu sais que ce dont je me souviens du Prince de Hombourg ?  » Moi non et lui, c’est le son de l’épée de Gérard Philipe qui tape sur le sol et sa voix qui grince et envoûte. 
Ce décollement de l’adhérence entre le sens et le son fait devenir fou. Fou d’être l’autre par la voix, qui, refaite, augmente la force des idées.  Des idées sans corps propre, des idées en sons devenu du soi parlant. 
Refaire la voix, quel verbe utiliser ? Copier est impropre, il n’est pas question de chercher une identité exacte, imiter est faux, car la tension n’est pas de se faire passer pour le corps de la voix manquante. J’aime le verbe: éditer, un peu pédant sans doute, mais quand je passe par la voix d’un autre, j’en fais une édition provisoire, volatile. 

Cela devient un exercice, un apprentissage, je demande à des actrices et acteurs, amateurs ou professionnels, d’éditer des voix fantômes, de prêter leur physique. La levée d’un corps est immédiate. En éditant une voix, il ou elle se transforme en autre chose, en un tiers chose qui prend place. Et l’interprète devient alors un rapport entre deux moments. L’originel, c’est-à-dire la voix enregistrée, et le parleur. L’interprète est une voix prêtée pour un temps, servant d’intermédiaire à une parole sans corps. L’acteur ne disparaît pas, il ne surparaît pas non plus, il devient. En étant l’un puis l’autre, sans se décider, sans signer, mais désirant faire la navette du sens entre un corps et un son. 

En travaillant et en côtoyant des acteurs exceptionnels, j’ai pris conscience qu’un acteur édite un texte en le jouant. Il lui donne forme, il informe le texte en voix et en corps. L’édition vocale est la signature singulière, inédite, d’un interprète. Depuis je continue et suis heureux de voir que la manière de se laisser inspirer par les voix, est devenue une étude de jeu qui fait des adeptes.

 Robert Cantarella

Par ailleurs le metteur en scène propose des lectures et nous donne rendez vous sur sa page facebook

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  www.robertcantarella.com

Adieu Michel Piccoli

Adieu Michel Piccoli

 Il avait quatre-vingt quatorze ans… Père violoniste et  mère pianiste, pas de Conservatoire National mais une formation basique au Cours Simon. Il jouera vite au théâtre dans les années cinquante avec les compagnies Renaud-Barrault et Grenier-Hussenot, et au Théâtre de Babylone, une petite salle au fond d’un cour, boulevard Raspail, à Paris, tout près de la station Sèvres-Babylone… Là où fut créé le célébrissime En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène par Roger Blin.

Il jouera dans des classiques comme  Pirandello, Strindberg… sous la direction, entre autres, de Jean-Marie Serreau, de Jean Vilar dans Phèdre mais enchaînait aussi les films: quatre en 1952! Et quatre ans plus tard  La Mort en ce jardin de Luis Buñuel et Journal d’une femme de chambre (1963),  Belle de jour (1966), La Voie lactée (1969), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) et Le Fantôme de la liberté (1974). Et en 1963, Michel Piccoli  joue dans Le Mépris de Jean-Luc Godard avec  Brigitte Bardot. Mais il restera fidèle au théâtre et sera en 1965, un remarquable Dom Juan, d’après Molière, dans une adaptation télévisée de Marcel Bluwal. Il jouera aussi  Racine, Shakespeare, Marivaux, Ibsen, Koltès ou Duras, avec Peter Brook, Patrice Chéreau: La Fausse suivante de Marivaux, Bob Wilson: La Maladie de la mort de Marguerite Duras, Luc Bondy, Terre étrangère d’Arthur Schnitzler et Le Conte d’Hiver de William Shakespeare … Puis il sera encore très remarqué au cinéma dans Les Choses de la vie de Claude Sautet  dont il sera un des acteurs fétiches dans Max et les Ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul… et les autres (1974), puis Mado (1978), tous avec  Romy Schneider.

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Et il jouera aussi dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri, avec entre autres Marcello Mastroianni, Philippe Noiret… Il sera aussi un des acteurs les plus marquants de Claude Chabrol  et de Louis Malle (Atlantic City, Milou en mai), mais aussi de Jacques Doillon, Francis Girod ou Leo Carax. Puis de Manoel De Oliveira (Je rentre à la maison) et  Raoul Ruiz (Généalogie d’un crime).

La dernière fois que nous l’avions vu au théâtre, c’était en 2006 aux Ateliers Berthier où il jouait Le Roi Lear dans la mise en scène d’André Engel avec une distribution d’exception: Gérard Desarthe, Julie-Marie Parmentier,  Jean-Paul Farré, Jérôme Kircher…

Mais brusquement après une petite heure de jeu, il était sorti, suivi de ses camarades sur le plateau avec lui. Et un régisseur avait demandé au public de quitter la salle. Incompréhension du public croyant sans doute à un jeu de scène. Le régisseur était alors revenu et avait insisté: le public était alors sorti…Michel Piccoli avait simplement présumé de ses forces et avait eu un malaise:  à 80 ans, il avait tourné dans un film le même jour!, alors qu’il jouait le soir ce rôle écrasant! La passion du théâtre…

Un acteur à la carrière exemplaire, souvent à contre-courant des modes… très engagé politiquement à gauche et, fait assez rare, qui a joué avec les plus grands des metteurs en scène  de théâtre et les plus importants cinéastes du XX ème siècle.

  Philippe du Vignal

 

 

 

 

 

Les auteurs à l’honneur pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy…

 

Les auteurs à l’honneur  pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy, des auteurs de Théâtre Ouverts

Au prétexte de «circonstances particulières», la mise en ligne gratuité de la mise en ligne  de films, captation de spectacles et concerts, inquiète l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Et la S.A.C.D. (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) a signalé à Franck Riester, ministre de la Culture, le tort que pouvait faire aux professionnels du secteur, les offres mises en ligne sur le nouveau site : Culture chez nous ! `

Interrogés sur la question des rémunérations des auteurs, interprètes et réalisateurs, la S.A.C.D. comme l’A.D.A.M.I qui perçoit les droits de suite des artistes-interprètes ne nous ont pas encore répondu…  Les théâtres, cinémas, salles de spectacle et de concert sont toujours fermées et de nombreuses offres continuent à être proposées gratuitement sur la Toile: on nage donc en plein brouillard quant aux dates de réouverture et à la tenue ou non des festivals cet été… Mais  on apprend que la Fête de la musique est maintenue le 21 juin… Un véritable camouflet pour le théâtre de rue et de cirque dont les artistes se voient, eux, voient exclus de l’espace public !

En attendant, saluons quelques initiatives d’auteurs comme cette mini-série de Kelly Rivière pendant son confinement en Poitou-Charentes, une lecture de Michel Deguy et les initiatives de Théâtre Ouvert, centre des dramaturgies contemporaines qui nous permettent de lire des pièces…

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Kelly Rivière dans An Irish Story

 Pleuville de David Jungman et Kelly Rivière

Cette chronique filmée au jour le jour avec les moyens du bord (appareil photo et smartphone) nous fait entrer dans l’intimité d’une comédienne dont la tournée de An Irish Story  s’est brusquement arrêtée en mars, alors que cette création a depuis deux ans, toujours autant de succès. (voir Le Théâtre du Blog)

Pleuville  (Charente): 342 habitants: aucun commerce, un bureau de poste qui fait aussi dépôt de pain, un stade, une église et un cimetière.  Recluse  dans ce petit village, la comédienne doit faire face à l’isolement et s’occuper de ses enfants, Paul et Thomas ( huit et cinq ans).  Les théâtres ont fermé, tout le monde est confiné, les garçons doivent faire leurs devoirs et la maison rester en état… Elle déprime. Et pour ne pas dépérir Kelly fait son cinéma .

La maison familiale devient le décor de cette chronique et les trésors d’un autre temps qu’elle abrite, serviront d’accessoires. La famille fournira les acteurs de ces journées particulières. « Pleuville est notre premier film de famille ensemble », dit Kelly Rivière, « c’est un kaléidoscope de petits riens que le cinéma permet de célébrer et partager pour faire un pas de côté et dédramatiser un tant soit peu une situation oppressante dont l’issue reste à ce jour encore incertaine. » Pleuville retrace, en quatre épisodes réalisés par David Jungman, les tentatives de la jeune femme pour traverser ces temps difficiles avec humour et tendresse.

« Le cinéma, dit Jean-Luc Godard, est « un oubli de la réalité ». Mais comment oublier le réel lorsqu’il se fait aussi présent ? Pendant cette période, nous ne pouvions pas échapper au temps présent , dit la comédienne. Dans les aventures quotidiennes de Kelly Rivière et des siens, ses tentatives de remettre un cadre, de trouver du sens à ces journées qui se répètent, chacun reconnaîtra un peu de sa propre expérience. Rions avec ces quatre épisodes Hissons-nous, Papillon, Des droits et des devoirs et Se débarrasser des cadavres… Tout un programme !

 https://vimeo.com/showcase/7084037?fbclid=IwAR3dU46ubSehW8HOM4_8yF0Tuq4qymEfEYkSJ9agGxGxKd4d3IOToa_-5YI

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Michel Deguy

Coronation de Michel Deguy

Pour fermer la marche du palmarès des prix Goncourt 2020,  celui-ci proclamé le 11 mai a été attribué à Michel Deguy, poète, essayiste, philosophe et créateur de la revue Po&sie. Il se voit couronné pour l’ensemble de son œuvre. Toujours en prise sur l’actualité, l’écrivain   n’a pas la plume dans sa poche : avec l’humour qu’on lui connaît (voir Théâtre du Blog Ode au bus 29) il propose sur le net la lecture d’un inédit : Coronation : « Le coronavirus »… déjà un hémistiche !/ L’épigramme peut cadencer ! / La contamination descend des Contamines /Tes confins mes confins se confinent / Mais nos confins débordent le confinement /Nous nous se contamine/ J’entends l’économie décroître dans les bourses/Dix millions de Chinois auront perdu la face/ Masques et vidéos se toisent en chiens de faciès … »

https://www.youtube.com/watch?v=2YkBISS8M5k

Des auteurs à lire par Théâtre Ouvert :

 Faute d’avoir pu présenter les événements programmés chez son partenaire la MC93, Théâtre Ouvert-centre des dramaturgies contemporaines, pendant les travaux dans son nouveau lieu l’ex-Tarmac, nous offre de la lecture. Les quatre derniers tapuscrits peuvent vous être envoyés en format pdf sur simple demande par courriel ou par Messenger. Il sera possible de dialoguer avec chaque auteur/trice et avec l’équipe de Théâtre Ouvert, en  envoyant des retours, écrits, sonores ou vidéo !

A Parté  de Françoise Dô

Nicole est de retour dans la région. Elle refait sa vie avec son nouvel amant, Chat. Mais Stéphane, son mari dont elle est séparée depuis quelques mois, voit en ce retour l’occasion de la reconquérir. Il commence à la suivre à son insu.

 Pour ton bien (Per il tuo bene)  de Pier Lorenzo Pisano (en édition bilingue français/italien)

Le fils aîné a depuis longtemps quitté la maison. La mère l’appelle pour qu’il revienne: « Papa ne va pas bien ». Le cercle familial : mère, fils et frère, grands-mères et tonton, se reconstitue temporairement…

 Les Inamovibles de Sédjro Giovanni Houansou

Prix R.F.I. 2019  (voir Le Théâtre du Blog) cette pièce de l’écrivain béninois retrace l’histoire de Malik qui s’est jeté sous un train, pour ne pas rentrer la tête basse au pays où l’attend son père, en compagnie d’autres parents de jeunes exilés. En sept mouvements, la pièce nous transporte dans un espace collectif incertain… tout en pénétrant dans l’intimité des personnages. Ceux qui sont partis et ceux qui restent.

 La Truite de Baptiste Amann

C’est dimanche. Un couple proche de la retraite a invité ses trois filles pour fêter les soixante ans du père. Les filles débarquent avec leurs conjoints et enfants…  Le repas familial devient la scène de règlements de compte.

L’Araignée
de Charlotte Lagrange

Elle travaille toujours dans l’Aide sociale à l’enfance. Mais on préfère que ce ne soit plus avec des mineurs non accompagnés au motif qu’elle devait s’appliquer et non s’impliquer.

 nl@theatreouvert.com

 

Mireille Davidovici

 

 

 

 

Livres et revues

Livres et revues

 Sosies suivi de Je préférerais mieux pas de Rémi de Vos

Cet  auteur a inscrit les aléas des vies professionnelles et familiales de notre temps dans des pièces comme entre autres : Alpenstock suivi d’Occident (2006), Débrayage, Beyrouth Hôtel (2008) et Départ volontaire et Kadoc (2019)  publiés fidèlement chez Actes Sud-Papiers.

Occident mis en scène Dag Jeanneret © g. cittaidini

Occident mis en scène de Dag Jeanneret © g. cittaidini

Bernie et Momo, des sosies plutôt bas de gamme de Johnny Halliday et SergeGainsbourg habitent la même cité mais Momo ne supporte pas le succès de Little Johnny Rock. Jean-Jean, vingt-neuf ans, apprend de ses parents, Biche et Momo, qu’il a été adopté, après qu’ils lui aient donné ce prénom redoublé. Mais pour l’intéressé, un seul Jean aurait suffi : « Qui c’est qui a l’air d’un con depuis vingt-neuf ans ? » Son vrai prénom, apprend-il, était Rachid mais écarté car trop près de Bouzid, le grand amour de son père, estime sa mère magnanime. De plus, ce père et cette mère se sont mis en tête de marier leur fils pour avoir des petits-enfants…

Tous les personnages souffrent de ne pas exister suffisamment : problème d’identité et de reconnaissance sociale et personnelle, sentiment permanent de solitude. Et ils rêvent d’incarner des stars musicales. Mais nulle gravité, nulle amertume mais des jeux de mots loufoques, entre éclats de bonne humeur et piètre cocasserie… Ces  personnages populaires en mal de vie sont  en présence d’un autre, capables de sensibilité et d’humanité.

691EA320-2B64-405C-A3F7-90489EFE89E3Et dans Je préférerais mieux pas, à l’instar de Bartleby, héros du roman éponyme de Melville, les personnages de six saynètes refusent d’obéir aux ordres qu’on leur donne en « préférant mieux pas ». Grâce à un humour corrosif -sa marque de fabrique- Rémi de Vos pointe de nombreuses attitudes de l’anti-pouvoir. Le monde de l’entreprise est toujours chez lui au rendez-vous, accompagné d’amères  réalités.

Altruisme invite à la rencontre d’une fonctionnaire de l’Inspection du travail et de l’épouse d’un entrepreneur qui prétend ne rien connaître des chantiers de son mari absent.  Cette fonctionnaire était venu l’informer d’un procès-verbal qui rend compte d’un chantier non règlementaire.

Compassion met en scène un jeune homme diplômé Bac + 7, inscrit dans une agence d’intérim et qui a seulement réussi à obtenir un emploi de déménageur. En présence d’un huissier de justice, a lieu un  déménagement forcé auquel l’intérimaire préférerait mieux pas procéder …

DansPouvoir, ce ne sont pas les hommes qui décident comme attendu, mais les femmes qui obligeraient ces messieurs à plus attention à leur égard…Quant à Peur, sur les chemins de la médisance dans son entreprise, la persifleuse Marjorie ne cesse de tourmenter certains de ses collègues qui viennent s’en remettre à un chef étonné et dubitatif mais en tout cas gêné…

Dans Folie, des ambulanciers sont prêts à transporter dans leur véhicule un défunt pour minimiser les dépenses de sa famille. Mais  il faut passer par un escalier… Et dans Désespoir Rémi de Vos nous fait  regarder des branches d’arbres  où sont  posés des oiseaux comme des  chevêches, des crépins dorés, des agrittes. Il est aussi question de masques à porter dans ce parc étrange que les personnages visitent :« J’attire votre attention, dit l’un des prestataires de cette balade, sur le fait que :« Village détruit après passage de milice avec massacre » , coûte triple de : « Matinée en forêt avec chants d’oiseaux. » Balades en forêt antithétiques et qui se croisent.

Des promesses de vie et de scènes cocasses qui seront bientôt mises en scène…

Véronique Hotte

 A paraître en juin chez  Actes-Sud Papiers.

Frictions

Le neuvième hors-série de vient de paraître. Il est consacré à la plateforme d’expérimentation Siwa. Créée en 2007, ce laboratoire  itinérant des mondes arabes contemporains. a été conçue pour susciter des échanges entre des artistes, des intellectuels, des citoyens des mondes arabes et européens, et  des chantiers de réflexion qui se fondent sur l’expérimentation artistique.

Une Orestie syrienne

Une Orestie syrienne

La plateforme donne à voir en Europe les créations les plus expérimentales et en réciprocité, fait connaître en Tunisie et en Irak des expériences artistiques européennes.  C’est à la confluence de cette curiosité intellectuelle et artistique que Siwa s’essaye à la politique autrement, à l’encontre des  tensions et des surenchères idéologiques.  Parmi les projets de Siwa,  le laboratoire d’échanges artistiques La ligne d’une tentative fondé en 2011 à Redeyef, ville du bassin minier de Tunisie, qui s’ancre depuis 2014 dans un bâtiment de la ville : l’Économat. Un projet mené en collaboration avec la Fonderie au Mans (Le théâtre du Radeau de François Tanguy). 

.En français et en arabe. Avec entre autres  : des Fragments de François Tanguy, Paris, Amman, Oran, Bagdad, Besançon, Le Mans, Tunis, Redeyef... de Jean-Pierre Han, Eschyle chez les Arabes de Youssef Seddik, Siwa ou le lieu du possible de Yagoutha Belgacem, un portefolio de Lâm Duc Hiên…

Philippe du Vignal

 Bientôt dans les librairies (quand elles rouvriront) ou à Théâtres /écritures, 27, rue Beaunier 75014 Paris. T. : 01 45 43 48 95  frictions@revue-frictions.net
Ce numéro peut aussi être commandé sur le site:
http://www.revue-frictions.net

 

 

 

Les déconfinés du Théâtre du Blog parlent aux déconfinés (suite)

Les déconfinés du Théâtre du Blog parlent aux déconfinés (suite)

Véronique Hotte, critique dramatique et enseignante

 -Qu’avez-vous fait pendant ces deux mois où le temps s’est comme arrêté et que faites-vous en ce moment?

- Je continue à enseigner comme tous les professeurs grâce à Internet à mes élèves de 4 ème et 3 ème du collège Gustave Flaubert dans le XIII ème à Paris. Mais c’est plus difficile qu’avec des lycéens. Ils sont habitués à manipuler leurs téléphones portables  mais ils  maîtrisent moins bien l’ordinateur.  Comme ils n’en ont pas tous, le collège leur a prêté des tablettes. Nous continuons donc à travailler sur le programme de langue française. 

Mais l’Atelier-Théâtre avec des intervenants du Théâtre de la Cité Universitaire: Alexandre Zeff qui va y mettre en scène une adaptation de Tropiques de la violence, un roman sur la jeunesse de Mayotte toujours en confinement un thème socio-économique sensible,  de Natacha Appanah. Les comédiens intervenants Assane Timbo et Julien Cheminade ne peuvent plus faire travailler les élèves pour le moment, peut-être en juin…

-Et à part cela vous lisez beaucoup comme la plupart d’entre nous?

-Oui, bien sûr d’abord Femmes et littérature, une Histoire culturelle des femmes, un panorama quasiment complet des œuvres de femmes du Moyen-Âge, au XXI ème siècle en France et dans les pays francophones.  Et aussi La Cheffe, roman d’une cuisinière de Marie N’Diaye.  Mais je lis peu de théâtre… Plutôt des pièces comme celles d’Ivan Viripaev, certaines de Michel Vinaver ou de Joël Pommerat que je connaissais  moins bien. Et Scènes de lecture de Saint-Augustin à Proust, une anthologie qui regroupe cent  textes illustrant les différentes manières de lire, c’est-à-dire les rapports à l’objet-livre.

-Et les captations que tous les théâtres veulent sans cesse nous refiler?

-Désolée mais je n’y trouve pas mon compte, quelque soit par ailleurs leur qualité… J’ai ainsi vu Roméo et Juliette de Shakespeare dans la mise en scène d’Eric Ruf ou Brand d’Ibsen dans celle de Stéphane Braunschweig. Mais bon, ce n’est jamais du spectacle vivant. Y manque ce regard immédiat sur le monde, ce filtre toujours étonnant de l »ici et maintenant » sur les problèmes éternels que nous offre un texte de théâtre, qu’il ait été écrit il y a  plusieurs siècles ou très récemment, avec cette référence et cette sensibilité à l’existence qui nous sont si précieuses!

 Mais je préfère regarder d’anciens films sur Henri, le site de la Cinémathèque française comme La Chute de la maison Usher ou La Glace à trois faces d’après Paul Morand de Jean Epstein. Ou encore La Belle Noiseuse.

Photo X

La Belle Noiseuse Photo X

 Ou Ne touchez pas la hache d’après La Duchesse de Langeais de Jacques Rivette et  Feu Matthias Pascal d’après Pirandello de Marcel L’Herbier…

-Et la question qui taraude tous les professionnels: le festival d’Avignon et les autres?

-C’est vraiment triste qu’il n’ait pas lieu et celui d’Avignon me manquera. Qu’on le veuille ou non, c’est un bon baromètre du théâtre en France. Quant à cette Semaine d’art prévue pour le remplacer en novembre, il y manquera une dimension. Une chose est sûre: on était arrivé dans le off à une limite dans  la démesure et la prolifération. Et il faut réfléchir à ce que peut être l’avenir du In et privilégier une dimension populaire et non plus l’entre-soi comme ces dernières années… Cela dit, je n’ai pas assez d’éléments pour en parler. Ceux qui ont les cartes en main, doivent prendre les bonnes décisions et on regrette que Macron ne soit pas vraiment proche de la Culture.

– Vous vous voyez comme critique, faire une rentrée théâtrale comme d’habitude?

 -Non, bien entendu. Je crains que le public n’ait guère envie d’aller dans les salles, même en respectant les fameux gestes-barrières. Que ce soit celles des théâtres ou des cinémas. Les professionnels du spectacle semblent actuellement marcher sur des œufs et on les comprend. Quant aux élèves ils retrouveront le chemin des collèges comme des lycées et reprendront les cours mais seront-il autorisés à  fréquenter en groupe les théâtres? Bref, je suis comme tout le monde: en attente…

 Entretien réalisé par Philippe du Vignal

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La Franc-Comtoise de rue

La Franc-Comtoise de rue

Plusieurs compagnies de Franche-Comté se sont réunies aux bords du Doubs pour établir un acte radical et poétique de résistance: La Conjuration de Granvelle établie entre autres par le Théâtre de l’Unité, le Pudding Théâtre,

Le Pudding Théâtre  Photo X

Le Pudding Théâtre
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Le Tricyclique Dol, Muche Muche, A demain j’espère, Sirious Compagnie et les Urbaindigènes, Artimium 360.

Pour Christophe Chatelain, acteur et « metteur en rue » :« Tout le monde trouve des façons de résister, le monde change. Il faut profiter de ce moment pour rassembler les intermittents de Franche-Comté, amener de la poésie et de la beauté. Il faut convoquer tout le monde pour s’emparer à nouveau du dehors et sortir notre épingle du jeu maintenant. Macron a proposé des répétitions publiques… Avec Les Quatre Saisons de Pina Bausch (son fils a donné son accord pour les droits de diffusion)  on pourrait faire dans Besançon, une grande marche dont  le final aurait lieu place de la Révolution. Il faut favoriser les énergies locales mais aussi établir un dialogue sans passer par des revendications. Personne ne peut faire de programmation. Comment imaginer le monde d’après avec les artistes ? »

Hervée de Lafond, co-directrice du Théâtre de l’Unité, suggère la présence de trois cent personnes en blanc place de la République: chacun pourrait dessiner un rond au blanc d’Espagne et un coryphée lancerait des textes sur la marche de Pina Bausch avec des gestes simples. Il faut retrouver le sacré des rituels, le passage à l’âge adulte pour dire au revoir. Ce serait un autodafé des autorisations de déplacement. Il faudrait travailler la nuit, chercher des lieux symboliques. On pourrait faire trente groupes, en deux temps et un final avec des gestes simples. »

« Que tous les théâtres nationaux découvrent le théâtre de rue ! Montrer qu’on est ensemble, faire le récit du confinement, afficher sur un mur la liste des spectacles qui n’ont pas pu se jouer. On pourrait réunir les troupes amateurs pour occuper l’espace de façon esthétique. Le monde déprime, on pourrait faire un truc glauque. Nous avons été bloqués par des contradictions: nous ne savions pas où et quand on pourrait jouer. On a dû ainsi annuler des représentations à Besançon. Il faut aussi trouver des graffeurs comme le Gentil Godjo, travailler de nuit, trouver des lieux symboliques. Et ce serait bien que les directeurs de tous les théâtres nationaux découvrent enfin le théâtre de rue,  que l’on montre qu’on est ensemble. Mais aussi  faire le récit du confinement, afficher sur un mur le nombre et le titre des spectacles qui n’ont pas pu se jouer, organiser des foires au troc et vide-greniers artistiques

Vide-grenier artistique à Paris

Vide-grenier artistique à Paris

dans le villages, réunir des troupes d’amateurs, occuper l’espace de façon esthétique. Bloqués par des contradictions: nous ne savions  pas où et quand on pourrait jouer, on a dû annuler des représentations et manquer à des gens. Quel est le rôle de l’artiste ? Nous avons tous besoin de transformations, de joie, de passeurs. La Culture officielle nous méprise, mais pas le peuple. Il faut être dans la rue, donner quelque chose, sinon on mourra à petit feu. Il faut dépasser le truc autocentré car la dépression économique va nous tomber dessus. »

« On nous dit qu’on ne peut pas être beaucoup en groupe et ça nous fait envie. Il faudrait des pancartes avec des phrases qu’on aura récoltées… Paul joue dans des maisons de retraites. Il est perdu et ça lui donne une envie de transgression pour faire un geste commun.  Le confinement, c’est fini mais on préfère le confinement à la vraie vie… Ils ont foutu le théâtre dans un état de léthargie. On peut être sûr que le théâtre ment aux gens mais on peut donner aussi autre chose que le sourire et la fête. Comme les infirmiers et les éboueurs, on joue notre rôle. »

Il faut être trois se répartir le boulot. Hervée de Lafond se propose d’aller draguer les Scènes Nationales et s’occuper du scénario. Stéphanie Ruffier, elle, prendra contact avec les journalistes pour que soit connu cet acte de résistance poétique et radical. Nous devons faire reconnaître les forces vives de Franche-Comté. Une réunion aura lieu au Centre Dramatique National de Franche-Comté pour préparer un événement le mardi 26 mai à 18 h  et organiser cette conjuration de Granvelle..

Edith Rappoport.

Les déconfinés du Théâtre du Blog parlent aux déconfinés (suite)

Les déconfinés du Théâtre du Blog parlent aux déconfinés ( suite)

 

Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherches au C.N.R.S.

 -Comment avez-vous vécu cette période?

- Quand les mesures sanitaires ont été votées, je devais aller au G.I..T.I.S. à Moscou, faire un séminaire sur le Théâtre du Soleil qui, bien entendu a dû être annulé;  donc je  suis restée à la campagne où j’ étais pour quelques jours, avant le départ pour la Russie. J’ai du mal à me concentrer sur mon travail, mes projets de livres; le jardinage m’occupe beaucoup et je me trouve privilégiée de vivre cette période dans un très petit village.  IMG_9175Je n’ai pas envie de lire des romans (une exception pour l’étonnant récit documentaire Les Services compétents de Iegor Gran, un écrivain français, fils d’Andreï Siniavski, le dissident soviétique. Mais je lis beaucoup les journaux , les posts sur Internet, les articles qu’on me fait suivre. Je suis effarée par les mensonges de l’Etat, notamment sur les masques. Tout le monde prend la parole, les tuyaux d’information sont tous engorgés de choses contradictoires, proférées par de soi-disant experts… si bien qu’on ne sait pas à qui s’en remettre. Parfois il vaudrait mieux se taire.

-Et Paris vous manque?

-Non, mais  curieusement, l’opéra oui: j’ai une envie folle d’y aller, alors que je n’y vais pas tellement, peut-être parce que  ce sera l’art  le plus difficile à remettre «  en route ». Mes amis aussi me manquent mais on se téléphone beaucoup. Je regarde des captations: j’attends celle  du Bal masqué  de Lermontov, mise en scène d’Anatoli Vassiliev à la Comédie-Française en 1992, mais surtout les bonnes séries à la télévision comme Le Bureau des Légendes, 

Le Bureau des légendes

Le Bureau des légendes

La Casa de papel, The Crown… Cela m’apprend que l’écriture théâtrale au lieu d’être  souvent solitaire pourrait aussi se faire à plusieurs et avoir la même exigence que celle de ces séries.

-Et l’annulation prévue du festival d’Avignon mais aussi des autres festivals d’été?

- Bien sûr, on n’a pas à être content ou pas. Tous les projets en cours sont perturbés par cette pandémie. Pour certains  festivals,  cette pause peut être bénéfique si elle ne prive pas les artistes et techniciens de leur salaire,  elle peut inciter à prendre un nouveau départ, à renoncer à être une foire aux spectacles.

- Alors comment voyez-vous les prochains mois?

- Je n’ai aucune parole d »expert ». Juste des idées qui viennent: intensifier le programme Recherche destiné aux artistes lancé l’an dernier par  le Ministère de la Culture  et lui donner plus de transparence.  Accorder des bourses pour inciter les dramaturges à travailler ensemble dans des laboratoires virtuels (par Zoom et autres).  Multiplions au cœur de nos territoires comme on dit aujourd’hui, les lieux magiques, utiles et poétiques comme la Maison Jacques Copeau, lieu de transformation des artistes et du public, lieu de pédagogie. Il faudrait  d’abord penser en termes de  » maintenant » et non en termes d’ «après».  Il me semble qu’il faudrait  arrêter cette course incessante à la production de spectacles qui seront joués x dates et faire en sorte que le public de théâtre se renouvelle.

Des artistes pensent à revoir leur pratique comme  Cyril Teste qui, avec son équipe, prépare au Monfort une autre façon de travailler en respectant un protocole sanitaire contraignant. Un projet avec des spectateurs invités à participer à des processus renouvelés. Le travail à distance avec des artistes confinés (France-Culture) donne des idées pour du théâtre à la radio. Plutôt que de penser «  innovation» , il me semble qu’il faut valoriser le travail, l’élaboration et faire durer les créations, les faire évoluer avec le public de chaque représentation ( Meyerhold disait que la première était en fait la première répétition avec le public et que le spectacle avait pris sa forme à la centième…). Je me tais. Tout va être difficile, le théâtre va redevenir nécessaire.

 Edith Rappoport, critique de théâtre

-Vous êtes confinée du côté de Montbéliard?

-Oui, et j’en ai un peu assez mais bon, je suis dans notre maison avec mon mari Jacques Livchine dont le Théâtre de l’Unité est installé à Audincourt et je suis tout de même mieux que si j’avais dû rester à Malakoff où j’habite. C’est un petit village tout près de la frontière de la Suisse. 280px-Villars-lès-BlamontNous y allons parfois acheter des beedies et du chocolat. Je jardine un peu  et côté travail intellectuel, je passe beaucoup de temps à établir un registre des spectacles que j’ai vus depuis 2017. Avec des souvenirs très inégaux. Et la mémoire parfois joue des tours… Mais restent assez intacts des moments d’anciens spectacles-culte comme Electre de Sophocle ou Le Soulier de satin de Paul Claudel dans les mises en scène d’Antoine Vitez, le célèbre Orlando Furioso de Luca Ronconi joué aux anciennes halles Baltard à Paris, et bien sûr, La  Cuisine d’Arnold Wesker, 1789 et 1793 : trois spectacles mis en scène par Ariane Mnouchkine pour le Théâtre du Soleil.  Mais c’était au minimum, il y déjà  plus de trente ans, voire plus de cinquante comme Orlando

-Et à part cela, vous voyez des captations? Vous lisez?

-Oui , je viens de finir Katiba de Jean-Christophe Rufin, (Flammarion) un bon roman où quatre touristes occidentaux ont été assassinés au Sahara par al-Qaida. Cette tragédie met en alerte les services de renseignements des Etats-Unis, des Emirats  et de France. Nous regardons aussi les captations de quelques spectacles. Et nous nous baladons une heure par jour en forêt avec le grand chien de Jacques, chien-bouvier-bernoisun merveilleux bouvier bernois doux et plein de tendresse.. Mais nous ne voyons guère  personne dans ce tout petit village.

- Et l’avenir?

-Comme tout le monde, je ne suis pas rassurée quant à celui des compagnies de spectacle… Ainsi notre fils Christophe Rappoport qui dirige la fanfare des Grooms a vu tous  leurs contrats annulés. Et cela ne vous surprendra pas, comme de nombreux professionnels, je pense qu’il va falloir revenir à des réalisations plus modestes. En particulier, au festival d’Avignon où, comme vous le dénonciez il y a peu, tout est devenu monstrueux dans le in comme dans le off:  les compagnies sont les victimes de la surenchère économique qu’on a laissé se créer au fil du temps.

L’an dernier, c’était la première que je n’y allais pas depuis 1966 Je me souviens : j’écrivais à l’époque pour France Nouvelle, l’hebdomadaire du comité central du Parti Communiste et j’avais interviewé Jean Vilar… Finalement avec ce maudit corona, cela tombe bien, je n’avais pas du tout envie d’aller  non plus cette année à Avignon…

- Vous semblez regretter les festivals d’antan?

- Sans doute, comme ceux de Chalon-sur-Saône ou Aurillac, ils me paraissaient être plus à taille humaine, que ces grands rassemblements  qui ne font plus vraiment sens… et où personne ni les metteurs en scène ni le public ne trouvent son compte.

Philippe du Vignal, critique dramatique et rédacteur en chef du Théâtre du Blog

 

Les déconfinés du Théâtre du Blog parlent aux déconfinés

-Et vous, Philippe du Vignal, où êtes-vous passé?

– J’étais allé le 14 mars près de Clermont-Ferrand voir une adaptation de L’Odyssée par la compagnie Caracole.  Représentation dans une grande salle municipale sous forme de cabaret avec petites tables pour environ soixante spectateurs.  Donc autorisée. Aucun masque, juste des flacons de gel un peu partout mais repas entre les deux parties du spectacle sans aucune distance sociale… C’était donc il y a très longtemps! Sur mon téléphone portable, après la représentation, un message de notre ami Jean Couturier, critique de danse mais aussi médecin et donc très bien informé qui m’intimait l’ordre absolu de ne pas bouger de chez moi. Mais comme je n’étais pas chez moi et que le lendemain dimanche, il n’y avait pas de train tout de suite pour revenir à Paris. Et que tous les cafés de Clermont  étaient déjà interdits d’accès, je suis allé me réfugier dans mon hameau pour quelques jours mais ensuite la décision de confinement a été prise. Et depuis deux mois, ce qui ne m’était jamais arrivé, du moins au printemps, je suis toujours là…

-Et votre  vie, seul dans un hameau du Cantal?

-Aucune différence ou si peu avec l’existence habituelle, le hameau

Photo André Malbert

Photo André Malbert

est situé à 8 kms du village le plus proche et on ne voit donc pas grand monde. Y habitant seulement mon voisin et son amie,  neufs  poules, trois coqs et dix canards, un chien et le facteur qui vient porter le quotidien La Montagne et parfois une lettre ou deux. Mais il y a la vallée ensoleillée du Lot avec plein de cerisiers en fleurs, les prairies vertes,  les vaches et parfois un chevreuil qui traverse le chemin… Et  arrivent régulièrement offerts par mon voisin une salade, une boîte d’œufs du jour, du cresson sauvage et des blettes du jardin d’une fraîcheur exceptionnelle et hier, un gros cèpe…

Un jeune musicien bordelais réfugié avec son groupe dans un autre hameau proche, prend soin de moi et me ravitaille de quelques produits tous les dix jours. Mais comme je ne mange plus de viande,  pour le reste, j’ai tout ce qu’il faut dans un congélateur. Et j’ai aussi des bocaux de compote de pommes, faits de mes blanches mains ces dernières années. Bien content de les retrouver… Cela ne change donc rien à ma vie habituelle depuis plus de quarante ans dans ce hameau retiré du monde. Seule différence: impossible de voir les ami(e)s proches, marseillais ou parisiens: ils n’ont pu venir ou sont plus loin qu’à 1 km à vol d’oiseau! Mais bon, heureusement le téléphone existe… 


- Et vos journées se passent comment là-bas?

- Je mène une existence assez monacale et d’un rythme régulier.  Et je suis sorti deux fois en deux mois du hameau pour une course urgente. Il y a ici un grand silence seulement troublé par les chants des coqs et comme d’habitude, je me lève à 6 h 30, ouvre les volets en faisant quelques exercices de respiration, puis je m’offre un bon petit déjeuner. Et ensuite, je regarde les messages mais surtout les articles que la plupart des collaborateurs du Théâtre du Blog envoient régulièrement. Et je les mets aussitôt en ligne. Qu’il en soient remerciés: grâce à eux, l’activité de notre magazine n’a pas cessé: il y a eu cinquante deux articles et la fréquentation en avril  a même été supérieure à celle du mois de juillet 2019 !  A midi et demi après avoir écouté Le Jeu des mille euros avec Nicolas Stoufflet sur France-Inter (oui, j’aime retrouver la France des villages.. mais je gagne rarement le super banco!). Puis déjeuner frugal, lecture et repos d’une heure. Ensuite chaulage de murs ou  réfection de terrasses et murs de pierres sèches, tronçonnage de bois pour l’hiver  et rangement au sec, bricolages en tout genre, plantations, élagage… C’est selon l’humeur et le temps qu’il fait. Mais à trente degrés à l’ombre comme il y a dix jours, je rentre dans ma maison…

Cela me rappelle la vie en Bourgogne de Jean Laplanche, auteur avec Jean-Bertrand Pontalis du fameux Vocabulaire de la psychanalyse que j’ai eu longtemps comme livre de chevet. Il  travaillait le matin à ses livres et l’après midi, s’occupait de ses vignes. Cela parait en effet essentiel pour garder un bon équilibre mental et le soir venu, je fais une balade d’une petite heure dans les bois. Quand je m’en sentirai le courage, j’irai au cimetière qui est à une bonne demi-heure de marche, dire bonsoir à ma compagne Laurence Louppe. Dîner à 20h 30 puis de nouveau lecture et sommeil. Les journées paraissent souvent bien courtes quand il y a autant de choses à faire…

-Et que lisez-vous, qu’entendez-vous et que voyez-vous?

 -La médiathèque du village proche était évidemment  fermée mais nous avions déjà constitué depuis longtemps une bibliothèque assez fournie en romans de tout genre. Je lis un peu au hasard: Les Armes secrètes de Julio Cortazar, La Piste de sable d’Andrea Camilieri, Mémoires d’un vieux dégueulasse  de Charles Bukowski,. J’ai aussi essayé de lire Aracoeli d’Elsa Morante, l’épouse d’Alberto Moravia, mais le livre m’est tombé des mains. Et aussi quelques polars : David Goodis,  Patricia Mac Donald…  Je relis aussi de la poésie comme L’Homme approximatif de Tristan Tzara.Et le grand Thucydide dont le récit de la peste d’Athènes en ces temps de pandémie fait froid dans le dos.
Les livres de théâtre sont tous à Paris sauf le Dictionnaire encyclopédique du Théâtre de Michel Corvin et son seul voisin sur une étagère à portée de mains, Du Bon Usage, Grammaire française avec des remarques sur la langue d’aujurd’hui de Maurice Grévisse que je consulte souvent. Très peu de théâtre ici ici mais j’ai quand même ici celui d’Eschyle et je relis pour la n ième fois cette pièce fabuleuse que sont Les Perses avec cette dernière phrase du Roi Darios retournant dans son tombeau: “Et vous, vieillards, adieu, jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse ne sert à rien chez les morts.” A méditer quand les copains de lycée comme Pierre Bénichou le mois dernier, quittent cette vallée de larmes…

Du côté radio: France-Inter mais qui m’a beaucoup déçu avec ses déprimants bilans quotidiens de morts dues au Corona, ses interviews, en permanence ou presque, de  tout ce que la France compte de médecins spécialistes mais aussi d’hommes politiques. Mais rien ou pas grand chose sur la situation en Afrique, et dans les autres pays européens, en particulier ceux de l’Est… Donc j’ai abandonné sauf pour Le Masque et la Plume et donc Le Jeu des mille euros Mais j’écoute souvent France-Musique et mes disques: en particulier la musique du XVII ème et XVIII ème siècles comme les fameuses Messe pour les paroisses et Messe pour les couvents de François Couperin, mais aussi Louis Marchand, Nicolas Clérambault et Nicolas de Grigny. Et aussi bien sûr, Jean-Sébastien Bach.

Mais je ne vois aucune captation de spectacles. C’est une  mauvaise copie de l’original et Walter Benjamin  l’avait déjà bien vu: une copie sortie de son contexte spatial n’a plus beaucoup de sens, sinon pour des chercheurs spécialisés. Et elle devient grâce à un écran de télévision, une sorte d’objet de communication pour les compagnies et les théâtres qui essayent à tout prix de garder le contact avec leur public c’est à dire leurs clients, au besoin même avec des contes. De toute façon, je n’ai pas d’écran de télévision… Sans doute me sens-je parfois un peu seul mais comme disait Goethe:  » Tant que nous pouvons garder la tête haute et tant que nous pouvons agir, il ne faut pas faiblir. »

-Paris vous manque?

-Pas vraiment, ici, on vit, on agit avec lenteur, en hiver comme en été surtout et cela fait du bien: j’y trouve une grande paix. On a du temps et je peux m’occuper davantage du Théâtre du Blog. Mais ma famille proche et mes amis me manquent beaucoup. Comme ma petite-fille n’a pas une passion pour le téléphone,  je ne l’entends pas souvent mais je me refuse à communiquer avec elle par textos, la manie de tous les adolescents! J’ai besoin d’entendre  sa voix mais bon.. Caen n’est pas dans le rayon des cent kms et de toute façon il y faut au moins huit heures de route!  Donc patientons… Je n’ai pu voir non plus ma belle-fille ni mon fils qui travaille en Norvège et qui était venu pour son anniversaire. Mais au moins, je lui téléphone par whatsap.

– Et les festivals comme, entre autres, celui d’Avignon, cela va vous manquer?

-Avignon: j’y suis allé pratiquement tous les ans depuis au moins quatre décennies: c’est une ville dont on ne se lasse pas mais je la préfère au printemps quand il y a peu de monde. J’avoue que je pourrai m’en passer cette année, tout comme le festival d’Aurillac. Tout a été dit ou presque sur cette situation inédite et je n’en rajouterai pas. Comme Jean-Pierre Han (voir l’entretien avec lui dans Le Théâtre du Blog), je reste assez pessimiste et ne crois guère à un bouleversement de la situation actuelle. Récemment  la grande Ariane Mnouchkine a eu des mots très durs pour le gouvernement actuel: difficile de croire aux effets de manches d’un Emmanuel Macron en chemise avec, à ses côtés, un Frank Riester en veste et prenant des notes comme un étudiant en licence! Malgré ses déclarations, on a l’impression que le Président ne s »intéresse  guère à la Culture…

Stanislas Nordey succèdera sans doute à Olivier Py à la direction du festival d’Avignon, et lui-même lui succèdera au Théâtre National de Strasbourg. Et après, cela changera quoi? Enfin cette épidémie permettra sans doute qu’il y ait une petite prise de conscience quant à la pagaille qui règne dans le milieu du spectacle, en particulier dans le off; cela dit comment revenir à un chiffre lus décent de de spectacles, au lieu des plus de 1.500 actuels. Faudra-t-il en arriver à verser une prime aux compagnies qui choisiraient plutôt de jouer dans un petit festival? Je ne crois guère, passé ces deux mois si particuliers, à une vraie solidarité professionnelle entre théâtres, producteurs, compagnies, artistes, techniciens comme le  voudrait le S. N. E.S.  Le syndicat du théâtre privé. De toute façon, il faudra une circulaire ministérielle précise quant aux mesures sanitaires à observer pour le public, les acteurs et les techniciens. Les théâtres privés et publics arriveront-ils élaborer de nouveaux programmes avec plusieurs représentations d’un spectacle dans la même journée? L’Etat ou les Régions accepteront-ils de subventionner les places obligatoirement laissées vides?  Et le public voudra-t-il revenir dans les petites salles comme dans les grandes? Autant de questions qu’il va falloir résoudre au plus vite… Les rassemblements de plus de dix personnes sont interdits dans l’espace public mais pas dans un jardin privé! Comprenne qui pourra…
Il y a malheureusement déjà eu et il y aura encore des dégâts collatéraux, subis entres autres, par les petites compagnies. Je pense aussi à nos amies les attaché(e)s de presse qui s’occupent d’elles et avec qui nous collaborons depuis tant d’années. Et qui ont été vite privées de contrats..

-Voilà, du Vignal, êtes-vous satisfait par mes réponses?

-Vous semblez un peu pessimiste mais bon, on a été ravi d’avoir de vos nouvelles…

 Entretien de Philippe du Vignal réalisé par Philippe du Vignal

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