Les Francophonies, c’est reparti pour l’automne ! Entretien avec Hassane Kassi Kouyaté
Les Francophonies, c’est reparti pour l’automne ! Entretien avec Hassane Kassi Kouyaté
Le festival limougeaud qui va fêter ses trente-sept ans avec une grande exposition en septembre, se décline maintenant en deux saisons (voir Le Théâtre du blog). Il lui a fallu cette année, corona virus oblige, renoncer à son volet littéraire: Les Zébrures de printemps, prévues en mars. Elles ne pouvaient être reportées pour diverses raisons, explique son directeur : d’abord faute de lieux disponibles; aussi parce que réaliser ce focus de dix jours sur les écritures en automne et en même temps que les créations, aurait brouillé la visibilité de textes qui doivent exister indépendamment.
« J’ai adoré certains en les entendant, dit Hassane Kassi Kouyaté, mais j’ai souvent été déçu par leur mise en scène. Je ne veux pas opposer les deux mais mettre en lumière les textes eux-mêmes et le travail de la Maison des Auteurs qui contribue à leur diffusion. Par ailleurs, au printemps prochain, ce ne pourra être les mêmes auteurs en jeu : « Je veux montrer des écritures en cours de création. Or, la plupart de la programmation 2020 concernait des textes qui sont maintenant montés. » Dernière raison invoquée : » J’avais déjà aussi pris des engagements pour le printemps 2021 en Asie et au Moyen-Orient et passé des commandes d’écriture. » Cependant, les artistes, techniciens, prestataires de service qui devaient opérer aux Zébrures de Printemps 2020 ont tous été dédommagés. »
Les spectacles que nous verrons aux Zébrures d’automne, africains pour l’essentiel, sont prévus depuis longtemps et, dit Hassane Kassi Kouyaté : « 90 % des propositions ont pu être sauvées mais nous avons dû refaire des distributions, remplacer les artistes venant d’Afrique qui devaient intervenir, par des acteurs et musiciens de la diaspora en France. » Il y aura donc neuf créations et trois encore en suspens, des accueils de spectacles et des événements dont une grande exposition sur l’histoire de ce festival créé en 1983 par Pierre Debauche. Organisée en partenariat avec la Bibliothèque de Limoges, pôle associé à la Bibliothèque Nationale de France pour le théâtre et la poésie francophones. Auront aussi lieu des rencontres sur les relations Sud/Nord…Le menu définitif nous sera dévoilé à le fin du mois de juin.
Après trois mois de télé-travail avec son équipe, Hassane Kassi Kouyaté éprouve une certaine frustration : « Cela prend beaucoup plus de temps et s’avère très fatigant, sans compter les incertitudes! Et le résultat n’est pas conforme à nos rêves, même si on invente autrement. Il y a ainsi des projets qui ne verront jamais le jour, comme ceux du Burkina Faso et de Tunisie : l’année prochaine, il n’y aura malheureusement pas de place pour eux ! »
Au-delà de sa propre expérience, le directeur des Francophonies remet en question le fonctionnement du théâtre en France : « C’est notre modèle qui pose problème et le corona virus met en lumière l’impasse où nous sommes: on gère la Culture comme des produits manufacturés! Il faut tout programmer à l’avance pour obtenir des subventions, il faut tout détailler… Alors que la création devrait prendre le pas sur la bureaucratie (comme à l’hôpital !). On est dans un système marchand. »
Et en attendant de faire bouger les lignes, comme le souhaiteraient de nombreux responsables de lieux, festivals et compagnies qui réfléchissent en réseau (voir Le Théâtre du Blog) et en concertation avec ses interlocuteurs étrangers, Hassane Kassi Kouyaté coiffe sa casquette de metteur en scène pour une nouvelle création qui sera à l’affiche du festival.
Congo Jazz Band de Mohamed Kacimi
« Je me posais la question : “ Est-ce que c’est nécessaire de créer pour moi ? – Oui, me suis-je dit, si je fait autre chose. » Descendant d’une lignée de griots, qu’il considère comme des médiateurs et des historiens de la société, il estime qu’il y a urgence aujourd’hui à parler de l’immigration sous forme d’un théâtre documentaire : « Il y a une méconnaissance profonde de son origine : la colonisation avec à la clé, pillage des richesses des territoires. Si 10 % des matières premières y restaient, les peuples n’auraient plus besoin de bouger. L’Européen moyen ne comprend pas que les gens sont morts vivants chez eux. C’est mon rôle de griot moderne de parler de ces choses. »
À cet égard, la colonisation du Congo est, pour lui, exemplaire. À la Conférence de Berlin en 1878, les puissances européennes se sont partagées le continent africain et le roi Léopold II de Belgique reçut cet immense territoire: « Mohamed Kacimi a écrit une fiction historique, une sorte de conte moderne que nous allons aborder du côté musical. Un orchestre sur scène jouera des tubes africains et racontera des histoires… » Inversion ironique : « Les instrumentistes seront des femmes, et le chœur, des hommes ! »
Cette comédie musicale, où des personnages fictifs croisent des figures historiques, ira ensuite en Guadeloupe, Martinique et sur plusieurs scènes de l’Hexagone et d’Afrique.
À suivre…
Mireille Davidovici
Les Zébrures d’automne, des écritures à la scène du 23 septembre au 3 octobre.
Les Francophonies, de l’écriture à la scène : 11, avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10.