Ce qui arriva après le départ de Nora et Après Nora d’Elfriede Jelinek

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Ce qui arriva après le départ de Nora
et Après Nora d’Elfriede Jelinek, traduit par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke,

 

thumb__300_300_0_0_autoSignificatives, comme le sont souvent les didascalies de cette première pièce d’Elfriede Jelinek, Ce qui arriva après le départ de Nora (1977) publiée dans cette nouvelle traduction :  «La pièce se déroule dans les années vingt. Mais on peut aussi suggérer par les costumes des « sauts dans le temps » surtout dans un futur anticipé. Nora doit à tout prix être jouée par une comédienne acrobate sachant aussi danser. Elle doit pouvoir exécuter les exercices de gymnastique spécifiés, peu importe que cela paraisse « professionnel » ou pas, ce qu’elle fait peut bien avoir l’air un peu maladroit. Elle doit toujours paraître quelque peu désespérée et cynique. » Cette didascalie précède la première de dix-huit séquences qui se passe dans le bureau d’un chef du personnel, badine, tuant le temps, touchant à tout, s’asseyant et bondissant. Nora : « Je ne suis pas une femme qui a été quittée par son mari. Je suis une femme qui est partie de sa propre initiative, ce qui est plus rare. Je suis Nora de la pièce d’Ibsen. A l’heure qu’il est, je fuis les sentiments confus qui m’habitent, en me jetant à corps perdu dans un métier. »

 Le chef du personnel dit à la jeune femme qu’elle doit comprendre qu’un métier n’est pas une fuite mais la tâche de toute une vie. Mais elle envisage plutôt son épanouissement personnel. Et, à la question d’une travail particulier qu’elle aurait pu déjà exercer, elle précise qu’elle s’est particulièrement exercée «aux soins et à l’élevage des vieux, des faibles, des débiles, des malades et des enfants. » Ce à quoi il rétorque :« Ici nous n’avons ni vieux ni faibles, ni débiles, ni malades, ni enfants. Nous disposons de machines. Devant la machine, l’être humain se doit de devenir personne, ce n’est qu’ensuite qu’il pourra redevenir quelqu’un. Pour ma part, j’ai choisi d’emblée le plus éprouvant des chemins pour faire carrière.» Mais Nora poursuit loin son raisonnement et veut passer du statut d’objet, à celui de sujet.

Pourtant, à la séquence 17, peu avant le dénouement où se feront entendre les premiers discours antisémites haineux et les bruits de bottes des fascistes allemands, Nora se retrouve contre toute attente dans une atmosphère de bordel : «Des bas et des sous-vêtements sont suspendus aux barres parallèles. Nora porte un tutu rose ruché et un haut en peluche tigré. Kitsch. Elle est très maquillée. Un homme à moitié nu sort en terminant de s’habiller. Le ministre se déshabille, assis sur un grand lit de satin rose… » Figure majeure du répertoire occidental depuis la création de la pièce d’Ibsen, Nora avait pourtant bien décidé de s’affranchir des codes domestiques bourgeois.

Après avoir quitté le domicile conjugal,  cette femme moderne découvre les machines industrielles. Et son corps se pliera au monde du travail et à la gymnastique. Résistant aux avances du contremaître, elle retrouve les rapports de domination à travers les manigances de la classe dite supérieure qui veut l’utiliser comme appât. Echappera-t-elle à une nouvelle relation amoureuse ? Quel sera le prix de sa liberté ? Après la rupture avec son époux Torvald Helmer et son départ du foyer familial, Nora est embauchée dans une usine où elle est remarquée par le roi du textile, le consul Weygang, au moment où elle répète une tarentelle pour une fête du comité d’entreprise. L’homme l’installe chez lui et l’engage pour épier les jeux financiers du directeur de la banque Conti, son ex-mari Helmer qu’elle fouettera au cours de séances sado-maso.  Ensuite il cèdera Nora à un ministre, Weigang qui… la renverra quand sa beauté physique commencera à décliner. De retour chez Helmer, blessée, elle rêve d’un amour romantique manqué avec ce chef d’entreprise. Quand elle a quitté son mari, elle espérait aller vers un mieux et vers une découverte d’elle-même, Or, chemin faisant, elle ne trouvera ni elle-même ni le monde mais une condition de salariée et maîtresse d’un homme tyrannique. Retour à case départ : elle reviendra chez un mari qui ne l’aime plus et qu’elle n’aime plus…

Maison de poupée, mise en scène de Thomas Ostermeier Photo X

Maison de poupée, mise en scène de Thomas Ostermeier
Photo X

 Elfriede Jelinek, romancière, dramaturge, prix Nobel de littérature 2004, est l’une des autrices de langue allemande les plus éloquentes de sa génération. Ce qui arriva quand Nora quitta son mari est une réécriture d’Une Maison de poupée, une célèbre pièce publiée en 1879 du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. Et dont la réception deux ans plus tard sur les scènes allemandes et autrichiennes a été difficile: on transformera même la séparation finale des époux en réconciliation… A la fin du XIX ème siècle et au XX ème , aux Etats-Unis et en Europe, le mouvement de libération des femmes se réappropria Maison de poupée, en soulignant la dégradation de la condition féminine dans le mariage, et cela, plus d’un siècle avant le mouvement mee.too. Mais Nora échouera dans l’accomplissement de sa libération et n’adhèrera pas aux valeurs féministes qui lui donneraient pleine conscience d’elle-même. Elle ira de désillusion en désillusion et l’auteure attaque ici le mythe de Nora, un stéréotype contemporain de la femme qui ne réussit pas à trouver maturité et autonomie…

 Chez  Elfriede Jelinek, l’action se déroule pendant la montée du nazisme des années vingt à trente quand les ouvriers des usines sont impuissants face à la machine qui leur a dérobé leur droit de décision, en exerçant sa toute-puissance sur leur corps. Sont ici mis au jour les rapports de domination sociale imposés par le monde politique et financier : l’homme incarne le patriarcat et l’argent, s’impose par la violence, par sa volonté d’en découdre en détruisant l’autre, quel qu’il/elle soit, puisque la beauté de la femme est aussi une denrée périssable! Les prises de position d’Elfriede Jelinek contre le gouvernement autrichien ont été radicales notamment, quand, en 2000, pour protester contre l’entrée au pouvoir de l’extrême-droite dans ce pays, elle y fait interdire la mise en scène de ses pièces.

Cette nouvelle traduction est augmentée d’Après Nora, un texte écrit en 2013. Comme en témoigne une interview avec Karl-Johan Persson, le P.D.G. et copropriétaire de H. et M.: « De larges couches sociales ont désormais les moyens. Personne ne veut se priver. Et donc nous non plus, ne nous privons pas de la croissance et du gain. Vous, en revanche, vous gagnez en beauté grâce à ce nouveau bikini, haut et bas à part, vendus séparément, il suffit de les assembler et de les additionner si on veut prendre les deux, pourquoi ne serions-nous pas gagnants nous aussi ?… » Ainsi parle le patron!

 Une pièce qui redynamise, au-delà de son cynisme, l’énergie féminine…

 Véronique Hotte

 Ce texte traduit par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke, est publié à Scène ouverte, L’Arche Editeur.

 

 

 

 


Archive pour 11 juin, 2020

Derniers petits cadeaux avant l’oubli du gratuit…

Derniers petits cadeaux avant l’oubli du gratuit…

Bien sûr, ce n’est pas le choc et la fascination que nous avions ressentis à la première (1976) au Théâtre Municipal d’Avignon, lors du festival 1976,  d’Einstein on the beach, l’opéra-culte de Bob Wilson, musique de Phil Glass en quatre actes, pour ensemble, chœur et solistes. Et qui fut ensuite repris un peu partout dans le monde puis à la MC 93 de Bobigny, et il y a six ans au Châtelet. Le Regard du sourd * était une pièce entièrement muette en sept heures sauf la phrase du début : Ladies and gentlemen… répétée trois fois par Bob Wilson en habit noir et que nous avions aussi vu à la création au festival de Nancy en 71. Cette suite d’images magnifiques d’inspiration surréaliste bouleversa aussitôt les règles du théâtre contemporain jusque là fondé exclusivement ou presque sur la notion de texte et de dialogues.

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Kneeplay2 Einstein on the beach
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Mais  ce génial créateur qui avait suivi un enseignement artistique fera encore plus fort cinq ans après avec cet  opéra.  Ne ratez pas cette remarquable captation très bien filmée et où on n’abuse pas du gros plan comme c’est trop souvent le cas.

On retrouve ici l’osmose exceptionnelle entre les textes de Christopher Knowles, Samuel M. Johnson… le jeu, la chorégraphie d’Andy Degroat et la musique de Phil Glass qu’il dirigeait lui-même.

Que citer  en particulier de cette œuvre magistrale?  Le chœur de seize chanteurs qui n’incarnent  pas de personnage : sopranos, altos, ténors,  basse et des solos interprétés à la création par la compositrice et soprano Joan La Barbara, la chorégraphie avec d’excellents danseurs et les formidables solos de Lucinda Childs.
Et bien sûr la musique répétitive, envoûtante de ces suites de : one, two, three, forth, five six seven… eight, en do majeur. Mais aussi les éclairages et les décors  d’une invention exceptionnelle créés par Bob Wilson ressemblant à des dessins d’enfant et le violoniste qui avait une belle ressemblance avec Einstein que l’on voyait jouer à une fenêtre.

 Pas vraiment d’histoire mais plutôt des symboles liés à la vie du grand génie. En neuf scènes d’environ vingt minutes séparées et reliées  par de très beaux Knee Plays que Bob Wilson reprendra ensuite séparément d’Einstein on the beach, notamment à Bobigny.

Cette captation vidéo a été réalisée lors de la reprise au Châtelet à Paris. Et surtout, ne la ratez pas… Sinon elle existe en DVD chez Arte éditions.

Philippe du Vignal

 

On peut voir un montage de quelques extraits du  Regard du sourd …sur fresques.ina.fr › le-regard-du-sourd-de-robert-wilson

** Il y a aussi actuellement, deux enregistrements sonores complet d’Einstein on the beach. Celui de 1979 en quatre disques 33 tours chez Sony. Et un autre enregistrement en CD (1993), chez Nonesuch records en 190 minutes.

Songs from Trilogy chez CBS Records (1989) comprend quatre extraits d’Einstein on the Beach  et d’autres de Satyagraha et Akhnaten, des opéras de Phil Glass qui lui succèderont mais qui n’ont pas connu le même succès.

**Vous pouvez aussi entendre un entretien de Bob Wilson avec Laure Adler en 2012 sur son travail au théâtre et à l’opéra (en anglais avec traduction simultanée) sur France-Culture.

 

Adieu Martine Spangaro

Adieu Martine Spangaro


Après une longue maladie, elle s’est éteinte à soixante-quatorze ans… Nous l’avions connue au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, quand, secrétaire générale et chargée des relations avec la presse, elle y travaillait avec René Gonzalez où elle passa douze ans: de 1974 à 1986. Puis elle sera le bras droit d’Alfred Arias trois années durant quand il dirigea le Théâtre de la Commune à Aubervilliers.

Photo X

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Elle est ensuite codirectrice avec Claude Sévenier -disparu en 2016- du Théâtre de Sartrouville ( Yvelines) . Autant dire que la construction de programmes et la direction de ces maisons en banlieue parisienne, souvent difficiles à gérer, n’avaient plus de secret pour elle. Elle y créa un festival pour le jeune public, Odyssées-en-Yvelines qui en est à douzième année.

Puis à Avignon, elle fut la directrice artistique du Petit Louvre à Avignon avec Claude Sévenier puis seule après sa disparition. C’était grâce à elle, un des rares lieux du théâtre off à avoir une programmation exigeante et où on était sûr de trouver des spectacles intéressants.

Discrète mais singulièrement efficace, Martine  Spangaro avait le théâtre chevillé au corps et elle lui aura beaucoup donné. Comme l’a dit Sylvain Maurice, le directeur du Centre Dramatique National de Sartrouville, elle «représentait le meilleur du théâtre public”.

Nous pensons à sa compagne Dominique Darzacq.

 

Philippe du Vignal

 

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