Livres et revues
Inconditionnelles de Kate Tempest, traduit de l’anglais par Dorothée Munyaneza
Dramaturge, chanteuse, poétesse et rappeuse, Kate Tempest, née en 1985 à Brockley dans la banlieue de Londres, s’est imposée comme « la voix unique de notre époque » selon The New York Times.. Après le succès d’Everybody Down en 2014, elle a enregistré deux ans plus tard Let Them Eat Chaos puis en 2019 The Book of Traps and lessons. Dans Inconditionnelles ( 2015), Chess et Serena codétenue et son amoureuse partagent une cellule dans une prison… Chess chante et cela agace les autres détenues : Doreen lui demande de « fermer sa gueule ». Serena qui a pris quatre ans pour vol, lésions corporelles et trafic de stupéfiants, obtient sa liberté conditionnelle. Du coup, elle et Chess perdront leurs repères. Serena craint de ne pouvoir être une bonne mère pour ses enfants :« Comment suis-je censée leur apprendre quelque chose, quand tout ce que j’ai vécu n’est que violence et effroi ?» Rien ne leur manque en prison mais Serena avoue qu’elle aimerait « faire la bringue. Le ciel. Cuisiner. Courir. Les trucs qui poussent. Se balader… »
Pour s’évader et vivre malgré tout, Chess chante et écrit des chansons. Meurtrie, elle fait un retour sur sa vie, le crime qu’elle a commis, sa fille de treize ans et compose une chanson pour elle. Elle joue sur une boîte à rythmes apportée par Silver, une productrice au passé sombre, animatrice d’ateliers en prison. Micro, ordinateur et boîte à rythme : il s’agit pour l’intervenante et musicienne d’apprivoiser et de redonner confiance à l’artiste : «J’ai samplé un peu de piano et de guitare hier soir. On peut découper les accords et déconner un peu avec les sons. Ca va être amusant, crois-moi. Et après qu’on aura créé quatre ou cinq chansons, on mixera les morceaux et on fera un CD. Puis à la fin des cours, on fera un petit concert dans la salle de prières, et tout le monde applaudira, et ça sera fini…Je vais te créer une boucle et tu pourras écrire quelque chose par-dessus pour la semaine prochaine. »
Dans sa quête de rédemption par la musique, Chess n’aurait jamais imaginé être rattrapée par son passé, face à un homme qui la renie: « L’amour m’a mise sous les verrous,/L’amour m’a menottée. /Je ne pouvais pas sourciller, /Je lui appartenais. /Je commençai à croire, /Qu’il était comme un dieu. /Je me suis enfermée pour lui, /J’en ai perdu mes envies…/ Une fois le jour venu, / Les sirènes dans la rue / Et lui, en tas à mes pieds étendu./Il avait l’air si doux tout à coup,/Comme endormi/ Couchée à ses côtés/ J’ai attendu les condés./ J’ai pris vingt-cinq piges : plus que mon âge…/ Les cinq premières étaient sévères, /Les cinq suivantes, un enfer, /Ma gamine grandit/ Sans sa mère ni son père. »
Violences conjugales et étreintes amères, l’impensable s’est produit pour en finir. La tension de cette pièce aux échanges acérés, en équilibre entre drame et comédie, ne faiblit pas. Chess désire avant tout s’adresser à sa fille. « Tu me manques tant. / Que fais-tu maintenant ?/Tu édifies mon âme. /J’ai démoli nos vies. »
Il y a dans Inconditionnelles des partitions originales de Dan Carey et Kate Tempest dont les paroles disent tout l’espoir qui reconstruit l’être et qui ne ferme pas la porte à une possibilité de se revoir. Une pièce nette et vivante à l’extrême et investie par une musique à poigne.
Véronique Hotte
La pièce est publiée chez L’Arche Editeur. 15 €.