La Veillée du Théâtre de la Ville

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© Jean couturier

La  Veillée du Théâtre de la Ville

Quarante-huit heures de spectacle sur deux jours : une sacrée entreprise ! Emmanuel Demarcy-Mota a conçu ce programme Tenir parole pour signifier l’engagement de son théâtre qui a été ouvert au public dès le signal du déconfinement, le 22 juin à 16 heures.

Un pari réussi dans l’observance des règles sanitaires strictes édictées par le Gouvernement et qui, depuis, ont été assouplies. Restent l’incontournable lavage des mains au gel hydro-alcoolique et le port du masque à l’entrée. Puis le spectateur suit un circuit fléché au sol pour aller à sa place, ce qui permet une séparation des entrées et sorties. La distanciation physique est matérialisée par marquage et un auto-questionnaire covid-19 est proposé aux  spectateurs à l’Espace Pierre Cardin, comme au Théâtre des Abbesses.

Consignes sanitaires affichées et certains fauteuils condamnés: cela permet un placement libre des spectateurs soit seuls, soit côte à côte s’ils sont venus ensemble. Mais deux-cent quarante sièges seulement même si, depuis le 21 juin, l’obligation de demi-jauge est levée. Une fois assis, on peut retirer son masque et ne le remettre qu’à la sortie.

 Pour mettre en scène cette Veillée, le directeur du Théâtre de la Ville a respecté les diagonales et géré les lignes sur le plateau, pour maintenir les distances entre les quelque vingt-cinq artistes qu’il a accueilli. Emmanuel Demarcy-Mota a introduit ce programme non-stop préparé en quelques jours, pour pallier au mieux les quarante-huit spectacles annulés depuis mars : «Nous avons essayé d’inventer autre chose, nous n’avons pas voulu faire un spectacle mais une veillée pour les morts et les vivants. »  La soirée réunit une centaine d’artistes et techniciens et s’articule autour des Confessions poétiques réalisées au téléphone pendant le confinement, par des acteurs, engagés à cet effet. Avec aussi des soignants, danseurs de l’Opéra, chanteurs soit: quatre-vingt dix intervenants qui ont appelé près de 6. 500 personnes. Des conversations intimes menées sur rendez vous, en une vingtaine de langues : français, anglais mais aussi chinois, lingala, swahili, espagnol…

ob_c07b57_comediens Les comédiens ont puisé parmi ces échanges enregistrés, les ont réécrits et les restituent en trois tableaux d’une heure chacun, mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota. On peut ainsi entendre une polyphonie de paroles venues de partout. Enfants, vieilles personnes, jeunes gens, pères ou mères de famille se sont entretenus avec les acteurs et certains ont livré leurs sentiments les plus intimes:  colère, tristesse ou résignation mais aussi inquiétude pour l’avenir mais aussi leurs rêveries. En résonance avec les textes des écrivains proposés par ces consultants en fonction de la relation établie. Des paroles du quotidien, des parlers locaux et des langues étrangères s’entrecroisent. « J’ai pris du temps pour habiter chez moi  » dit un menuisier. Un enfant voudrait « devenir minuscule pour aller voir son poisson rouge dans son bocal » et une aveugle raconte son périple à travers la ville désertée et ses lectures en braille. A une femme malade, une comédienne récite:  Je voudrais pas crever de Boris Vian. La poésie sous toutes ses formes est au rendez-vous : on entend Les Amoureux du quatrième étage, une chanson coquine de Jean-Claude Deret auteur et scénariste( 1920-2016) père de Zabou Breitman, un poème érotique de Ghérasim Luca ou un autre, métaphysique d’Henri Michaux et, en leit-motiv, ces mots de Marcel Proust : « Dans le ciel férié,  flânait longuement un nuage oisif  », signe de ces mois vides pour certains, pleins pour d’autres, mais jamais indifférents… Une plongée dans l’air du temps.

Mireille, quatre-vingt huit ans, connaît par cœur la plupart des fables de La Fontaine et dit Le Lièvre et les Grenouilles qui résonne étrangement aujourd’hui : « Lièvre en son gîte songeait/ (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) / Dans un profond ennui, ce Lièvre se plongeait :/ Cet animal est triste et la crainte le ronge./ « Les gens de naturel peureux /Sont, disait-il, bien malheureux … “ »  De même, nous interpelle ce monologue prémonitoire  qui ouvre Jeux de Massacre (1970) d’Eugène Ionesco qui clôt le premier temps de cette veillée. En chœur, une vingtaine de comédiens  se répondent du plateau à la salle et nous livrent sa vision cruellement prophétique : « Citoyens de la ville et étrangers. Un mal inconnu s’est répandu dans notre ville, depuis quelque temps. Ce n’est pas la guerre, il n’y a pas d’assassinats, nous vivions normalement, calmement, beaucoup d’entre nous dans le presque bonheur. (…)  Et le comble, ce ne sont pas des cas isolés, un mort par-ci, un mort par-là, cela pourrait s’admettre à la rigueur. Ils sont de plus en plus nombreux. Il y a une progression géométrique de la mort. Nous sommes accablés par une mortalité sans causes connues. Des soldats entourent la ville. Plus personne ne peut entrer et vous ne pouvez plus sortir. Il n’y aura plus de réunions publiques. Les groupes de plus de trois personnes seront dispersés.  Il est également interdit de flâner. Les habitants devront circuler deux par deux afin que chacun puisse surveiller l’autre. Rentrez chez vous, que chacun reste chez soi. Que l’on ne sorte que pour le strict nécessaire. »

Olivier Peigné rejoint alors la troupe et l’on reconnait la voix de ce comédien, si souvent entendue ces derniers temps :cet acteur a enregistré pour la télévision et  la radio les désormais fameuses consignes sanitaires du gouvernement: «Alerte Coronavirus, pour vous protéger et protéger les autres restez chez vous, etc.» Un grand moment où théâtre et réalité se rejoignaient.

Le reste de la nuit a accueilli des artistes amis comme le quatuor Ellipsos qui a offert un Voyage saxophonesque. Emmanuel Demarcy-Mota nous a fait entendre des textes de Ionesco suite, un beau spectacle qu’il avait créé au Théâtre des Abbesses il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog) Et ceux qui sont restés plus tard ont pu voir ou revoir, à trois heures du matin, Portrait de Ludmilla en Nina Simone de David Lescot, interprété par Ludmilla Dabo, lauréate du Prix de la Critique dramatique.

Après cette réouverture, le mois de juillet se prolongera avec cinq spectacles tout public. A suivre donc… 

Jean Couturier et Mireille Davidovici

Spectacle présenté les 22 et 23 juin à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville, Espace Cardin,  1 avenue Gabriel, Paris ( VIII ème) T. 01 42 74 22 77.

theatredelaville-paris.com

 

 

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