Ionesco Suite, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota
Ionesco Suite, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota
Parole tenue : au studio de l’Espace Pierre Cardin réouvert (voir Le Théâtre du Blog), Emmanuel Demarcy-Mota et toute l’équipe du Théâtre de la Ville ont invité le public, après quarante huit heures de folle veillée poétique, à trois soirées Ionesco. Un auteur qui ne lâche pas ce metteur en scène depuis le lycée et depuis 2004 quand il a adapté et mis en scène Rhinocéros: inanité du langage, vide des relations sociales, le tout sur fond de férocité et drôlerie… Et Ionesco n’y va pas avec le dos de la cuiller! Emmanuel Demarcy-Mota, non plus et il a raison. Ses neuf fidèles comédiens de différentes générations, se donnent tout entiers à ce montage de textes, lui-même acrobatique qu’il avait brillamment réalisé au Théâtre des Abbesses il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog). Dans une mise en scène simple et efficace : de leurs chaises, au « lointain » de la scène mais proche de nous :on est au Studio de l’Espace Pierre Cardin dans un dispositif tri-frontal , les acteurs s’élancent pour jouer une scène de Jacques ou la soumission, de Délire à deux qu’ils interprètent à six, ou des extraits de La Cantatrice chauve et bien sûr, de La Leçon mais aussi des succulents Exercices de conversation et de diction française pour étudiants américains. Avec même peut-être une peu de l’Avenir est dans les œufs, le tout lié par une fête de mariage forcément parodique et catastrophique avec gâteau à la crème comme arme de guerre. Des gens affreux, sales et méchants.
On imagine ce qu’aurait pu donner une mise en scène à la Harold Pinter, digne, propre sur soi mais tout aussi drôle et cruelle. Mais ici, le choix du trop est le bon. Ça bouscule, ça secoue et le théâtre est là pour ça, dans un entrelacement subtil entre bonne soirée, franche rigolade et dérangement. Un trouble propre au théâtre d’Eugène Ionesco ! Tout d’un coup, on se souvient de Tsilla Chelton qui a tellement de fois joué Les Chaises ou du tout jeune Jean-Louis Trintignant dans Jacques ou la Soumission. Nous, les enfants d’alors, avions rapporté à la maison la chanson d’après boire, retrouvée avec délice: «Un ivrogne charmant/ chantait, à l’agonie/Je n’ai plus dix-huit ans/Mais tant pis, i, i, e. » Où l’on voit qu’il est bon d’emmener les enfants au théâtre.
On vous raconte cela pour que vous ayez envie d’aller voir Ionesco suite, mais on ne sait encore où les représentations auront lieu… Le spectacle conçu pour être joué partout, le sera effectivement. Cet exercice collectif où les acteurs vont au bout d’une clownerie féroce, a été, après sa Veillée, un premier cadeau du Théâtre de la Ville au public dé-confiné. Ce travail dit l’importance du public. Pas en nombre puisque assis dans une petite salle, et «distancié » (enfin, pas trop…) mais regardant des acteurs bien présents, au jeu intensifié par la proximité du plateau. À théâtre vivant, public vivant. Tout le public était invité, ce que ne permet pas en général l’économie d’un lieu. Mais compte ici cette façon de dire en actes « Vous êtes chez vous ». Une façon, aussi, pour les gens de théâtre de laisser un peu de côté la tentation de l’arrogance. Et de (se) donner le plaisir des reprises, comme ce dernier week-end de juin consacré à Albert Camus.
Main tendue aux spectateurs privés de spectacle pendant trois mois : durant la première semaine de juillet, il y aura, pour tous et en famille, de belles reprises de pièces à dix euros seulement , dans le prolongement de cette première ouverture…
Christine Friedel
Théâtre de la Ville, Espace Pierre Cardin, avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77. theatredelaville-paris.com