Cinquante ans de révolution chorégraphique, du Ballet-Théâtre contemporain au C.C.N. -Ballet de Lorraine, 1968-2018, textes d’Agnès Izrine et Laurent Goumarre,
Cinquante ans de révolution chorégraphique, du Ballet-Théâtre contemporain au C.C.N. -Ballet de Lorraine, 1968-2018 textes d’Agnès Izrine et Laurent Goumarre, « entretiens avec » et contributions de Petter Jacobsson et Thomas Caley, Laurent Hénart, Emma Lavigne, Tristan Ihne, Gilberte Bardin, Mathilde Monnier, Laurent Vinauger, Muriel Belmondo, Francoise Adret, James Urbain, André Lafonta, Dominique Mercy, Jean-Albert Cartier, Gérard Fromanger, Ivan Messac, André Larquié, Brigitte Lefèvre, Didier Deschamps, Karole Armitage, Martine Augsbourger, Isabelle Bourgeais, Hélène Traïline, Thierry Malandain, Rudolf Noureev et Maïa Plissetskaïa, Patrick Dupond, Patricia Painot-Bossu, Patrick Germain, Daniel Larrieu, Pierre Lacotte
Un ouvrage richement illustré et soigneusement imprimé. Depuis 2011, Petter Jacobsson, assisté de Thomas Caley, dirige ce Ballet-Théâtre Contemporain. Les auteurs du livre en font remonter la création à 1968, à Amiens. Il aura fallu en tout cas «un certain temps», comme disait dans les années cinquante, l’humoriste Fernand Raynaud, pour que Nancy, dotée d’un magnifique opéra sur la place Stanislas, fasse la part belle à la danse… Aujourd’hui, elle rayonne, « en région » et « à l’international » comme on dit, grâce au travail accompli par l’équipe actuelle et cet ouvrage le montre bien par les directions qui se sont succédé.
Fin des années soixante : la jeunesse se soulève et le monde politique est dépassé. André Malraux, ministre des Affaires Culturelles selon la dénomination de l’époque, n’est plus en phase! Il avait pourtant créé les Maisons de la Culture pour donner l’accès aux arts mais il continuait à vouloir verrouiller Culture et communication.
Comme en témoigne l’affaire Henri Langlois (1914-1977). Ce pionnier de la Cinémathèque Française qu’il créa en septembre 1936 avec, entre autres, le cinéaste Georges Franju, faillit en janvier 68, être viré par André Malraux…. C’était sans compter sur une bande de jeunes cinéastes comme Jean-Luc Godard, François Truffaut mais aussi Maurice Lemaître, cinéaste, peintre et écrivain libertaire (1926- 2018) et… Daniel Cohn-Bendit qui réussirent à mobiliser l’opinion. Des télégrammes de soutien parvinrent alors du monde entier! Et le Ministre annula piteusement sa décision !
Dans un «paysage chorégraphique qui ressemble à un désert» selon Agnès Izrine et Laurent Goumarre, Maurice Béjart et dans une moindre mesure, Joseph Russillo, représentaient la danse «moderne» en France. Maître de ballet à l’Opéra de Paris, Michel Descombey, favorable au changement, joua un rôle important. Il avait créé en 1966 Le Ballet-Studio au sein même de l’institution pour y développer la recherche chorégraphique. Le célèbre Concours de Bagnolet est créé en 1968 par Jacques Chaurand (1928-2017), danseur et chorégraphe en quête d’un «ballet pour demain. » Le mot féminin : danse et celui, autrement genré de ballet n’avaient pas encore été remplacés, comme le note Agnès Izrine, par la notion assez vague d’« expression corporelle. »
En 68, Jean-Albert Cartier et Françoise Adret sont nommés par l’Etat, à la tête du Ballet-Théâtre contemporain qu’on décentralisa à Amiens. Mais il fallut près d’un demi-siècle pour que s’effectuât le glissement progressif d’un «ballet-théâtre» à l’ancienne, vers une structure ouverte. De l’avis général, Jean-Albert Cartier ménagea sur le plan artistique, la chèvre et le chou en cherchant à concilier à la fois le ballet, le théâtre, le pays, la région… Ce «vieux gaulliste du Centre droit» innova en proposant à l’artiste de la Jeune Peinture Gérard Fromanger et à Michel Descombey de créer Rouge un ballet sur la musique d’Hymnen de Stockhausen. Pour Brigitte Lefèvre, animatrice avec Jacques Garnier, du Théâtre du silence qui se fixa en 1972 à La Rochelle, Le Ballet-Théâtre était plutôt « post-classique » dans son organisation et sa hiérarchisation, jusqu’à son déménagement, en 1978, à Nancy, après six années passées à Angers, et même après.
Avec Hélène Traïline, une danseuse classique issue des Ballets de Monte-Carlo donc, indirectement, des Ballets russes, Jean-Albert Cartier joua les Diaghilev et invita des têtes d’affiche, à commencer par Rudolf Noureev. Mais en 1988, pourtant « Année de la danse », au lieu d’accompagner le dynamisme de la « jeune chorégraphie » française, ou d’engager un des hôtes de marque qui avaient fait en partie la gloire du festival de théâtre de Nancy comme Kazuo Ôno, Carlotta Ikeda, Pina Bausch, voire Bob Wilson, Le Ballet français de Nancy nomma Patrick Dupond… un danseur-étoile vieille école »
Avec le changement de millénaire, l’un des représentants du « gang des Lyonnais », Didier Deschamps, devint alors le directeur du Centre chorégraphique national-Ballet de Lorraine, une nouvelle appellation de cette compagnie. Il forma très vite le public local à la danse contemporaine, tous styles confondus. Didier Deschamps semble ici estimer que Jean-Albert Cartier utilisa le B.T.C. comme un tremplin lui ayant permis d’« accéder au monde de l’opéra ». Mais il oublie que le Ballet de Lorraine et son président, l’éminence grise André Larquié, lui apprirent le métier de programmateur, voire l’aidèrent à prendre la direction du Théâtre National de Chaillot ! Et c’est aussi du Ballet-Théâtre Contemporain établissement, dirigé par Petter Jacobsson et présidé par Michel Sala, qu’est sorti du lot l’actuel Délégué à la danse au Ministère de la Culture !
On doit à Petter Jacobsson et à son équipe un nouvel élan et le dévoilement de nouveaux territoires. Ils ont parfois surévalué quelques petits maîtres exploitant jusqu’à la gauche (ou à la droite..) un filon « performatif » des années soixante-dix… Mais ils ont régalé le public avec le flamboyant Miguel Gutierrez. Les productions et soirées de gala de Jacobsson et Caley sont mémorables. Et ils ont inscrit au répertoire des pièces comme Relâche de Jean Börlin, de Merce Cunningham ou de Trisha Brown et ils ont aussi passé des commandes à des auteurs talentueux comme Olivia Grandville.
Nicolas Villodre
Editions Presses du réel, 144 pages (62 illustrations couleur et 38 en noir et blanc). 32.00 €