La grande Balade proposée par Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy

IMG_0207

Les Filles du Renard pâle (c) J.L. Verdier

La grande Balade proposée par Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy

 A la sortie du confinement, Salvador Garcia a lancé l’équipe de Bonlieu à l’assaut du Semnoz, un plateau qui domine la rive Ouest du lac d’Annecy et qui offre un vaste domaine skiable en hiver et des chemins de randonnée en été. Son idée: créer dans ces alpages, une manifestation pluridisciplinaire, itinérante, sous forme d’une grande balade à la rencontre d’une centaine d’artistes, toutes disciplines confondues.

Aucun programme n’était annoncé et les marcheurs, guidés par le son des instruments ou des voix, sont donc allés de surprise en surprise. Habitants des environs, spectateurs fidèles ou randonneurs de passage, ont répondu à l’appel. Et quelque vingt-cinq mille personnes, venues respirer l’air des cimes sur ces deux jours et humer les arômes de la Culture, ont rencontré des artistes aussi exigeants sur les sentes qu’à la scène. Une importante Scène nationale peut proposer une manifestation de grande qualité ouverte à tous. Rien de mieux pour réveiller le théâtre de la stupeur où l’a plongé le virus et décloisonner les publics.  L’événement a mobilisé l’équipe de Bonlieu au grand complet, des dizaines d’intermittents et bénévoles, sans compter les chauffeurs de bus et opérateurs de télécabine pour faire monter les visiteurs au sommet, la balade s’effectuant à la descente …

IMG_0199

Taïkokanou @ J-L Verdier

Au sortir de la télécabine, à 1.600 mètres d’altitude, des nuages déception : on ne verra pas le Mont-Blanc… Mais dans le coton blanc, la batterie de taïkos japonais, grands et petits tambours de la compagnie Taikokanou. Puissants battements de bras de Fabien Kanou, petits coups de baguettes de Mayu Sato  pour une cavalcade rythmique avant de finir au gong et à la flûte, au moment où se dispersent  les brumes matinales. Les spectateurs, déjà nombreux, sont rassurés par la réapparition d’un ciel bleu.

IMG_1386

Fanny Perrier Rochas @J-L Verdier

La musique accompagnera toute la descente coordonnée par Blaise Merlin. Avec L’Onde & Cybèle, il organise des itinéraires artistiques  comme prochainement à Paris: une déambulation le long de l’ancienne voie de la Petite Ceinture. Il a su enchanter la forêt en postant des chanteurs et des instrumentistes dans les branches, comme Fanny Perrier-Rochas et ses airs byzantins, le duo Ishtar (luth et harpe) de Maëlle Duchemin et Maëlle Coulange. Suivront les solos de violoncelle, violon et clavecin, dans une clairière, et des duettistes avec ces cordes suédoises que sont les nickelharpas, la guitare et la mandole. Guillaume Loizillon, lui, peuple les herbes hautes de ses Zoophonies, clameurs électroniques d’une faune imaginaire…

IMG_0206

Chorégraphie de Jean-Claude Gallotta (c) J.L. Verdier

Les cailloux roulent sous nos pieds, on s’arrête et on tend l’oreille aux jingles sonores qui jalonnent la descente. Au fur et à mesure, les techniciens finissent d’installer quelques structures complexes et nous ne verrons donc pas toutes les propositions…La musique guide aussi les nombreuses pièces présentées sur le chemin. Le saxophoniste Peter Corser soutient d’un souffle continu, une chorégraphie de Jean-Claude Gallotta. Arlaud, Angèle Methangkool-Robert et Bruno Maréchal s’accordent et se désaccordent en solo, duo et trio dans un ballet narratif sur les vicissitudes de l’amour à trois.

Plus loin, trois musiciens loufoques, coiffés de branchages, disent la solitude de deux campeurs un peu paumés. En tenue parodique d’Adam et Eve, ils s’interrogent sur l’existence de Dieu. On reconnaît le style déglingué d’Yves Fravega et de sa compagnie l’Art de vivre… Plus poétiques, Les Filles du Renard Pâle avec Johanne Humblet, haut perchée pendant plus de quatre heures sur un fil tendu entre deux épicéas, qui manie lentement sa perche en se lovant autour du câble accompagnée par des berceuses au ukulélé.

IMG_0212

Compagnie l’Art de vivre (c) JL Verdier

Sur ce parcours de sept kilomètres, des bénévoles agitent des pancartes invitant à la prudence et à rester à un mètre les uns des autres. Chacun cherche sa place dans l’herbe, au milieu des gentianes, en évitant chardons et bouses de vache,  un enfant sur les épaules ou lové sur les genoux. En contre-bas, applaudissements du groupe qui précède : nous nous sentons nombreux et heureux dans cette nature sylvestre. Les artistes ont d’ailleurs joué les ambiguïtés de la faune et de la forêt : ils présentent presque tous une hybridation animale et/ou feuillue qui réveille les enchantements des contes et les peurs de l’enfance.

Des marcheurs prévoyants ont emporté un pique-nique  et ont installé des campements provisoires…Les multiples propositions que danseurs, acrobates, comédiens et performeurs enchaînent cinq à six fois dans la journée, jouant de la forêt comme espace poétique et lieu de l’invisible, des esprits et des légendes. Le Semnoz se prête aux créations in situ, inspirées par le relief et la végétation. Ainsi la danseuse Sandrine Abouav devient une femme-gentiane, ondulant et rampant dans les hautes herbes entre chardons et fleurs des Alpes… Face à elle, Jade et Cyril Casmèze de la compagnie Le Singe debout se sont métamorphosés en homme-loup et femme-renard, insolites et glapissants. Lise Ardaillon et Sylvain Milliot, de la compagnie Moteurs multiples, mettent en scène une absence avec une tente vide, des bois de cerf menaçants et une voix off : le campement mystérieux de Sophie, disparue depuis quelque temps déjà ?

Une histoire à imaginer comme celle de cet homme qui, descendu de l’arbre en dansant au bout d’un fil, gravit un immense talus qu’il déboule pour regagner son perchoir et, tel Sisyphe, recommencera ad libitum… Poétique comme Camille Boitel sait l’être !  Métaphorique aussi, la performance de Yoann Bourgeois et Marie Vaudin. Debout sur un plateau carré oscillant sur un pivot central, ils peinent à se rejoindre pour s’asseoir à une table placée au milieu, une douce ironie sur le couple et ses incertitudes …

IMG_0194

Hafiz Dhaou et Aïcha Mbarek © Bonlieu

Sur un petit terre-plein de gazon, entouré de fleurs blanches, dansent Hafiz Dhaou et Aïcha Mbarek, en habits de mariés. La voix de Marguerite Duras aux sonorités sèches, commentant Détruire, dit-elle, nous invite à revenir à l’état d’avant l’éducation, à retrouver une vie intérieure comme facteur de changement de soi…

IMG_1383

chorégraphie François Veyrunes © J.L Verdier

Dans une clairière, François Veyrunes a ménagé une échappée belle d’une grande douceur. Un duo féminin tendre et félin, dansé par Francesca Ziviani et Emily Mézières : la nudité des corps -l’un blond et l’autre brun- qui se mêlent en arabesques sur l’herbe verte, se confond avec la nature bienveillante. Un parapente glisse langoureusement dans le ciel ajoutant une caresse imprévue à la caresse du vent.  Age d’or ou paradis perdu… comme en réponse à cette pièce ironiquement tourmentée d’Yves Fravega!

En clôture, Philippe Decouflé sur un large plateau, -une représentation plus classique- fait interpréter par huit danseurs des pièces courtes aux registres variés qui traversent des périodes de son travail. Peut-être la moins surprenante des actes artistiques réunis au Semnoz…

Nous n’avons pu voir le travail de François Chaignaud, de Fanny de Chaillé et Jérôme Andrieu, ni apprécié Chloé Moglia suspendue à son fil ni le funambule Nathan Paulin. Certains espaces n’étant pas encore prêts ou trop bien cachés ! Impossible aussi de citer tous les artistes qui, chacun, a répondu à sa manière à l’invitation, avec une forme d’humilité et un souci de retour aux sources. Nous avons vécu cette magnifique balade comme une offrande des artistes aux Dieux du vent et de l’été, aux arbres et aux oiseaux.

 Mireille Davidovici et Marie-Agnès Sevestre

 

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...