Un festival à Villerville

Un Festival à Villerville, du 27 août au 30 août 2020.

 

Œuvrer son cri, écriture collective, mise en scène de Sacha Ribeiro  par la compagnie Courir à la catastrophe.

 Des artistes occupent leur lieu de travail : Le Garage, à Villerville, la salle même où le public est installé pour cette création.  L’espace en question est fermé depuis maintenant quelques mois et sur le point d’être détruit. A travers cet acte de militantisme prononcé, tous mais chacun à sa manière, vont tenter de reconquérir collectivement et intimement leur force d’action. Le théâtre est là pour que poésie et humour se conjuguent dans cette parole inédite. La question de l’engagement politique dans la cité est ainsi posée : la troupe militante d’artistes – comédiens, scénographe, costumière et vidéaste – s’impose sur la scène, entrant sur le plateau en file indienne, portant bagages et accessoires.

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 Dans un premier temps, on les aura vus dans un film voué aux prises extérieures. Ils discutent entre eux, avant de surgir sur le plateau. Arthur Amard, Alicia Devidal, Marie Menechi, Simon Terrenoire, Alice Vannier, Camille Davy, Léa Emonet et Jules Boquet s’impliquent dans cette occupation illicite et s’ils réusssisent à investir le lieu pendant deux jours, il ne pourrait y avoir de délogement… Autant de détails que le spectateur saisit, grâce à la documentation: articles, photos et situations inédites rapportées, comme pour  Nuit Debout ou bien l’occupation du Théâtre des Célestins à Lyon. Et certains artistes du collectif se sont fait forts de cette dernière expérience, intéressés politiquement, entre philosophie et sociologie.

 Aussi décide-t-on une consultation citoyenne: les habitants de Villerville, l’adjoint à la culture, tous les citoyens et les bénévoles seront entendus. Les acteurs passent d’un rôle à l’autre, du statut d’artiste à celui de citoyen de ce village normand, voire commerçante,  touriste québécoise fantasque ou bourgeoise étriquée. Certains enthousiastes, d’autres méfiants et peu conciliants : un miroir de notre société actuelle où chacun peut être replié sur lui-même ou au contraire, ouvert à l’autre. Un théâtre ! Quoi de plus engageant pour entendre et voir la vie qui va. Les questions sont posées avec un bel humour et un esprit constructif, chaque membre du collectif respectant l’autre, et partageant toute chose – accessoire et ustensile- voire un lit concédé à toute personne..

L’équipe de Courir à la catastrophe dont les émules pour ce projet sont Sacha Ribeiro et Alice Vannier.  On avait pu déjà apprécier d’elle En réalités  d’après La Misère du monde d’Emmanuel Bourdieu qui avait conquis le grand public. Ici, les acteurs jouent  le jeu à fond, occupant l’espace, l’une peignant des slogans sur un mur, l’autre rangeant costumes et accessoires, un autre encore jouant de l’accordéon avant de faire une déclaration timide à celle qu’il aime. Jusqu’où peut-on se révolter ? Doit-on accepter les compromis et les moyens termes pour mieux construire ensemble une société meilleure, même si on réalise qu’on est quelque peu abusé ou bien trompé – encore et toujours ? Au moins, aura-t-on essayé, mais difficile de maintenir jusqu’au bout -nécessité économique oblige- des positions radicales et intransigeantes.

 Cet inventif Œuvrer son cri respire la bonne humeur, en même temps qu’un esprit raisonneur légitime… Parler, échanger, que l’on soit artiste ou non, pour faire en sorte que les relations socio-politiques entre citoyens s’améliorent: tel est l’enjeu. Et maintenir d’abord la part de poésie qui réside en tout… Alice Vannier revêt ainsi atours et chapeau au voile blanc – un oreiller blanc ceint d’une étole transparente . Et il y a des jeunes femmes de la bonne société en villégiature sur la côte normande, figure qu’aurait pu peindre Eugène Boudin, à la fin du XIX ème siècle. Un spectacle rieur et malicieux, en phase avec les interrogations de notre temps.

 Véronique Hotte

 Spectacle joué au Garage à Villerville (Calvados) du 27 au 30 août.

 

 

 

 

 

 

 


Archive pour août, 2020

Un festival à Villerville (suite)

Un Festival à Villerville

 Le Monte-plats d’Harold Pinter, mise en scène de Lucie Langlois et Matéo Cichacki

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Deux hommes sont enfermés dans un sous-sol sans fenêtre. Ils s’affaissent chacun sur un lit délabré mais  se parlent à peine.  L’un lit son journal de façon approximative, relevant çà et là quelque fait divers absurde, cruel et macabre. Et se mettant à rire seul…L’autre, plutôt angoissé, joue compulsivement et sans arrêt avec une balle, agaçant l’autre et faisant du bruit plus qu’il n’en faut. Il jouit manifestement d’un pouvoir dont l’autre ne peut guère profiter, réduit à l’état de subalterne, d’employé servile, simple exécutant d’ordres supérieurs. Le « faible » n’en finit pas de poser des questions auxquelles le « fort » ne répond pas.

 On comprendra par la suite que ce sont des tueurs à gages attendant, dans un ennui sinistre, l’arrivée de leur prochaine victime. Le «faible», une sorte de clown existentiel sans le savoir, est ici Matéo Cichacki, le nouveau directeur d’Un Festival à Villerville. Très inquiet et peu sûr de lui, gêné par sa non-compréhension des missions qu’on lui donne, il questionne et interroge l’autre qui lui répond de façon évasive et peu claire… Ce dialogue incomplet -failles, silences et manques- rend encore plus grande la distance les séparant. L’attente qui s’éternise devient une épreuve et laisse apparaître les fêlures de chacun. Mais ils ne recourent jamais à un raisonnement logique : l’un semble évacuer les problèmes, l’autre les met en constamment en relief.

Survient un imprévu : le bruit d’un monte-plats de restaurant avec une commande précise. Les deux complices offrent le peu qu’ils ont et ne pourront satisfaire les exigences autoritaires qui s’accumulent en vain. Angoisse et doute grandissent, et les circonstances les pousseront dans une situation comique proche de l’absurde. Humour noir et cynisme, dérision des vœux qu’on pourrait avoir…. Ces compagnons d’armes s’épient dans ce huis-clos blafard et attendent des ordres aléatoires mais n’arrivent à saisir rien de sensé ou logique et se voient submergés par leur anxiété qui aura au moins raison de l’un… Doit-on obéir aveuglément face à l’autorité? Une question que ici pose Harold Pinter. Il semblerait que non… comme en témoignent avec talent Matéo Cichacki et Anton Cisaruk.

 Véronique Hotte

Le spectacle a été joué à Un festival à Villerville, du 27 août au 30 août.

 

Un festival à Villerville

Un festival à Villerville

 
La Septième édition de ce festival consacré au théâtre in situ et à la découverte de mises en scène par de jeunes compagnies signe le retour du théâtre, vital dans le climat instable que traverse la société et le monde du spectacle. Alain Desnot l’avait créé avec passion en 2014 et dirigé avec talent jusqu’en 2019. Cette année, c’est à Matéo Cichacki, jeune acteur et metteur en scène, qu’il passe le flambeau ! 

  

La programmation plus réduite vu les circonstances est variée et engageante : du répertoire classique au plus contemporain. Avec une nouveauté: des lectures de textes dramatiques inédits comme C’est moi Guy de Victor Inisan, Les très courtes étapes du deuil de Lucie Langlois et 55 jours de Théo Askolovitch. Le public ne cache pas son enthousiasme et va de surprise en surprise. La qualité et l’inventivité des mises en scène in situ sont au rendez-vous. De Molière avec  Don Juan, chef-d’œuvre absolu, en passant par Harold Pinter avec Le Monte-plats, un classique du théâtre contemporain, Black March de la jeune autrice Claire Barrabès, ou La Maladie de la famille M de Fausto Paravidino. Mais aussi Oeuvrer son cri, une écriture collective de la compagnie Courir à la catastrophe… La relève prise par Matéo Cichacki semble prendre un chemin prometteur, ouvert aux bruits du Monde. Et confirme en ces temps troubles, la nécessité de cet évènement artistique dans cet ancien et charmant village de pêcheurs. Un festival porteur de découvertes, de partage culturel et qui sait d’emplois futurs. 

Don Juan de Molière, mise en scène de Tigran Mekhitarian

« Don Juan ne respire plus dans le monde qui l’entoure (…) Il rêve de faire de sa vie l’aventure la plus magistrale(…) que cette terre est connue. Sganarelle son meilleur ami, va le suivre dans son aventure, espérant lui faire entendre raison pour éviter sa perte, quitte à le trahir ou le tuer. (…) Un voyage qui mènera Don Juan à son accomplissement ou à sa destruction », Tigran Mekhitarian 

Photo Sophie Quesnel

c. Sophie Quesnel

La pièce mythique et scandaleuse fut jouée pour la première fois le 15 février 1665. Elle a traversé les siècles et innombrables en sont les mises en scène. Assister à une création de ce monument de l’art théâtral, suscite une attente sans pardon du public. Tigran Mekhitarian, jeune metteur en scène d’origine arménienne, avait déjà monté Les Fourberies de Scapin, puis L’Avare avec succès. Mais Don Juan a une place singulière dans l’œuvre de Molière. Cette pièce exige beaucoup d’un metteur en scène quand il faut mettre en lumière toute la complexité du texte et rendre sa modernité, sensible à notre esprit du XXIème siècle !  Ce dernier point a été central dans l’adaptation de Tigran Mekhitarian: « Nous gardons le texte original de Molière mais nous ajoutons des créations personnelles afin d’ancrer le texte dans le présent ». Volonté théâtrale accomplie. Humour, naïveté et cruauté, perversité, énigmes sacrées ou plus profanes : amour, religion, statue du commandeur, rayonnent dans cette création. Pour réaliser ce désir éthique, (tenter de rendre Molière accessible à ceux qui pensent être exclus du théâtre classique, ou même du théâtre tout court !) et ce geste esthétique, Tigran Mekhitarian est allé puiser dans des oeuvres de la culture grand public. Ce geste souvent calamiteux dans les mises en scène contemporaines, est là mené de main de maître.  »Le Don Juan que j’ai imaginé est proche du personnage d’Olivier Queen dans la série Arrow, le point de départ de mon adaptation se situe autour de lui  (…) ». Ici, le sacré côtoie le rap: intéressante et belle idée! Tout comme les journaux télévisés en voix off, féminine, relatant les frasques de Don Juan. Les petites scènes ajoutées, entre autres l’épisode du jeu sont convaincantes, aucune lourdeur ni vulgarité. Ecrites cinq siècles plus tard, elles invitent Don Juan, Sganarelle, Elvire, Charlotte, Pierrot, et les autres dont la Statue du Commandeur, à prendre corps au sein de notre monde chaotique… Et cela fonctionne ! Tragique, commedia dell’arte, et comics se succèdent. Le rythme soutenu du spectacle, l’ éventail  culturel  (séries TV, BD, le Rap…), les costumes, créent,  juste ce qu’il faut, avec poésie et humanité, cet espace contemporain au sein de la pièce.  Mais ce n’est pas tout. Le spectacle commence déjà avant que le public n’accède au lieu dit : Le Garage, endroit de cette création. Un des personnages s’adresse au hasard aux spectateurs qui attendent le feu vert pour entrer. Et c’est sous l’œil de Sganarelle, assis sur un banc public, le visage dissimulé sous la capuche de son sweat gris, et au son de chants sacrés arméniens, sublimes, que nous allons gagner la salle. Au sol, quelques chandeliers et bougies: atmosphère solennelle et ecclésiastique. La grande simplicité de la mise en scène : l’espace nu, la bande-son et les chants, le texte porté par une diction juste et audible, offrent aussitôt une qualité dramatique à la représentation et retiennent l’attention du public… Violence, comique, solitude, joie, folie, tour à tour se manifestent et rencontrent avec profondeur et fougue, l’écriture du texte. 

Tigran Mekhitarian réussit à nous surprendre ! Il donne un air nouveau tout en finesse à l’œuvre, sans jamais la dénaturer ou l’appauvrir.  Comique, gravité mais aussi intensité du jeu des acteurs. Grâce à la subtilité de l’interprétation et du metteur en scène, l’action est concentrée dans un espace et un temps qui ne manquent pas de merveilleux et de noirceur. Fascinant Tigran Mekhitarian qui joue Don Juan avec un visage à la fois d’ange et de voyou beau gosse, Théo Askolovitch, touchant et jubilatoire Sganarelle, tout en finesse dans ses rapports avec son maître et ami. Tous les autres personnages sont joués par Marie Mahé et Éric Nantchouang: éblouissants  de sincérité et de grâce, et quand ils passent d’un personnage à l’autre. La fin aussi, ne manque pas d’audace.

Avec éclat, cette adaptation réussit à concilier l’ancien et le nouveau. Et revient à Molière et Don Juan,  Eternels ! 

Elisabeth Naud

Un festival à Villerville du  27 au 30 août. Réservation: contact@unfestivalavillerville.com et au :  06 71 62 21 57. Sur place au Garage, 10 rue du Général Leclerc, du 27 au 30 août de 10 h à 22 h.

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Traverse ! / Festival itinérant des arts de la parole

Traverse !  / Festival itinérant des arts de la parole

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© Michel Hartmann

 Le Haut-Val de Sèvre, une vingtaine de communes regroupée en communauté autour de Saint-Mexent-l’École, accueille et finance un festival consacré à l’art du conteur et du récit  Il nous emmène par les villages et bocages, au gré des invitations des communes. Reporté de juin à la fin août, et autorisé in extremis par la Préfecture, à condition de respecter les règles sanitaires, Traverse ! devient cette année itinérant et à ciel ouvert, sur des sites herbeux à l’ombre d’immenses arbres.

Une soixantaine de bénévoles assurent montages et démontages des dispositifs scéniques avec les techniciens. Certains hébergent artistes et invités, d’autres organisent une cantine ambulante, où l’on peut déguster les foués, petits pains cuits au four qui, dans la tradition de la boulange poitevine, étaient des boulettes de pâte jetées au four pour vérifier la bonne température de cuisson (des cousins de la fouace et de la fougasse).

Deuxième édition de ce festival, hérité de Contes en chemin créé il y a une vingtaine d’années. Rebaptisé et revisité par Nicolas Bonneau, déjà implanté sur le territoire avec sa compagnie La Volige, il lui ressemble. Nous avions vu l’an dernier à Paris Qui va garder les enfants, et Une vie Politique/ conversation entre Noël Mamère et Nicolas Bonneau. Mais aussi  Sorties d’usine, son premier succès, inspiré par la vie de sa famille… ( voir Le Théâtre du Blog)

Il construit ses spectacles à partir de collectes de témoignages sur un thème donné. Pour Fondu de fonderie, il a passé un an à interroger d’anciens ouvriers, et pour Village toxique il a rencontré ceux qui luttèrent victorieusement dans les années quatre-vingt contre l’enfouissement des déchets nucléaires en Gâtine (Deux-Sèvres). Souvent seul en scène, accompagné de musiciens dont Fanny Chériaux, codirectrice de la compagnie La Volige. Une remarquable chanteuse et accordéoniste qui ponctue le festival de ses rythmes et sa voix d’une tessiture étonnante.

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Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux © Michel Hartmann

 Des techniques traditionnelles du conteur, Nicolas Bonneau garde l’adresse directe au public, la prise de parole en son nom propre mais il théâtralise sa performance en peaufinant ses textes, la mise en scène et la scénographie, pour construire un théâtre-récit documentaire. « Je suis dedans, ça me permet de jouer sur le fil du réel et dire : ”je suis dedans!“ , dit-il. Et il  a une manière bien à lui de mélanger réel, fiction et poétique.

 Le jeune homme est un enfant du pays, natif de La Crèche (Haut-Val de Sèvre). Après des études à Poitiers, il découvre sa vocation au Québec où, se frottant aux Scènes ouvertes de contes dans les bars de Montréal, il fait ses premières armes. En France, nous dit-il, la tradition du conteur de veillée s’est éteinte à la guerre de 14-18, mais dans la Belle Province, elle perdure dans les camps de bûcherons, les cafés de village et jusque dans les villes : un art vivace et en évolution comme en témoigne le Festival interculturel du conte de Montréal.

Tout au long de l’année, La Volige mène des projets ”de territoire“ avec des ”conférences citoyennes“,  par exemple autour d’une laiterie menacée de fermeture. Elle trouve dans les villages, des bars fermés qu’elle ouvre pendant une semaine avec des soirées conte, philo, vinyles ou œnologie… Ces établissements reprennent parfois une activité permanente après cette expérience. Outre ses spectacles en tournée, dont bientôt Mes ancêtres les Gaulois* créé juste avant le confinement, Nicolas Bonneau prépare une adaptation du Comte de Monte-Cristo : « Parce que  j’ai besoin d’histoire, d’un récit populaire. » Il envisage aussi de se lancer dans la politique : « Toucher des gens qui n’ont pas accès à l’art et faire de la politique, c’est la même chose. »

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KF association en lecture chez Françoise © Mireille Davidovici

 En attendant, Traverse ! fixe trois rendez-vous par jour : à midi chez l’habitant, les artistes nous proposent un aperçu de leur spectacle du soir. Camille Kerdellant  et Rozenne Fournier de la compagnie bretonne KF Association nous ont donné un avant- goût de Ma famille sous un noyer géant, dans le jardin de Françoise qui vit dans un ancien moulin. Elles ont lu un pamphlet, étonnamment moderne, de Jonathan Swift (1667-1745)  : Modeste Proposition où l’auteur irlandais explique que la vente et la consommation des nourrissons seraient un remède «pour  empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de l’État». Une nouvelle de Dino Buzatti, La Chasse aux vieux où les jeunes éradiquent leurs aînés, vient compléter ce tableau réjouissant d’une société qui traite les humains comme de la marchandise… Ce que décrit l’auteur uruguayen dans sa pièce (voir ci-dessous )

Le lendemain, à la même heure, après un tour du vaste domaine de Marie-Claire et Christian, Nicolas Bonneau lit des textes de sa bibliothèque qui alimentent ses créations. Devant un parterre de bambous, il nous dévoile un brûlot percutant de Fred Vargas qui sied à cet environnement préservé par ce couple, avec un potager en perma-culture. La romancière fustige bille en tête la folie destructrice des humains : «Nous y voilà, nous y sommes, dans le mur !  Nous y sommes, à la troisième révolution. On ne l’a pas choisie, c’est la Mère-Nature qui l’a décidée (…)  épuisée, exsangue… » Au bord d’un étang tapissé de nénuphars en fleurs, il nous conte des histoires de sorcellerie empruntées à Claude Seignolle (1917-2018) et nous explique son travail d’auteur et comédien : « Raconter l’histoire de tous ces gens ordinaires dont on ne raconte jamais l’histoire, parce qu’ils ne sont pas des héros. »

A 19 heures, apéros-cabarets avec courtes performances. On a pu ainsi entendre la conteuse poitevine Michèle Bouhet qui a recueilli les mots des habitants au sud de la Vienne sur leur quotidien, leurs souvenirs et expériences. Eux qui, soi-disant n’avaient “rien à dire”, nous ouvrent un mille-feuilles d’observations, anecdotes, paroles vivantes « Ce rien, dit-elle,je sais qu’il est plein. » Nous  pensons aux « gens qui ne sont rien» et qu’on rencontre dans les gares, évoqués par Emmanuel Macron! De ces rencontres, est né un livre Paroles de villages de Nouvelle-Aquitaine** qui rassemble aussi la collecte de trois autres artistes sur ce territoire. Une mine de langues plurielles (certains textes sont en basque, d’autres en parler du Poitou) où l’on entend la vie bruisser… La lecture de quelques extraits par Michèle Bouhet et Jean-Jacques Epron, initiateur de cette publication, nous aura permis de mesurer que les gens ont toujours quelque chose à confier.

La nuit venue, place aux spectacles grand format. Au lavoir des Genets de Saint-Martin de Saint-Mexent, soigneusement restauré, Amélie Amao nous vient des Vosges avec des histoires… de lavoir. Dans le clapotis de l’eau, sous la lumière de faibles projecteurs, on imagine les lavandières qui, jusque dans les années cinquante, accroupies, battaient et essoraient le linge… Les grandes lessives bi-annuelles et celles de chaque semaine. La conteuse a collecté des témoignages dans les villages de sa région, qu’elle mêle à des légendes engendrées par ces lieux aquatiques et féminins  : s’y  croisent fées, sorciers, monstres  … On se met à rêver au clair de lune.

Ma famille de Carlos Liscano, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Françoise Thanase, mise en scène de la compagnie KF, offre une autre facette. On est ici à la lisière du théâtre : la pièce alterne récit et dialogue. Camille Kerdellant et Rozenn Fournier ont fait de cette comédie grinçante, un conte cruel en poussant à bout la caricature. Dans Ma Famille, on vend les enfants et les vieux pour échapper à la misère. Un commerce de dupes où quelquefois, par amour, on rachète ses rejetons… Le récit à la première personne que se partagent ces actrices est sorti d’un vieux grimoire dont elles tournent les pages. Comme si cette histoire venait des temps anciens. Afin de créer plus de distance, grimées en créatures asexuées, elles adoptent un jeu marionnettique pour camper père, mère, frères et sœurs, acheteurs et vendeurs d’enfants… soit une dizaine de personnages.  Le propos terrifiant de Carlos Liscano prend alors une teneur universelle et la farce a vite fait de nous glacer. Mieux vaut en rire et c’est la grande intelligence de cette proposition. KF prépare un spectacle sur les petits arrangements des femmes pour s’en sortir, tiré de documents et témoignages. Nous avons hâte de le découvrir…

 Mireille Davidovici

 Du 24 au 29 août 2020 à Saint-Martin de Saint-Mexent, Augé, La Crèche, Exirueil…

 *Mes Ancêtres les Gaulois du 8 au 10 octobre MAIF social-club Paris (IV ème).

 **Paroles de villages de Nouvelle-Aquitaine par l’Union des Foyers Ruraux de Poitou-Charente, édition La geste

 Ma Famille éditions Théâtrales-Jeunesse.

 

 

Indispensable ! Uneo uplusi eurstagé dies mise en scène de Gwenaël Morin

Indispensable ! à L’Atelier de Paris 

Atekier de Paris

Atelier de Paris

Indispensable ! ouvre la saison du Centre national de la Danse après l’annulation de  JUNE EVENTS en juin dernier. Pour ces retrouvailles, il propose dix représentations sur les plateaux et dix représentations gratuites dans les jardins,  avec de la danse mais aussi du théâtre et de la musique.

Pour inaugurer la manifestation, un spectacle de Gwenaël Morin que nous avions vu et apprécié en juin ici même.   Mais cette fois-ci en plein air dans son intégralité, de l’aube à midi. Les mêmes comédien(ne)s affronteront les  dieux et le texte de Sophocle.  Pour les lève-tôt, une navette est prévue dès 6 heures du matin depuis le métro Porte de Vincennes. 

Une uplusi eurstagé dies d’après Sophocle mise en scène de de Gwenaël Morin

Mettre en scène dix acteurs de moins de trente ans: une commande passée chaque année par l’A.D.A.M.I. Gwenaël Morin y répond selon son approche personnelle du théâtre: «Le théâtre n’est pas un média, c’est une expérience du monde qui passe par cette chose élémentaire: parler, danser, chanter.» Comme aux acteurs de sa compagnie, il a demandé aux jeunes gens sortis depuis peu d’une école de théâtre mais déjà expérimentés, de revenir à ces fondamentaux et de «se défaire de leur ego ». Cette mise à nu a été pour eux une expérience radicale et porte ses fruits. Ils nous livrent trois pièces d’un heure avec trois morts,  tirées de tragédies de Sophocle: Ajax, Héraklès d’après Les Trachiniennes et Antigone soit: « une ou plusieurs tragédies », si l’on veut bien déchiffrer le titre.

 Dans Ajax, trois comédiens se partagent les rôles principaux comme autrefois chez Sophocle, accompagnés par un chœur de sept personnes sous la conduite d’un choryphée (Sophia Negri). La distribution a été tirée au sort mais avant cet été pour laisser le temps d’apprendre leurs rôles aux comédiens sélectionnés parmi cinq cent cinquante candidats… La logique des entrées et sorties veut que Teddy Bogaert joue Ajax et son frère; Diego Mestanza : Ulysse et l’épouse d’Ajax ; Lola Felouzis, elle, interprète Ménélas, Agamemnon et Athéna. « Je n’aurai jamais eu l’occasion, dit-elle, de jouer ces personnages masculins et j’ai beaucoup appris.» Pour équilibrer la distribution, elle figurera dans le chœur des autres pièces, où chaque choreute d’Ajax interprétera, à son tour, un des protagonistes.

 «Le théâtre qui délivrerait un message est une décadence, dit Gwenaël Morin. » (…) «Je veux transmettre une capacité d’engagement, une détermination, une forme de courage à douter et à faire du théâtre avec ce qui reste, une fois qu’on a tout brûlé.» Et il compte donc sur l’énergie des interprètes et du texte comme pour ses précédents spectacles. Technique éprouvée avec les Molière de Vitez et les pièces de Shakespeare qu’il a montées en rafale, au “théâtre permanent“ du Point du jour, à Lyon, qu’il dirigea de 2013 à 2019 (voir Le Théâtre du Blog).

Ici, la traduction d’Irène Bonnaud va droit au but mais conserve un peu de la poétique grecque à laquelle les comédiens ne s’attardent pas. Ils restent dans l’action et lancent leurs répliques avec vigueur et une diction parfaite. Le chœur, toujours mobile, rythme les différentes séquences, au son d’un tambour et d’une flûte. Sur le plateau nu aucun accessoire, et pas de costumes pour les acteurs: les paroles prennent alors tout leur relief. Dépouillée d’une gestuelle inutile, engagée à jouer seulement ce qui est écrit, sans aucun sous-entendu dramaturgique, la troupe éphémère d’Ajax se montre d’une efficacité rare. On peut apprécier l’énergie de chacun dans ce bel exercice collectif. 

 Mireille Davidovici

A suivre…

Uneo uplusi eurstagé dies les 5 et 6 septembre à 6 heures 30 durée 5 heures 30

 Indispensable ! du 5 au 13 septembre Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes, rue du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. 01 41 74 17 07.

Les Rendez-vous d’été de Théâtre Ouvert

Les Rendez-vous d’été de Théâtre Ouvert

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Emmanuelle Lafon @ Christophe Raynaud de Lage


 Dans le cadre d’Un été culturel proposé par la Ville de Paris, 
Le Centre des Dramaturgies Contemporaines investit, pendant une semaine,  la cour de l’hôtel d’Albret, dans le Marais, siège des Affaires culturelles, pour faire découvrir à un large public de nouvelles écritures de théâtre. C’est en effet la vocation de Théâtre Ouvert-qui aura bientôt cinquante ans, fondé par Micheline et Lucien Attoun- et dirigé depuis 2014 par Caroline Marcilhac. Ils ont révélé, entre autres: kSerge Rezvani, Jean-Claude Grumberg, Philippe Minyana, Noëlle Renaude, Laurent Gaudé…  Avant de déménager l’an prochain dans le XXème arrondissement,  là où était Le Tarmac, Théâtre Ouvert est hébergé par la MC 93 de Bobigny. De nombreux spectateurs, observant les distances de rigueur, étaient au rendez-vous dans cette belle cour du XV ème siècle.

 Un Jour d’été que rien ne distinguait de Stéphanie Chaillou

 Des extraits d’un roman lu par Emmanuelle Lafon… Une femme revient sur son enfance et découvre peu à peu ce qu’être une fille veut dire. Un récit à la première personne, avec de fines observations sur les comportements de la gent féminine face au monde des hommes.

L’actrice raconte la prise de conscience précoce d’une injustice : « J’étais une fille, c’était ça le début de mon histoire. »  Entre autres anecdotes, il y a ce jour où la maîtresse d’école lui coupe son élan, quand elle s’apprête à marquer un but dans la cour de l’école : «Louise, ce n’est pas pour toi le foot! », lui crie-t-elle. Ou sa première  boum où elle voit sa meilleure amie se transformer en être désirant, sur l’air de Still loving you, un slow langoureux qui a fait la renommée des Scorpions (1984).l

Emmanuelle Lafon, souvent sollicitée par l’autrice pour faire entendre son œuvre, a parcouru avec sensibilité ce roman d’apprentissage et en a livré l’humour. Des scènes précises et un style oral, ressassant, se prêtent à une lecture à voix haute : « Quand j’écris, dit Stéphanie Chaillou, j’entends des voix. » Curieux choix d’inaugurer cette semaine par la lecture  d’un roman…  Mais Théâtre Ouvert suit de près cette auteure qui écrit aussi des œuvres de théâtre : «Au théâtre, c’est comme si on écrivait les restes d’un roman. On a cette liberté de plonger directement dans les situations sans être obligé de les relater ». L’une de ses pièces devrait être bientôt montée et nous pourrons alors apprécier ses qualités de dramaturge, en plus du rythme et de la poétique de sa prose…

À suivre…

 Mireille Davidovici

 

Du 25 au 28 août, cour de l’Hôtel d’Albret, 31 rue des Francs-Bourgeois, Paris (IV ème).
Prochainement : Guy Régis Jr, Pauline Delabroy-Allard, Charlotte Lagrange, Guillaume Cayet.

Le roman est publié chez Notable

Théâtre Ouvert aménage bientôt 159 avenue Gambetta Paris 20e T. 01 42 55 74 40 accueil@theatreouvert.com

 

 

Eros en confinement, mise en scène de Lazare

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© Jean Couturier

Eros en confinement, texte et mise en scène de Lazare, musique de Louis Jeffroy,

On sent comme un petit air de festival d’Avignon sur le parvis de l’Espace Cardin à Paris, sous un bel arbre centenaire… Lazare nous accueille :  «Bonjour, cela nous fait plaisir de vous voir». Avec le danseur Jann Gallois, il va restituer le mythe de Psyché et de Cupidon avec improvisations parlées et dansées. Le texte, écrit durant les soixante jours de confinement  avait une durée initiale de trente-cinq minutes mais cet Eros en confinement accompagné par la musique en direct,  en a atteint cinquante.

D’abord seul, Lazare nous embarque dans un récit où se croisent Vénus, Cupidon et Psyché. Vêtu d’un T. shirt siglé: «Barbès parle», il cherche le regard du public et sa logorrhée est vite communicative. Il évoque une Psyché imaginaire que Jann Gallois va incarner en une danse fluide et sensuelle. Le jeu de corps à corps de ces artistes est impressionnant d’énergie : de belles images naissent de leur complicité, comme cette entrée de la danseuse sur l’épaule du comédien, alors qu’elle marche à l’horizontale sur le mur du théâtre. Plus tard, ils rouleront enlacés sur le gazon: une citation de Compact de Jann Gallois , (voir Le Théâtre du Blog).
Puis la danseuse entame un solo poétique et Lazare fait quelques allusions à la situation sanitaire actuelle : une proximité ne serait pas en effet compatible et c’est une sorte de catharsis pour la quarantaine de spectateurs installés sur des bancs avec la distance requise. Après des applaudissements, mérités, Lazare ajoute : «C’est une forme atypique, mais pour nous une façon d’exister. Cette période va être vachement dure à vivre, il faut inventer, improviser encore et toujours. »

 Jean Couturier

Jusqu’au 30 août  à 18 heures,  Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel,  Paris (VIII ème)

Un été particulier à Paris se poursuit jusqu’au 15 septembre avec de nombreux spectacles en plein air gratuits.

Festival de La Mousson d’été

Festival de La Mousson d’été

 Une édition attendue : après un été de silence forcé, le théâtre retrouve à Pont-à-Mousson en Lorraine, la joie de se dire. C’est la mission que s’est donnée en 1996, Michel Didym, alors directeur de compagnie : faire entendre les encres fraîches du théâtre contemporain, hors frontières, grâce à une équipe d’acteurs acrobates de la lecture en public. Aujourd’hui, rendez-vous incontournable de la rentrée théâtrale fête sa vingt-cinquième édition… Mais Michel Didym n’a pas concocté une édition-anniversaire boursoufflée et a choisi de replacer plus simplement et plus justement les écritures contemporaines au cœur de l’élan de la création après de mois de silence forcé. L’Abbaye des Prémontrés a donc vibré pendant six jours, parcourue dès les premières heures du matin jusque tard dans la nuit, par les acteurs en répétitions, les stagiaires de l’université d’été européenne dirigé par le fidèle Jean-Pierre Ryngaert, et par les spectateurs et artistes amis, dans une joyeuse déambulation, masquée – forcément. Et quand cessent les affaires sérieuses, le Parquet de bal et ses DJ entrent dans la danse, animé par des pointures du genreOuverture photo MAS

 Le plaisir des rencontres et de la découverte artistique fait partie de l’ADN de La Mousson d’été ;  ils sont rendus possibles grâce au travail à l’année, sérieux et attentif de toute une équipe : comité de lecture, traducteurs, institutions partenaires comme la Maison Antoine Vitez ou Théâtre Ouvert. Ils concourent à dessiner le paysage de chaque édition.

Cette programmation 2020, foisonnante - vingt-huit auteurs servis par des mises en espace ou de simples lectures, presque toutes accompagnées  par des musiciens – fait du spectateur, un promeneur dont la rêverie se teinte parfois d’émotion, parfois d’agacement, mais le plus souvent de gratitude. Ces histoires venues d’Allemagne, Norvège, Pologne, Espagne, Cameroun, Royaume-Uni, Pays-Bas, Croatie, Argentine, Uruguay et Algérie, juxtaposées aux textes d’auteurs français, mettent en tension notre capacité  à envisager l’ailleurs. Nous ne pouvons nous dérober à sa diversité. Nous comprenons aussi ce que le théâtre donne au monde en lui proposant des corps d’emprunt. Des langages, des histoires…

 Parmi tous ces rendez-vous, quelques moments remarquables :

Claudine Galea, associée au Théâtre national de Strasbourg, présentait Un Sentiment de vie avec Stanislas Nordey. Debout devant leur pupitre, dans l’intensité d’une présence quelle et pourtant indivisible, ils lisaient ou peut-être rêvaient à voix haute les correspondances qui sillonnent en secret son écriture : Falk Richter, la présence/absence du père mort depuis longtemps, la mémoire de l’Algérie. Un texte aussi décousu qu’infiniment relié, dont la voix de Claudine Galea serait l’unique motif d’exister. Stanislas Nordey, impeccable diseur, se retirait petit à petit pour laisser la place à cette femme menue, habitée par le spectre de sa narration. « Ne pleure pas ! Le monde aussi est en larmes. Ne pleure pas, donne tes larmes : écris ! » Claudine Galea nous a invités dans cette faille de l’espace et du temps qu’est la mémoire. Nous avons expérimenté son territoire d’écriture et en sommes sortis bouleversés.

 Autre voix, autre univers : Charles Berling, dirigé par Michel Didym, a fait entendre de larges extraits de Nul si découvert du romancier et auteur de théâtre français Valérian Guillaume. Seul, avec pour tout viatique la vertigineuse pulsation de phrases sans virgules et sans points mais d’une oralité renversante, Berling nous livre l’univers des galeries marchandes, envahi de solitudes qui se croisent, influencées par la publicité. «Pour suivre le chemin du plaisir j’ai été voir les belles choses d’abord j’ai regardé les téléphones chez SFR puis j’ai été chez Claire’s pour voir les bijoux les barrettes les chouchous les bandeaux et j’ai pas arrêté de caresser les fausses mèches et les rajouts super doux après j’ai été voir les nouvelles perceuses chez Leroy-Merlin puis les crèmes chez Yves Rocher tout le monde a été vraiment hyper gentil et j’ai trouvé les rayons impeccables et si fournis que j’ai presque pas pensé à mes tristesses. » L’acteur s’est laissé conduire par la voix intérieure de cet homme encore jeune, envahi par la pulsion de se nourrir de cochonneries, dévoré par ses promenades compulsives et soumis à celui qu’il appelle son « démon ». Dans une palette d’infinies nuances, Charles Berling nous a donné la chance de comprendre et d’aimer cet être humain, à la fois drôle dans sa fragilité et pourtant promis à la violence du monde.

 Venu de cette partie de l’Allemagne alors nommée «de l’Est » , Dirk Laucke donne la parole, avec Barouf en automne, à Jürgen et Karin, deux laissés pour compte pas vraiment miséreux, juste à la limite. Trop âgés pour travailler, petite retraite, l’homme et la femme se sont fait avoir par l’Histoire. Le capitalisme qu’ils désiraient tant (au moins pour la beauté de ses objets), n’a produit que chômage et extinction de leur ancien mode de vie, plus égalitaire. Mais, de ce tour de passe-passe, il n’est pas directement question ici. Ils se disputent autour d’un ancien Leica, dont l’un et l’autre discutent de la valeur d’échange contre un appareil numérique et jaillit alors  la conscience de leur frustration. Ils se rebiffent et décident de passer à l’action. Il faut décrypter tout ce qui se joue à la fois entre eux, et avec le gérant du magasin, la tendresse de l’auteur pour ses personnages qu’il observe pourtant sans ménagement : ils sont en effet prêts à tout pour s’en sortir.

Emilie Capliez, récemment nommée avec Mathieu Cruciani à la tête de la Comédie de l’Est à Colmar, a dirigé Catherine Matisse, Christophe Brault et Sébastien Eveno, sur une partition toute en humour à froid. Juliette Auber-Affholder a traduit cette pièce dans le cadre du programme européen Fabulamundi. Ce qui montrerait s’il en était besoin, la pertinence du soutien apporté à ces programmes de traduction.

Exception dans ces nombreuses lectures, une mise en scène déjà très travaillée de la prochaine création de la compagnie Le Grand Cerf bleu : Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles. Après avoir vu les répétitions en juin dernier à Théâtre Ouvert (voir Le Théâtre du blog du 20 juin), nous avons eu plaisir à revenir sur le travail de cette jeune compagnie qui s’est attachée à l’écriture du catalan Joan Yago. Un texte traduit aussi dans le cadre de Fabulamundi par Laurent Gallardo. Avec ces vrais/faux entretiens de femmes  aux  comportements déviants ou aux croyances quelque peu surnaturelles, le théâtre peut donner libre cours à la fantaisie implicite de ces revendications d’identités marginales. Les réseaux sociaux fourmillent de ce genre de personnalités déviantes qui peuvent inquiéter ou faire rêver mais qui témoignent d’une liberté de parole sans contrainte. Les acteurs du Grand Cerf bleu s’en donnent à cœur joie mais en gardant une distance : chacun peut apprécier comme il veut ces aspirations à l’éternité, à la beauté éternelle ou au port d’armes généralisé… Ce sont des variations autour de nos contradictions et, comme on dit  « Tout le monde a ses raisons ».

Never vera blue (c) Boris DidymDSC_3275 - copie

Isabelle Carré dans Never Vera Blue © ßoris Didym

Il faudrait aussi souligner la très belle interprétation d’Isabelle Carré, sous la direction de Michel Didym, dans Never Vera Blue de l’Anglaise Alexandra Wood. Un spectacle en vue ?A suivre… Mais il faut aussi rendre hommage à Stanislas Nordey qui, pendant le confinement, a passé commande à douze auteurs pour les douze jeunes élèves-comédiens du Théâtre National de Strasbourg avec pour thème : « Ce qui (nous) arrive ». De courtes pièces à une voix qui se sont égrenées le soir.

Compte-tenu des exigences sanitaires, nombre de rendez-vous ont eu lieu en plein air sous les tilleuls du parc, sous les arcades de la Promenade des Chanoines ou un chapiteau ouvert en bordure de la Moselle. La fin de l’été est douce en Lorraine, même si les mots s’envolent parfois sous les caprices du vent…

La Mousson d’été a su jouer avec les contraintes du moment et avec les ressources qu’offre les locaux de l’Abbaye, pour cette vingt-cinquième édition qui a été de haute tenue. L’an prochain, Michel Didym quittera ses fonctions de directeur du Centre Dramatique National de Nancy, pour redevenir directeur de compagnie. Sans nostalgie, semble-t-il : il brûle de consacrer tout son temps à la création…

 

Marie-Agnès Sevestre

La Mousson d’été a eu lieu à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson du 21 au 27 août.

Le théâtre de Claudine Galea est publié aux éditions Espace 34. Son dernier roman Les Choses comme elles sont, est paru aux éditions Verticales l’an dernier. Nul si découvert de Valérian Guillaume est publié aux  éditions de L’Olivier (2020). Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles de Joan Yago paraîtra à l’automne en édition bilingue chez Tapuscrits/Théâtre Ouvert.

 

A l’écoute. Réflexions sur le son et la musique de Peter Brook

A l’écoute. Réflexions sur le son et la musique de Peter Brook, traduction de Jean-Claude Carrière

  La simplicité de la pensée paradoxale se retrouve dans ce petit livre qui a pour thème  l’oreille, la musique et le son,  et dont le dernier mot, le dernier message est : « Silence »… Le metteur en scène revoit son grand œuvre passé,  surtout la partie, moins connue en France, créée en Angleterre et aux Etats-Unis, à la lumière de la sphère sonore à lui attaché. Il tisse ses chapitres de rencontres, expériences, explorations, partant de la légende d’Orphée et des mythes de la création en Afrique.

Anecdotes, associations d’idées deviennent fables, constatations, aphorismes d’un grand sage qui, au-delà de la réflexion sur le son et la musique, englobent plus généralement  le domaine de la forme et de la création, de l’opéra à Shakespeare et  à Tchekhov qui tous deux font preuve dans leur écriture d’une  écoute sensible, l’un des conversations de tavernes et de ruelles, l’autre des familles qu’il visitait comme médecin de campagne. Il est d’abord question de sensibilité «finement aiguisée» : « Les meilleurs acteurs que j’ai connus comme John Gielgud et Paul Scofield jouissaient d’une fine sensibilité : celle qui dissout les barrières de l’ego, qui est de toute façon inévitable. (…) Tous les grands musiciens que j’ai eu la joie de connaître, disaient après une interprétation particulièrement réussie : « Ce soir, je sentais que ce n’était pas moi, mais la musique qui jouait à travers moi. »  Cela demande, bien sûr, une sensibilité très fine qui éveille souvent la même qualité chez l’auditeur.   « Les instruments eux-mêmes  répondent  mieux, quand les muscles sont allégés par la joie. » Ces phrases évoquent la direction d’orchestre de Teodor Currentzis, un chef grec formé à Saint-Petersbourg qui transporte  ses interprètes et son public grâce à une vive sensibilité qui le mène jusqu’à danser la musique depuis son pupitre, et à diriger sans baguette mais avec tout son corps en mouvement. Pourtant,  c’est sur un Arturo Toscanini âgé que s’attarde Peter Brook. Il bougeait à peine, dirigeait sans gestes son orchestre grâce à la qualité d’une écoute subtile.
 

  Après avoir subi les cours ennuyeux de professeurs impatients, Peter Brook a appris le piano avec une Russe. Sa méthode : faire écouter le son produit par une note, sans bouger mais sans tension dans le haut du corps, de façon à se préparer pour la note à venir. «Appuie, laisse aller, écoute, appuie, relâche, écoute. » Le diable, c’est l’ennui, nous avait dit, il y a déjà longtemps, Peter Brook… Comment, en art,  donner la vie ? Comment jouer avec le passé pour lui redonner vie au présent ? Comment jouer avec la tradition  sans revenir au passé ? Question fondamentale que posait déjà au début du XXème siècle, le grand  Vsevolod Meyerhold auquel Peter Brook a consacré son dernier opus. Il est le cousin émigré de Valentin Ploutchek, acteur de Meyerhol dans les années vingt, qui ouvrit en 1975 dans son Théâtre de la Satire, un cours de biomécanique (méthode musicale, on l’oublie trop souvent !) que dirigeait  un de ses anciens condisciples du Théâtre de Meyerhold.

Curieusement, ce petit livre de cent-trente cinq pages rempli de notes aiguisées, du son de la note, au son du silence, n’est en aucune façon une méthode. Mais il évoque, de près ou de loin,  certaines réflexions de ce metteur en scène-musicien qu’était Vsevolod Meyerhold, sur lequel Peter Brook continue de travailler pour les tournées à venir de Why, présenté aux Bouffes du Nord en 2019.  Il est donc ici question de traditions, d’attention mais aussi d’opéras : on a pu voir en France, La Bohême, Boris Godounov, Faust, Eugène Onéguine, Salomé avec décors et costumes de Salvador Dali, mais aussi de concerts, de musique classique ou concrète, de musique de films, de ballets et comédies musicales. Il est aussi question de la qualité de l’écoute : intérêt, disponibilité, alerte qui emplit l’espace, qui le nourrit et nourrit l’orchestre.

L’écoute véritable est celle du chat qui met en alerte au moindre son chaque cellule de son corps, passant de l’immobilité à la réaction  instantanée. Il faut savoir tenir le détail comme le sens entier de la phrase musicale, faire respirer une œuvre en tenant compte des intervalles nécessaires, des silences qui sont des sortes de ponts.  La vie d’une œuvre du passé est dans l’importance de ces intervalles, dans l’entre-deux, jamais dans l’œuvre elle-même, qu’elle soit musique ou littérature. « Entre une lettre et une autre, entre un mot et un autre … il y a toujours une petite brèche, un interstice qui s’ouvre sur le silence. »  Ce qui permet de susciter des réponses chez celui qui écoute, aujourd’hui, même si sa culture sonore a des repères mélodiques et rythmiques différents.

 Peter Brook pointe l’importance de la comédie musicale à Broadway et s’attarde sur ses expériences new-yorkaises. Il raconte l’histoire de son théâtre, son évolution de la complexité à la simplicité, comme seuls les artistes peuvent le faire : avec légèreté et en mettant en exergue les détails importants. A New York avec La Tragédie de Carmen, Impressions de  Pelléas, et  avec Une Flûte enchantée, aux Bouffes du Nord à Paris.  Il déroule ainsi avec clarté le fil organique de sa longue vie d’artiste, accompagné d’amis, d’êtres aimés et de collaborateurs. Il décrit son riche voyage musical dans les arts de la scène, qui aboutit au son du silence. Emouvant jusqu’aux larmes, le souvenir de la danse immobile de la chanteuse et danseuse de flamenco Pastora Imperio. Paralysée par l‘âge, elle exprime devant lui, remuant « millimètre par millimètre » ses doigts tremblants, l’intensité d’une danse passionnée.

Peter Brook livre  l’expérience du Prisonnier où, après de multiples improvisations au clavier électronique, le compositeur et pianiste Franck Krawczyk déclara très simplement : « Rien de ce que je propose ne va. Le son qui colle le mieux à la pièce est le silence. »  

Béatrice Picon-Vallin

 Editions Odile Jacob et en anglais, chez Nick Hern Books.

Livres et revues

Livres et revues

 Revue Frictions n° 32

 Covid ou pas covid, ce nouveau numéro est d’une aussi belle qualité picturale et textuelle que les précédents. Avec d’abord  un montage que n’aurait pas renié un graphiste comme Roman Cieslewicz et où on voit Mussolini le point droit levé, avec à l’arrière-plan, une photo de manifestation où une jeune femme brandit un carton avec ces seuls mots: Black lives matter. Juste en dessous de Benito Mussolini, un Donald Trump, le visage et les mains aussi jaunes que son visage crispé. Et visiblement très en colère, brandissant son poing droit. Et sur la page de gauche, la fameuse phrase de Bertolt Brecht en 1941: “Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.” Et illustrant l’éditorial de Jean-Pierre Han, un fragment de  la non moins fameuse fresque de Michel-Ange où un Dieu barbu  touche du doigt un homme nu mais qui, ici porte un masque anti-covid. Entre ces deux illustrations, une photo d’un troupeau de moutons en noir et blanc avec, en encadré, celle d’une tête de mouton écorchée et sanguinolente. Et sur la page de gauche, un court texte (1888) d’Octave Mirbeau, sur l’électeur “plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutonniers, qui nomme son boucher et choisit son bourgeois.”

En trois fortes images, tout est dit ou presque de la situation actuelle. Dans un remarquable édito, Jean-Pierre Han dénonce entre autres l’incontournable vidéo qui a tant sévi ces dernieres temps.  François Le Pilllouer, l’ancien directeur du Théâtre National de Bretagne, se méfiait terriblement,  il y a déjà quelque trente ans, de celles que les compagnies lui envoyaient à l’appui d’une proposition de spectacle… Réalisées avec quelques extraits trop bien filmés et ne correspondant  jamais à la réalité, ou mal filmées donc finalement nuisibles au  développement du projet. Dans un cas comme dans l’autre, ces vidéos ne reflétaient en rien l’exacte qualité de la proposition théâtrale. Pour Jean-Pierre Han, le “piège de la captation est un véritable révélateur de ce qui ne devrait jamais l’être, la mort saisissant le vif .” “Nous n’aurons jamais eu, ajoute le rédacteur en chef de Frictions, que des squelettes de spectacle, ce qui, au bout du compte, n’est pas très charitable par ces temps d’épidémie. Pour les autres actions, ce fut un déferlement à nul autre pareil, une débauche d’imagination plus ou moins pertinente, mais enfin l’essentiel était dans le geste, semble-t-il, histoire de s’étourdir. “

Effectivement nous avons été submergés pendant le confinement et après, de vidéos de soi-disant spectacles tournés en appartement avec un ou deux acteurs maximum ou de captations de réalisations présentées dans des jardins ou des cours intérieures dont l’entrée était gratuite. Bien entendu, rien de très intéressant là-dedans à quelques exceptions près comme ce cabaret monté par Léna Bréban devant l’E.P.H.A.D. de Chalon-sur-Saône (voir Le Théâtre du Blog). Comme si les compagnies tenaient absolument à combler le vide actuel et à montrer à leurs clients (pardon: à leur spectateurs!) qu’elles existaient bien encore et qu’il ne fallait surtout pas les oublier…

Ce numéro s‘ouvre sur un cin d’œil : un texte court mais étonnant d’Heiner Müller: Guerre des virus. C’était un projet de dernière scène de Germania 3-Les spectres du Mort Homme qui n’avait pas été retenu dans l’édition en 96 à l’Arche, un an après le décès de l’auteur et représenté au Portugal dans une mise en scène de Jean Jourdeuil. Le texte avait été publié en 2001 dans la revue Théâtre public: “Dieu n’est ni homme ni femme, c’est un virus.” Suit un article de Jean Lambert-wild, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Limoges, A la guerre comme à la guerre. Il rappelle cette célèbre et très belle phrase d’Héraclite:” Les hommes dans leur sommeil travaillent fraternellement au devenir du monde” et  souligne les bienfaits dune sieste d’une heure trente selon Winston Churchill. Jean Lambert-wild a une  réflexion lucide sur la guerre qui, dit-il, de par sa nature destructrice, peut nous convaincre que nous pouvons, pour un temps, faire l’impasse de notre conscience en brouillant généreusement les lois de tous et les devoirs de chacun. “

Nous ne pouvons citer tous les articles de ce riche numéro mais il y a une belle réflexion  sur la mise en espace/mise en scène de Thierry Besche, artiste assembleur de son, cofondateur et ancien directeur du Centre national de création musicale d’Albi. L’auteur analyse en particulier de façon très perspicace les rapports d’interdépendance entre son, lumière, image, texte et jeu des acteurs dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink, mise en scène de Julie Duclos et Sous d’autres cieux de Kevin Keiss d’après Virgile, mise en scène de Maëlle Poésy (voir Le Théâtre du Blog) .

 Frictions . 27 rue Beaunier, 75014 Paris. frictions@revue-frictions.net T. : 01 45 43 48 95. Le n°: 15 €.
Les sommaires détaillés de tous les numéros parus sont consultables sur : www.revue.frictions.net

 

 Magie numérique Les arts trompeurs. Machines. Magie. Médias, sous la direction de Miguel Almiron, Sébastien Bazou et Guisy Pisano

03A708AF-9C0F-4B95-AA8B-A40A5108C814 Comme le relèvent dans l’introduction de cet ouvrage touffu mais passionnant écrit par une quinzaine de spécialistes, ceux qui l’ont remarquablement dirigé, accoler le terme: magie au mot numérique peut paraître étrange,  puisque le premier relève de l’illusion visuelle et l’autre de la technologie la plus récente. Mais pourtant l’introduction de ces nouveaux outils numériques a nettement influencé à la fois le processus de création  comme le résultat final. En fait, c’est l’accentuation des effets magiques et non le mode de création que l’on observe ici, la technologie, même sommaire d’autrefois (déjà au Moyen-Age avec des jeux de lumière) puis avec les merveilleux trucages de Georges Méliès, a toujours été partie liée avec l’art du magicien. Mais depuis une dizaine d’années que ce soit dans les spectacles de magie ou de théâtre pur, on a vu ces dispositifs se développer de façon radicale…

  Il y a maintenant un dialogue permanent entre magiciens et praticiens  travaillant dans le domaine du numérique qui a bouleversé la création des effets d’illusion,  que ce soit en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, avec des personnages ou des objets sur un plateau. On se souvient encore de l’effet-surprise que provoqua l’apparition d’un hologramme remplaçant Jean-Luc Mélenchon lors d’une tournée électorale…

Dans Maîtrise de la distance, ubiquité et jeux avec le cadre, André Lange retrace le parcours qui des effets d’optique grâce à un miroir ou à une loupe. Et cela ira du tableau défini par Alberti puis aux effets de cadrage chez  Vermeer à l’écran de ciné puis à celui de la télévision il y a presque un siècle, à celui  de l’ordinateur et à l’image ainsi créée et lancée sur grand écran scénique…  Le grand moteur originel étant bien la mise en perspective d’un lieu ou d’un bâtiment, ou comment on est passé d’un univers à deux dimensions à tout un autre espace. L’auteur dans cet article très fouillé met en valeur l’emploi du miroirs magiques capables de modifier en profondeur la notion de réalité. Il rappelle justement l’essai bien connu que Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa  reproductibilité, même s’il ne parle pas de la transmission des œuvres, ni de la radio ni de la télévision. Paul Valéry comme il le rappelle aussi avait-il sans doute mieux perçu l’importance de de la magie sonore puisqu’on pouvait déjà à son époque reproduire et conserver des sons. Ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité…  En fait c’est toute l’abolition de la distance  pour le son comme pour l’image qui va s’imposer rapidement. Avec comme autre conséquence de l’emploi des technologies numériques, la disparition de la contrainte de l’espace unique d’un écran  et l’échappée belle  du cadre, jusqu’aux images de synthèse diffuses par un casque. Ce qui est devenu monnaie courante  en quelques années. Et souligne l’auteur, les magiciens  ont vite compris tout l’intérêt qu’il pouvaient tirer des effets de réalité augmentée. Y compris en remettant au gout du jour l’effet de théâtre dans le théâtre ou de cinéma dans le le cinéma… un effet  qui remonte au XVI ème siècle! Le domaine chorégraphique semblant y échapper…Refrain connu: c’est (y compris en matière artistique) dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes. Cela dit, on peut se se demander -et c’est aussi une véritable question philosophique- jusqu’où ira ce développement technologique foudroyante.

Le très riche article qui suit L’Installation miroir comme mise en espace d’un entresort technologique signé Sophie Daste, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et de Karleen Groupierre, de l’Université Savoie Montblanc aborde de façon très technique la scénographie du dispositif miroir  qu’utilise bon nombre d’œuvres d’art actuelles avec des exemples très parlants d’effets d’illusion avec sonorisation spatiale. Les auteurs rappellent que le miroir, notamment en littérature: Lewis Carrroll, le sutio Disney, et plus récemment J.K. Rowling avec Harry Potter comme en art avec la galerie des Glaces, a toujours été un des éléments moteurs de l’illusion.

Roman Lalire, magicien et créateur d’images poétiques, parle très bien de l’association vidéo associée à la technologie. Il travaille avec des compagnies de théâtre pour créer une émotion magique. Grâce notamment à un outil comme l’iPod Touch qui lui permet de manipuler une image, de la grossir ou de la rétrécir. En fait l’auteur analyse très bien le rapport à l’image que nous avons tous avec ce que cela comporte de crédibilité, même si on sait très bien que c’est faux. Comme au théâtre, nous savons que l’assassinat auquel on assiste n’est pas réel mais nous avons envie d’y croire. Il nous souvient d’une de nos étudiantes que j’avais invitée à aller voir un Néron et qui s’est évanouie quand un flot de  sang a jailli du cou de Britannicus percé par le poignard de l’empereur…  

La magie  et la vidéo  donnent comme l’auteur le remarque,  la possibilité de passer très vite d’une réalité à une autre par plusieurs strates sans qu’on sache bien où on en est.  D’où une approche poétique quand on invente un tour de close up (magie de proximité) fondé sur la technologie. On ne peut citer tous les articles de ce vraiment très riche volume mais on retiendra celui très technique, de Chanhtthaboudtdy Somphour sur La Pensée magique des interfaces cerveau ordinateur: l’évolution de cette illusion dans l’art numérique. L’auteur  consacre une vingtaine de pages sur ces interfaces crées par l’art numérique à partir d’un casque. C’est un texte qui demande une certaine attention quand on ne fait partie de la paroisse électronique mais qui a le mérite d’ouvrir  un certain nombre de réflexions quand aux relations entre les ondes transmises par un cerveau humain  et la création d’une musique  comme chez Alvin Lucier.  Ou chez David Rosenbaum . ..
L’auteur commente très clairement l’instalation de Valéry Vermeulen qui propose à un spectateur de composer une performance son et  image grâce à ses émotions. Là il s’agit encore de “magie” mais à base d’interactivité virtuelle. Le tableau virtuel VAnité Interactive s’engage dit l’auteur dans une démarche proche de celle des vanités au XVII ème siècle. Avec une installation à base de crânes mettant en regard la vie et la mort sous un aspect artistique.
On va sans doute encore plus loin dans cette démarche, à laquelle Patrick Modiano l’écrivain de la mémoire personnelle ne serait sans doute pas insensible avec le travail de Fito Segrera qui propose de mettre en images les chutes d’attention qui symbolisent pour lui la perte d’un souvenir. Et grâce à des algorithmes, ces souvenirs sont ensuite rendus sous forme de fragments photographiques.

Ce livre de 240 pages est  parfois difficile d’accès et manque un peu d’illustrations mais quand même pas besoin d’être un spécialiste de la magie, il est à lire et à consulter. Et encore une fois tout à fait passionnant. Il ouvre la porte à un réflexion philosophique sur toutes les interactions possibles entre magie et art numérique, mais aussi sur la réalité virtuelle en général qui, il y a à peine une vingtaine d’années s’est vite invitée chez les créateurs d’illusion, voire dans notre quotidien. Et toutes les écoles d’art devraient mettre à la disposition de leurs élèves cet ouvrage passionnant.

 Philippe du Vignal

Editions Septentrion Collection arts du spectacle. 25 €.
 

  

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