Répétitions publiques de Fuir le Fléau , textes de Nathalie Azoulai, Emmanuelle Bayamack-Tam, Arno Bertina, Valérie Cachard (de Beyrouth), Lise Charles, Leslie Kaplan, Olivier Kemeid (de Montréal), Philippe Lançon, Laurent Mauvignier, Scholastique Mukasonga, Marie Nimier et Thierry Illouz, Anaïs Vaugelade, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois,
La grande Halle Photo X
« Plaine d’artistes » : à la Villette, on a fait le pari d’une Grande Halle vivante cet été. Pas de grandes manifestations : nous sortons à peine du confinement et tous les spectacles ont été annulées ou remis. Reste le travail : la Grande Halle ne manque pas de place: les compagnies en ont besoin et les comédiens ne demandent qu’à travailler : chiche, « côté coulisses » s’ouvre aux répétitions…
Anne-Laure Liégeois connaît bien la Villette pour y avoir monté, entre autres, Embouteillages, avec une trentaine d’auteurs, trente-cinq voitures et une foule de comédiens, dont, en partie, les auteurs. La proposition est cette fois plus frugale et ce dernier week-end, un public motivé a pu assister aux débuts de Fuir le Fléau. L’idée trottait dans la tête d’Anne-Laure Liégeois : « Confinée plusieurs semaines, Le Décaméron de Marguerite de Navarre en tête, je mastiquais le mot : fléau. Quel est celui que l’aurait chacun intimement besoin de fuir aujourd’hui, en racontant, comme à la Renaissance, une histoire au milieu des champs? »
Anne-Laure Liégeois Photo X
La metteuse en scène a demandé à douze auteurs un monologue fait pour être joué sur le « fléau », avec tout ce qu’ils en auront pu imaginer et en ressentir. Et nous en avons un de taille avec ce virus et tout ce qu’il transporte de maux subséquents : angoisse, dépression, vertige de l’interrogation sur soi, claustrophobie, soupçons à l’égard des autres et en même temps, sentiment de solitude, absurdité jusqu’à l’humour noir…
Un auteur à découvrir dans le spectacle « en vrai » -mais tous les moments sont vrais- a pensé au fléau de la balance, pas forcément celle de la Justice, celui de l’hésitation, des choix impossibles… Certains textes ne manquent ni d’humour ni de fantaisie, avec, par exemple, un « éplucheur » de cons : je m’y connais, j’en suis un ! »
Dans la Grande Halle, grande est la distanciation spatiale, sinon sociale avec trois tables éloignées les unes des autres de quelques dizaines de mètres et les petits groupes de spectateurs sont autour des comédiens venus tour à tour lire leur texte. Il y a parfois d’heureuses interférences : un mot d’une autre table vient créer une intéressante dissonance avec le monologue qu’on écoute, l’alléger ou lui donner du poids, l’ouvrir vers un sens inattendu. Il y a aussi, trop présents, des mots parasites. Peu importe : le spectacle final se jouera dans des lieux multiples, en perdant cette tension entre deux textes, mais en concentrant l’attention sur un unique objet d’écoute. Et même quand il s’agit d’une étape de travail, nous sommes déjà au théâtre, curieux et captivés, donnant un sens à tout, y compris aux « accidents » de plateau. Le public est ainsi: partenaire, et, à sa façon, créateur, et c’est bien pour cela qu’il a été convié. Après chaque séquence de trois textes, il est invité à en parler avec les acteurs et la metteuse en scène, avec un objectif plus approfondi que celui pratiqué habituellement. On connaît les répétitions ouvertes : à une collectivité, scolaire, par exemple où il s’agit de faire mesurer à des élèves l’écart et la nature du travail entre la répétition et le spectacle auquel on assistera ensuite. Ici, il s’agit d’inclure questions et observations de ce public restreint mais de bonne volonté, dans la fabrique même du théâtre.
Celui de la Piscine, à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) où Anne-Laure Liégeois a fait ses premiers pas dans les ateliers du Théâtre du Campagnol, est aussi coproducteur. Marc Jeancourt, son directeur, a choisi de consacrer au financement -partiel- de Fuir le Fléau l’argent de ceux qui ont demandé que leurs places payées pour les manifestations annulées ne leur soient pas remboursées. Bel acte symbolique, où l’on voit que le « fléau » a aussi de bons côtés. Cela avait déjà été tenté, sous la forme de préachats, ou d’achats participatifs. Mais on aime bien que les théâtres donnent un sens à eux qui font « l’effort d’être spectateurs » selon l’expression de Pierre Note.
À La Villette, certains ont pu imaginer un «été apprenant». La priorité, a été non d’aller vers la formation d’un public, mais que les acteurs puissent travailler à une création et c’est tant mieux. À suivre, donc, cette façon de fuir le fléau pour la saison prochaine (à condition qu’il ne fasse pas de trop grosses vagues) avec ses douze auteurs et ses six comédiens : Vincent Dissez, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Lorry Hardel, Norah Krief et Nelson-Rafaell Madel.
Christine Friedel
Ces répétitions publiques ont eu lieu les 1 er et 2 août à la Grande Halle de la Villette, Paris ( XIX ème).
A voir ensuite à : L’Equinoxe de Châteauroux, Le Volcan du Havre, La Maison de la Culture d’Amiens, La Piscine de Châtenay-Malabry,, La Filature de Mulhouse, Le Manège de Maubeuge,..