Livres et revues

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 Revue Frictions n° 32

 Covid ou pas covid, ce nouveau numéro est d’une aussi belle qualité picturale et textuelle que les précédents. Avec d’abord  un montage que n’aurait pas renié un graphiste comme Roman Cieslewicz et où on voit Mussolini le point droit levé, avec à l’arrière-plan, une photo de manifestation où une jeune femme brandit un carton avec ces seuls mots: Black lives matter. Juste en dessous de Benito Mussolini, un Donald Trump, le visage et les mains aussi jaunes que son visage crispé. Et visiblement très en colère, brandissant son poing droit. Et sur la page de gauche, la fameuse phrase de Bertolt Brecht en 1941: “Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.” Et illustrant l’éditorial de Jean-Pierre Han, un fragment de  la non moins fameuse fresque de Michel-Ange où un Dieu barbu  touche du doigt un homme nu mais qui, ici porte un masque anti coronavirus. Entre ces deux illustrations, une photo d’un troupeau de moutons en noir et blanc avec, en encadré, celle d’une tête de mouton écorchée et sanguinolente. Et sur la page de gauche, un court texte (1888) d’Octave Mirbeau, sur l’électeur “plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutonniers, qui nomme son boucher et choisit son bourgeois.”

En trois fortes images, tout est dit ou presque de la situation actuelle. Dans un remarquable édito, Jean-Pierre Han dénonce entre autres l’incontournable vidéo qui a tant sévi ces dernieres temps.  François Le Pilllouer, l’ancien directeur du Théâtre National de Bretagne, se méfiait terriblement ,  il y a déjà quelque trente ans, de celles que les compagnies lui envoyaient à l’appui d’une proposition de spectacle… Réalisées avec quelques extraits trop bien filmés et ne correspondant  jamais à la réalité, ou mal filmées donc finalement nuisibles au  développement du projet , dans un cas comme dans l’autre, ces vidéos ne reflétaient en rien l’exacte qualité de la proposition théâtrale. Pour Jean- Pierre Han, le “piège de la captation est un véritable révélateur de ce qui ne devrait jamais l’être, la mort saisissant le vif .” “Nous n’aurons jamais eu, ajoute le rédacteur en chef de Frictions, que des squelettes de spectacle, ce qui, au bout du compte, n’est pas très charitable par ces temps d’épidémie. Pour les autres actions, ce fut un déferlement à nul autre pareil, une débauche d’imagination plus ou moins pertinente, mais enfin l’essentiel était dans le geste, semble-t-il, histoire de s’étourdir. “

Effectivement nous avons été submergés pendant le confinement et après, de vidéos de soi-disant spectacles tournés en appartement avec un ou deux acteurs maximum ou de captations de réalisations présentées dans des jardins ou des cours intérieures dont l’entrée était gratuite. Bien entendu, rien de très intéressant là-dedans à quelques exceptions près comme ce cabaret monté par Léna Bréban devant l’E.P.H.A.D. de Chalon-sur-Saône (voir Le Théâtre du Blog). Comme si les compagnies tenaient absolument à combler le vide actuel et à montrer à leurs clients (pardon: à leur spectateurs!) qu’elles existaient bien encore et qu’il ne fallait surtout pas les oublier…

Ce numéro s‘ouvre sur un cin d’œil : un texte court mais étonnant d’Heiner Müller: Guerre des virus. C’était un projet de dernière scène de Germania 3-Les spectres du Mort Homme qui n’avait pas été retenu dans l’édition en 96 à l’Arche, un an après le décès de l’auteur et représenté au Portugal dans une mise en scène de Jean Jourdeuil. Le texte avait été publié en 2001 dans la revue Théâtre public: “Dieu n’est ni homme ni femme, c’est un virus.” Suit un article de Jean Lambert-wild, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Limoges, A la guerre comme à la guerre. Il rappelle cette célèbre et très belle phrase d’Héraclite:” Les hommes dans leur sommeil travaillent fraternellement au devenir du monde” et  souligne les bienfaits dune sieste d’une heure trente selon Winston Churchill. Jean Lambert-wild a une  réflexion lucide sur la guerre qui, dit-il, de par sa nature destructrice, peut nous convaincre que nous pouvons, pour un temps, faire l’impasse de notre conscience en brouillant généreusement les lois de tous et les devoirs de chacun. “

Nous ne pouvons citer tous les articles de ce riche numéro mais il y a une belle réflexion  sur la mise en espace/mise en scène de Thierry Besche, artiste assembleur de son, cofondateur et ancien directeur du Centre national de création musicale d’Albi. L’auteur analyse en particulier de façon très perspicace les rapports d’interdépendance entre son, lumière, image, texte et jeu des acteurs dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink, mise en scène de Julie Duclos et Sous d’autres cieux de Kevin Keiss d’après Virgile, mise en scène de Maëlle Poésy (voir Le Théâtre du Blog) . Signalons aussi un beau portfolio de photos et textes de Tristan Jeanne-Valès sur des hommes (tiens, aucune femme?) entre autres : Christophe Tarkos, Raoul Vaneignem, Marcle Hanoun, Jean-Jacques Lebel…

 Frictions . 27 rue Beaunier, 75014 Paris. frictions@revue-frictions.net T. : 01 45 43 48 95. Le n°: 15 €.
Les sommaires détaillés de tous les numéros parus sont consultables sur : www.revue.frictions.net

 

 Magie numérique Les arts trompeurs. Machines. Magie. Médias, sous la direction de Miguel Almiron, Sébastien Bazou et Guisy Pisano

03A708AF-9C0F-4B95-AA8B-A40A5108C814 Comme le relèvent dans l’introduction de cet ouvrage touffu mais passionnant écrit par une quinzaine de spécialistes, ceux qui l’ont remarquablement dirigé, accoler le terme: magie au mot numérique peut paraître étrange,  puisque le premier relève de l’illusion visuelle et l’autre de la technologie la plus récente. Mais pourtant l’introduction de ces nouveaux outils numériques a nettement influencé à la fois le processus de création  comme le résultat final. En fait, c’est l’accentuation des effets magiques et non le mode de création que l’on observe ici, la technologie, même sommaire d’autrefois (déjà au Moyen-Age avec des jeux de lumière) puis avec les merveilleux trucages de Georges Méliès, a toujours été partie liée avec l’art du magicien. Mais depuis une dizaine d’années que ce soit dans les spectacles de magie ou de théâtre pur, on a vu ces dispositifs se développer de façon radicale…

  Il y a maintenant un dialogue permanent entre magiciens et praticiens  travaillant dans le domaine du numérique qui a bouleversé la création des effets d’illusion,  que ce soit en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, avec des personnages ou des objets sur un plateau. On se souvient encore de l’effet-surprise que provoqua l’apparition d’un hologramme remplaçant Jean-Luc Mélenchon lors d’une tournée électorale…

Dans Maîtrise de la distance, ubiquité et jeux avec le cadre, André Lange retrace le parcours qui des effets d’optique grâce à un miroir ou à une loupe. Et cela ira du tableau défini par Alberti puis aux effets de cadrage chez  Vermeer à l’écran de ciné puis à celui de la télévision il y a presque un siècle, à celui  de l’ordinateur et à l’image ainsi créée et lancée sur grand écran scénique…  Le grand moteur originel étant bien la mise en perspective d’un lieu ou d’un bâtiment, ou comment on est passé d’un univers à deux dimensions à tout un autre espace. L’auteur dans cet article très fouillé met en valeur l’emploi du miroirs magiques capables de modifier en profondeur la notion de réalité. Il rappelle justement l’essai bien connu que Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa  reproductibilité, même s’il ne parle pas de la transmission des œuvres, ni de la radio ni de la télévision. Paul Valéry comme il le rappelle aussi avait-il sans doute mieux perçu l’importance de de la magie sonore puisqu’on pouvait déjà à son époque reproduire et conserver des sons. Ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité…  En fait c’est toute l’abolition de la distance  pour le son comme pour l’image qui va s’imposer rapidement. Avec comme autre conséquence de l’emploi des technologies numériques, la disparition de la contrainte de l’espace unique d’un écran  et l’échappée belle  du cadre, jusqu’aux images de synthèse diffuses par un casque. Ce qui est devenu monnaie courante  en quelques années. Et souligne l’auteur, les magiciens  ont vite compris tout l’intérêt qu’il pouvaient tirer des effets de réalité augmentée. Y compris en remettant au gout du jour l’effet de théâtre dans le théâtre ou de cinéma dans le le cinéma… un effet  qui remonte au XVI ème siècle! Le domaine chorégraphique semblant y échapper…Refrain connu: c’est (y compris en matière artistique) dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes. Cela dit, on peut se se demander -et c’est aussi une véritable question philosophique- jusqu’où ira ce développement technologique foudroyante.

Le très riche article qui suit L’Installation miroir comme mise en espace d’un entresort technologique signé Sophie Daste, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et de Karleen Groupierre, de l’Université Savoie Montblanc aborde de façon très technique la scénographie du dispositif miroir  qu’utilise bon nombre d’œuvres d’art actuelles avec des exemples très parlants d’effets d’illusion avec sonorisation spatiale. Les auteurs rappellent que le miroir, notamment en littérature: Lewis Carrroll, le sutio Disney, et plus récemment J.K. Rowling avec Harry Potter comme en art avec la galerie des Glaces, a toujours été un des éléments moteurs de l’illusion.

Roman Lalire, magicien et créateur d’images poétiques, parle très bien de l’association vidéo associée à la technologie. Il travaille avec des compagnies de théâtre pour créer une émotion magique. Grâce notamment à un outil comme l’iPod Touch qui lui permet de manipuler une image, de la grossir ou de la rétrécir. En fait l’auteur analyse très bien le rapport à l’image que nous avons tous avec ce que cela comporte de crédibilité, même si on sait très bien que c’est faux. Comme au théâtre, nous savons que l’assassinat auquel on assiste n’est pas réel mais nous avons envie d’y croire. Il nous souvient d’une de nos étudiantes que j’avais invitée à aller voir un Néron et qui s’est évanouie quand un flot de  sang a jailli du cou de Britannicus percé par le poignard de l’empereur…  

La magie  et la vidéo  donnent comme l’auteur le remarque,  la possibilité de passer très vite d’une réalité à une autre par plusieurs strates sans qu’on sache bien où on en est.  D’où une approche poétique quand on invente un tour de close up (magie de proximité) fondé sur la technologie. On ne peut citer tous les articles de ce vraiment très riche volume mais on retiendra celui très technique, de Chanhtthaboudtdy Somphour sur La Pensée magique des interfaces cerveau ordinateur: l’évolution de cette illusion dans l’art numérique. L’auteur  consacre une vingtaine de pages sur ces interfaces crées par l’art numérique à partir d’un casque. C’est un texte qui demande une certaine attention quand on ne fait partie de la paroisse électronique mais qui a le mérite d’ouvrir  un certain nombre de réflexions quand aux relations entre les ondes transmises par un cerveau humain  et la création d’une musique  comme chez Alvin Lucier.  Ou chez David Rosenbaum . ..
L’auteur commente très clairement l’instalation de Valéry Vermeulen qui propose à un spectateur de composer une performance son et  image grâce à ses émotions. Là il s’agit encore de “magie” mais à base d’interactivité virtuelle. Le tableau virtuel VAnité Interactive s’engage dit l’auteur dans une démarche proche de celle des vanités au XVII ème siècle. Avec une installation à base de crânes mettant en regard la vie et la mort sous un aspect artistique.
On va sans doute encore plus loin dans cette démarche, à laquelle Patrick Modiano l’écrivain de la mémoire personnelle ne serait sans doute pas insensible avec le travail de Fito Segrera qui propose de mettre en images les chutes d’attention qui symbolisent pour lui la perte d’un souvenir. Et grâce à des algorithmes, ces souvenirs sont ensuite rendus sous forme de fragments photographiques.

Ce livre de 240 pages est  parfois difficile d’accès et manque un peu d’illustrations mais quand même pas besoin d’être un spécialiste de la magie, il est à lire et à consulter. Et encore une fois tout à fait passionnant. Il ouvre la porte à un réflexion philosophique sur toutes les interactions possibles entre magie et art numérique, mais aussi sur la réalité virtuelle en général qui, il y a à peine une vingtaine d’années s’est vite invitée chez les créateurs d’illusion, voire dans notre quotidien. Et toutes les écoles d’art devraient mettre à la disposition de leurs élèves cet ouvrage passionnant.

 Philippe du Vignal

Editions Septentrion Collection arts du spectacle. 25 €.
 

  


Archive pour 25 août, 2020

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 Revue Frictions n° 32

 Covid ou pas covid, ce nouveau numéro est d’une aussi belle qualité picturale et textuelle que les précédents. Avec d’abord  un montage que n’aurait pas renié un graphiste comme Roman Cieslewicz et où on voit Mussolini le point droit levé, avec à l’arrière-plan, une photo de manifestation où une jeune femme brandit un carton avec ces seuls mots: Black lives matter. Juste en dessous de Benito Mussolini, un Donald Trump, le visage et les mains aussi jaunes que son visage crispé. Et visiblement très en colère, brandissant son poing droit. Et sur la page de gauche, la fameuse phrase de Bertolt Brecht en 1941: “Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.” Et illustrant l’éditorial de Jean-Pierre Han, un fragment de  la non moins fameuse fresque de Michel-Ange où un Dieu barbu  touche du doigt un homme nu mais qui, ici porte un masque anti coronavirus. Entre ces deux illustrations, une photo d’un troupeau de moutons en noir et blanc avec, en encadré, celle d’une tête de mouton écorchée et sanguinolente. Et sur la page de gauche, un court texte (1888) d’Octave Mirbeau, sur l’électeur “plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutonniers, qui nomme son boucher et choisit son bourgeois.”

En trois fortes images, tout est dit ou presque de la situation actuelle. Dans un remarquable édito, Jean-Pierre Han dénonce entre autres l’incontournable vidéo qui a tant sévi ces dernieres temps.  François Le Pilllouer, l’ancien directeur du Théâtre National de Bretagne, se méfiait terriblement ,  il y a déjà quelque trente ans, de celles que les compagnies lui envoyaient à l’appui d’une proposition de spectacle… Réalisées avec quelques extraits trop bien filmés et ne correspondant  jamais à la réalité, ou mal filmées donc finalement nuisibles au  développement du projet , dans un cas comme dans l’autre, ces vidéos ne reflétaient en rien l’exacte qualité de la proposition théâtrale. Pour Jean- Pierre Han, le “piège de la captation est un véritable révélateur de ce qui ne devrait jamais l’être, la mort saisissant le vif .” “Nous n’aurons jamais eu, ajoute le rédacteur en chef de Frictions, que des squelettes de spectacle, ce qui, au bout du compte, n’est pas très charitable par ces temps d’épidémie. Pour les autres actions, ce fut un déferlement à nul autre pareil, une débauche d’imagination plus ou moins pertinente, mais enfin l’essentiel était dans le geste, semble-t-il, histoire de s’étourdir. “

Effectivement nous avons été submergés pendant le confinement et après, de vidéos de soi-disant spectacles tournés en appartement avec un ou deux acteurs maximum ou de captations de réalisations présentées dans des jardins ou des cours intérieures dont l’entrée était gratuite. Bien entendu, rien de très intéressant là-dedans à quelques exceptions près comme ce cabaret monté par Léna Bréban devant l’E.P.H.A.D. de Chalon-sur-Saône (voir Le Théâtre du Blog). Comme si les compagnies tenaient absolument à combler le vide actuel et à montrer à leurs clients (pardon: à leur spectateurs!) qu’elles existaient bien encore et qu’il ne fallait surtout pas les oublier…

Ce numéro s‘ouvre sur un cin d’œil : un texte court mais étonnant d’Heiner Müller: Guerre des virus. C’était un projet de dernière scène de Germania 3-Les spectres du Mort Homme qui n’avait pas été retenu dans l’édition en 96 à l’Arche, un an après le décès de l’auteur et représenté au Portugal dans une mise en scène de Jean Jourdeuil. Le texte avait été publié en 2001 dans la revue Théâtre public: “Dieu n’est ni homme ni femme, c’est un virus.” Suit un article de Jean Lambert-wild, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Limoges, A la guerre comme à la guerre. Il rappelle cette célèbre et très belle phrase d’Héraclite:” Les hommes dans leur sommeil travaillent fraternellement au devenir du monde” et  souligne les bienfaits dune sieste d’une heure trente selon Winston Churchill. Jean Lambert-wild a une  réflexion lucide sur la guerre qui, dit-il, de par sa nature destructrice, peut nous convaincre que nous pouvons, pour un temps, faire l’impasse de notre conscience en brouillant généreusement les lois de tous et les devoirs de chacun. “

Nous ne pouvons citer tous les articles de ce riche numéro mais il y a une belle réflexion  sur la mise en espace/mise en scène de Thierry Besche, artiste assembleur de son, cofondateur et ancien directeur du Centre national de création musicale d’Albi. L’auteur analyse en particulier de façon très perspicace les rapports d’interdépendance entre son, lumière, image, texte et jeu des acteurs dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink, mise en scène de Julie Duclos et Sous d’autres cieux de Kevin Keiss d’après Virgile, mise en scène de Maëlle Poésy (voir Le Théâtre du Blog) . Signalons aussi un beau portfolio de photos et textes de Tristan Jeanne-Valès sur des hommes (tiens, aucune femme?) entre autres : Christophe Tarkos, Raoul Vaneignem, Marcle Hanoun, Jean-Jacques Lebel…

 Frictions . 27 rue Beaunier, 75014 Paris. frictions@revue-frictions.net T. : 01 45 43 48 95. Le n°: 15 €.
Les sommaires détaillés de tous les numéros parus sont consultables sur : www.revue.frictions.net

 

 Magie numérique Les arts trompeurs. Machines. Magie. Médias, sous la direction de Miguel Almiron, Sébastien Bazou et Guisy Pisano

03A708AF-9C0F-4B95-AA8B-A40A5108C814 Comme le relèvent dans l’introduction de cet ouvrage touffu mais passionnant écrit par une quinzaine de spécialistes, ceux qui l’ont remarquablement dirigé, accoler le terme: magie au mot numérique peut paraître étrange,  puisque le premier relève de l’illusion visuelle et l’autre de la technologie la plus récente. Mais pourtant l’introduction de ces nouveaux outils numériques a nettement influencé à la fois le processus de création  comme le résultat final. En fait, c’est l’accentuation des effets magiques et non le mode de création que l’on observe ici, la technologie, même sommaire d’autrefois (déjà au Moyen-Age avec des jeux de lumière) puis avec les merveilleux trucages de Georges Méliès, a toujours été partie liée avec l’art du magicien. Mais depuis une dizaine d’années que ce soit dans les spectacles de magie ou de théâtre pur, on a vu ces dispositifs se développer de façon radicale…

  Il y a maintenant un dialogue permanent entre magiciens et praticiens  travaillant dans le domaine du numérique qui a bouleversé la création des effets d’illusion,  que ce soit en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, avec des personnages ou des objets sur un plateau. On se souvient encore de l’effet-surprise que provoqua l’apparition d’un hologramme remplaçant Jean-Luc Mélenchon lors d’une tournée électorale…

Dans Maîtrise de la distance, ubiquité et jeux avec le cadre, André Lange retrace le parcours qui des effets d’optique grâce à un miroir ou à une loupe. Et cela ira du tableau défini par Alberti puis aux effets de cadrage chez  Vermeer à l’écran de ciné puis à celui de la télévision il y a presque un siècle, à celui  de l’ordinateur et à l’image ainsi créée et lancée sur grand écran scénique…  Le grand moteur originel étant bien la mise en perspective d’un lieu ou d’un bâtiment, ou comment on est passé d’un univers à deux dimensions à tout un autre espace. L’auteur dans cet article très fouillé met en valeur l’emploi du miroirs magiques capables de modifier en profondeur la notion de réalité. Il rappelle justement l’essai bien connu que Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa  reproductibilité, même s’il ne parle pas de la transmission des œuvres, ni de la radio ni de la télévision. Paul Valéry comme il le rappelle aussi avait-il sans doute mieux perçu l’importance de de la magie sonore puisqu’on pouvait déjà à son époque reproduire et conserver des sons. Ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité…  En fait c’est toute l’abolition de la distance  pour le son comme pour l’image qui va s’imposer rapidement. Avec comme autre conséquence de l’emploi des technologies numériques, la disparition de la contrainte de l’espace unique d’un écran  et l’échappée belle  du cadre, jusqu’aux images de synthèse diffuses par un casque. Ce qui est devenu monnaie courante  en quelques années. Et souligne l’auteur, les magiciens  ont vite compris tout l’intérêt qu’il pouvaient tirer des effets de réalité augmentée. Y compris en remettant au gout du jour l’effet de théâtre dans le théâtre ou de cinéma dans le le cinéma… un effet  qui remonte au XVI ème siècle! Le domaine chorégraphique semblant y échapper…Refrain connu: c’est (y compris en matière artistique) dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes. Cela dit, on peut se se demander -et c’est aussi une véritable question philosophique- jusqu’où ira ce développement technologique foudroyante.

Le très riche article qui suit L’Installation miroir comme mise en espace d’un entresort technologique signé Sophie Daste, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et de Karleen Groupierre, de l’Université Savoie Montblanc aborde de façon très technique la scénographie du dispositif miroir  qu’utilise bon nombre d’œuvres d’art actuelles avec des exemples très parlants d’effets d’illusion avec sonorisation spatiale. Les auteurs rappellent que le miroir, notamment en littérature: Lewis Carrroll, le sutio Disney, et plus récemment J.K. Rowling avec Harry Potter comme en art avec la galerie des Glaces, a toujours été un des éléments moteurs de l’illusion.

Roman Lalire, magicien et créateur d’images poétiques, parle très bien de l’association vidéo associée à la technologie. Il travaille avec des compagnies de théâtre pour créer une émotion magique. Grâce notamment à un outil comme l’iPod Touch qui lui permet de manipuler une image, de la grossir ou de la rétrécir. En fait l’auteur analyse très bien le rapport à l’image que nous avons tous avec ce que cela comporte de crédibilité, même si on sait très bien que c’est faux. Comme au théâtre, nous savons que l’assassinat auquel on assiste n’est pas réel mais nous avons envie d’y croire. Il nous souvient d’une de nos étudiantes que j’avais invitée à aller voir un Néron et qui s’est évanouie quand un flot de  sang a jailli du cou de Britannicus percé par le poignard de l’empereur…  

La magie  et la vidéo  donnent comme l’auteur le remarque,  la possibilité de passer très vite d’une réalité à une autre par plusieurs strates sans qu’on sache bien où on en est.  D’où une approche poétique quand on invente un tour de close up (magie de proximité) fondé sur la technologie. On ne peut citer tous les articles de ce vraiment très riche volume mais on retiendra celui très technique, de Chanhtthaboudtdy Somphour sur La Pensée magique des interfaces cerveau ordinateur: l’évolution de cette illusion dans l’art numérique. L’auteur  consacre une vingtaine de pages sur ces interfaces crées par l’art numérique à partir d’un casque. C’est un texte qui demande une certaine attention quand on ne fait partie de la paroisse électronique mais qui a le mérite d’ouvrir  un certain nombre de réflexions quand aux relations entre les ondes transmises par un cerveau humain  et la création d’une musique  comme chez Alvin Lucier.  Ou chez David Rosenbaum . ..
L’auteur commente très clairement l’instalation de Valéry Vermeulen qui propose à un spectateur de composer une performance son et  image grâce à ses émotions. Là il s’agit encore de “magie” mais à base d’interactivité virtuelle. Le tableau virtuel VAnité Interactive s’engage dit l’auteur dans une démarche proche de celle des vanités au XVII ème siècle. Avec une installation à base de crânes mettant en regard la vie et la mort sous un aspect artistique.
On va sans doute encore plus loin dans cette démarche, à laquelle Patrick Modiano l’écrivain de la mémoire personnelle ne serait sans doute pas insensible avec le travail de Fito Segrera qui propose de mettre en images les chutes d’attention qui symbolisent pour lui la perte d’un souvenir. Et grâce à des algorithmes, ces souvenirs sont ensuite rendus sous forme de fragments photographiques.

Ce livre de 240 pages est  parfois difficile d’accès et manque un peu d’illustrations mais quand même pas besoin d’être un spécialiste de la magie, il est à lire et à consulter. Et encore une fois tout à fait passionnant. Il ouvre la porte à un réflexion philosophique sur toutes les interactions possibles entre magie et art numérique, mais aussi sur la réalité virtuelle en général qui, il y a à peine une vingtaine d’années s’est vite invitée chez les créateurs d’illusion, voire dans notre quotidien. Et toutes les écoles d’art devraient mettre à la disposition de leurs élèves cet ouvrage passionnant.

 Philippe du Vignal

Editions Septentrion Collection arts du spectacle. 25 €.
 

  

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