Un festival à Villerville
Un Festival à Villerville, du 27 août au 30 août 2020.
Œuvrer son cri, écriture collective, mise en scène de Sacha Ribeiro par la compagnie Courir à la catastrophe.
Des artistes occupent leur lieu de travail : Le Garage, à Villerville, la salle même où le public est installé pour cette création. L’espace en question est fermé depuis maintenant quelques mois et sur le point d’être détruit. A travers cet acte de militantisme prononcé, tous mais chacun à sa manière, vont tenter de reconquérir collectivement et intimement leur force d’action. Le théâtre est là pour que poésie et humour se conjuguent dans cette parole inédite. La question de l’engagement politique dans la cité est ainsi posée : la troupe militante d’artistes – comédiens, scénographe, costumière et vidéaste – s’impose sur la scène, entrant sur le plateau en file indienne, portant bagages et accessoires.
Dans un premier temps, on les aura vus dans un film voué aux prises extérieures. Ils discutent entre eux, avant de surgir sur le plateau. Arthur Amard, Alicia Devidal, Marie Menechi, Simon Terrenoire, Alice Vannier, Camille Davy, Léa Emonet et Jules Boquet s’impliquent dans cette occupation illicite et s’ils réusssisent à investir le lieu pendant deux jours, il ne pourrait y avoir de délogement… Autant de détails que le spectateur saisit, grâce à la documentation: articles, photos et situations inédites rapportées, comme pour Nuit Debout ou bien l’occupation du Théâtre des Célestins à Lyon. Et certains artistes du collectif se sont fait forts de cette dernière expérience, intéressés politiquement, entre philosophie et sociologie.
Aussi décide-t-on une consultation citoyenne: les habitants de Villerville, l’adjoint à la culture, tous les citoyens et les bénévoles seront entendus. Les acteurs passent d’un rôle à l’autre, du statut d’artiste à celui de citoyen de ce village normand, voire commerçante, touriste québécoise fantasque ou bourgeoise étriquée. Certains enthousiastes, d’autres méfiants et peu conciliants : un miroir de notre société actuelle où chacun peut être replié sur lui-même ou au contraire, ouvert à l’autre. Un théâtre ! Quoi de plus engageant pour entendre et voir la vie qui va. Les questions sont posées avec un bel humour et un esprit constructif, chaque membre du collectif respectant l’autre, et partageant toute chose – accessoire et ustensile- voire un lit concédé à toute personne..
L’équipe de Courir à la catastrophe dont les émules pour ce projet sont Sacha Ribeiro et Alice Vannier. On avait pu déjà apprécier d’elle En réalités d’après La Misère du monde d’Emmanuel Bourdieu qui avait conquis le grand public. Ici, les acteurs jouent le jeu à fond, occupant l’espace, l’une peignant des slogans sur un mur, l’autre rangeant costumes et accessoires, un autre encore jouant de l’accordéon avant de faire une déclaration timide à celle qu’il aime. Jusqu’où peut-on se révolter ? Doit-on accepter les compromis et les moyens termes pour mieux construire ensemble une société meilleure, même si on réalise qu’on est quelque peu abusé ou bien trompé – encore et toujours ? Au moins, aura-t-on essayé, mais difficile de maintenir jusqu’au bout -nécessité économique oblige- des positions radicales et intransigeantes.
Cet inventif Œuvrer son cri respire la bonne humeur, en même temps qu’un esprit raisonneur légitime… Parler, échanger, que l’on soit artiste ou non, pour faire en sorte que les relations socio-politiques entre citoyens s’améliorent: tel est l’enjeu. Et maintenir d’abord la part de poésie qui réside en tout… Alice Vannier revêt ainsi atours et chapeau au voile blanc – un oreiller blanc ceint d’une étole transparente . Et il y a des jeunes femmes de la bonne société en villégiature sur la côte normande, figure qu’aurait pu peindre Eugène Boudin, à la fin du XIX ème siècle. Un spectacle rieur et malicieux, en phase avec les interrogations de notre temps.
Véronique Hotte
Spectacle joué au Garage à Villerville (Calvados) du 27 au 30 août.