Un festival à Villerville

Un festival à Villerville

 
La Septième édition de ce festival consacré au théâtre in situ et à la découverte de mises en scène par de jeunes compagnies signe le retour du théâtre, vital dans le climat instable que traverse la société et le monde du spectacle. Alain Desnot l’avait créé avec passion en 2014 et dirigé avec talent jusqu’en 2019. Cette année, c’est à Matéo Cichacki, jeune acteur et metteur en scène, qu’il passe le flambeau ! 

  

La programmation plus réduite vu les circonstances est variée et engageante : du répertoire classique au plus contemporain. Avec une nouveauté: des lectures de textes dramatiques inédits comme C’est moi Guy de Victor Inisan, Les très courtes étapes du deuil de Lucie Langlois et 55 jours de Théo Askolovitch. Le public ne cache pas son enthousiasme et va de surprise en surprise. La qualité et l’inventivité des mises en scène in situ sont au rendez-vous. De Molière avec  Don Juan, chef-d’œuvre absolu, en passant par Harold Pinter avec Le Monte-plats, un classique du théâtre contemporain, Black March de la jeune autrice Claire Barrabès, ou La Maladie de la famille M de Fausto Paravidino. Mais aussi Oeuvrer son cri, une écriture collective de la compagnie Courir à la catastrophe… La relève prise par Matéo Cichacki semble prendre un chemin prometteur, ouvert aux bruits du Monde. Et confirme en ces temps troubles, la nécessité de cet évènement artistique dans cet ancien et charmant village de pêcheurs. Un festival porteur de découvertes, de partage culturel et qui sait d’emplois futurs. 

Don Juan de Molière, mise en scène de Tigran Mekhitarian

« Don Juan ne respire plus dans le monde qui l’entoure (…) Il rêve de faire de sa vie l’aventure la plus magistrale(…) que cette terre est connue. Sganarelle son meilleur ami, va le suivre dans son aventure, espérant lui faire entendre raison pour éviter sa perte, quitte à le trahir ou le tuer. (…) Un voyage qui mènera Don Juan à son accomplissement ou à sa destruction », Tigran Mekhitarian 

Photo Sophie Quesnel

c. Sophie Quesnel

La pièce mythique et scandaleuse fut jouée pour la première fois le 15 février 1665. Elle a traversé les siècles et innombrables en sont les mises en scène. Assister à une création de ce monument de l’art théâtral, suscite une attente sans pardon du public. Tigran Mekhitarian, jeune metteur en scène d’origine arménienne, avait déjà monté Les Fourberies de Scapin, puis L’Avare avec succès. Mais Don Juan a une place singulière dans l’œuvre de Molière. Cette pièce exige beaucoup d’un metteur en scène quand il faut mettre en lumière toute la complexité du texte et rendre sa modernité, sensible à notre esprit du XXIème siècle !  Ce dernier point a été central dans l’adaptation de Tigran Mekhitarian: « Nous gardons le texte original de Molière mais nous ajoutons des créations personnelles afin d’ancrer le texte dans le présent ». Volonté théâtrale accomplie. Humour, naïveté et cruauté, perversité, énigmes sacrées ou plus profanes : amour, religion, statue du commandeur, rayonnent dans cette création. Pour réaliser ce désir éthique, (tenter de rendre Molière accessible à ceux qui pensent être exclus du théâtre classique, ou même du théâtre tout court !) et ce geste esthétique, Tigran Mekhitarian est allé puiser dans des oeuvres de la culture grand public. Ce geste souvent calamiteux dans les mises en scène contemporaines, est là mené de main de maître.  »Le Don Juan que j’ai imaginé est proche du personnage d’Olivier Queen dans la série Arrow, le point de départ de mon adaptation se situe autour de lui  (…) ». Ici, le sacré côtoie le rap: intéressante et belle idée! Tout comme les journaux télévisés en voix off, féminine, relatant les frasques de Don Juan. Les petites scènes ajoutées, entre autres l’épisode du jeu sont convaincantes, aucune lourdeur ni vulgarité. Ecrites cinq siècles plus tard, elles invitent Don Juan, Sganarelle, Elvire, Charlotte, Pierrot, et les autres dont la Statue du Commandeur, à prendre corps au sein de notre monde chaotique… Et cela fonctionne ! Tragique, commedia dell’arte, et comics se succèdent. Le rythme soutenu du spectacle, l’ éventail  culturel  (séries TV, BD, le Rap…), les costumes, créent,  juste ce qu’il faut, avec poésie et humanité, cet espace contemporain au sein de la pièce.  Mais ce n’est pas tout. Le spectacle commence déjà avant que le public n’accède au lieu dit : Le Garage, endroit de cette création. Un des personnages s’adresse au hasard aux spectateurs qui attendent le feu vert pour entrer. Et c’est sous l’œil de Sganarelle, assis sur un banc public, le visage dissimulé sous la capuche de son sweat gris, et au son de chants sacrés arméniens, sublimes, que nous allons gagner la salle. Au sol, quelques chandeliers et bougies: atmosphère solennelle et ecclésiastique. La grande simplicité de la mise en scène : l’espace nu, la bande-son et les chants, le texte porté par une diction juste et audible, offrent aussitôt une qualité dramatique à la représentation et retiennent l’attention du public… Violence, comique, solitude, joie, folie, tour à tour se manifestent et rencontrent avec profondeur et fougue, l’écriture du texte. 

Tigran Mekhitarian réussit à nous surprendre ! Il donne un air nouveau tout en finesse à l’œuvre, sans jamais la dénaturer ou l’appauvrir.  Comique, gravité mais aussi intensité du jeu des acteurs. Grâce à la subtilité de l’interprétation et du metteur en scène, l’action est concentrée dans un espace et un temps qui ne manquent pas de merveilleux et de noirceur. Fascinant Tigran Mekhitarian qui joue Don Juan avec un visage à la fois d’ange et de voyou beau gosse, Théo Askolovitch, touchant et jubilatoire Sganarelle, tout en finesse dans ses rapports avec son maître et ami. Tous les autres personnages sont joués par Marie Mahé et Éric Nantchouang: éblouissants  de sincérité et de grâce, et quand ils passent d’un personnage à l’autre. La fin aussi, ne manque pas d’audace.

Avec éclat, cette adaptation réussit à concilier l’ancien et le nouveau. Et revient à Molière et Don Juan,  Eternels ! 

Elisabeth Naud

Un festival à Villerville du  27 au 30 août. Réservation: contact@unfestivalavillerville.com et au :  06 71 62 21 57. Sur place au Garage, 10 rue du Général Leclerc, du 27 au 30 août de 10 h à 22 h.

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