Eclat-Centre national des arts de la rue et de l’espace public: Champ libre !
Eclat-Centre national des arts de la rue et de l’espace public: Champ libre !
Elevage par Les Animaux de la compagnie, codirection artistique et écriture de Xavier Nunez Lizama, mise en scène de Camille Lucas (tout public à partir de dix ans)
Les présentations: Eclat est le nom officiel du festival d’Aurillac, un nom que personne ne connait vraiment… Et Champ Libre! s’appelait auparavant Les Préalables: des petites formes jouées gratuitement d’habitude avant le festival dans les villages aux noms poétiques comme entre autres Maurs, Marcolès, Salers, Cassaniouze, Sansac-de-Marmiesse, Saint-Mamet-la Salvetat, Arpajon-sur-Cère… situés près de la capitale du Cantal et où on trouve parfois de bonnes choses. Cette année, corona virus oblige, le festival a été annulé et ce Champ libre! a lieu jusqu’au 28 août. Un spectacle théâtral dans les conditions sanitaires actuelles en France, c’est l’exception – comme on le sait tous les évènements ou presque ont été annulés- donc cela ne se refuse pas…
“Pour être sincère, dit Frédéric Rémy, le nouveau directeur du festival qui a succédé à Jean-Marie Songy, on n’a pas tergiversé longtemps. Bien sûr, on a posé un genou à terre et, bien sûr, il a fallu se relever. Mais assurément et aussi vite que possible, on est reparti de plus belle!” (…) “Sur les routes, les places et les jardins… dans les rues, les quartiers et les champs… Chez vous, chez nous, ou bien un peu plus loin… Champ libre! propose à chacun.e de retrouver la liberté d’aller et venir, de rejoindre des artistes, rencontrer l’autre, les autres, et faire vibrer cette vie culturelle si fondamentale à notre époque.”
En cette fin d’après-midi sur l’herbe du stade, à Jussac, un village au Nord-Ouest d’Aurillac, première création de cette compagnie franc-comtoise. Avec trois musiciens issus du Conservatoire de Lyon: un cabrettiste, un violoniste et un contrebassiste aux têtes de sanglier, loup, et cerf. Et avec deux acteurs: Sébastien Olivier et Mélina Prost.
Jacques, un agriculteur et de sa jeune femme qui ont vécu une tragédie: ils sont ruinés après que leur étable et leur troupeau sont partis en flammes. Arrive alors le frère de Jacques qu’on n’avait pas vu depuis longtemps. A Paris, il est devenu un présentateur de télé connu et il va proposer à son frère et à sa belle-sœur de les faire passer dans son émission pour les aider à trouver les moyens de reconstruire leur exploitation. Ils discutent sans fin autour d’une grande table où il y a un gros tas de farine et trois pommes, pour faire une tarte… La fable se terminera par un chant collectif et ensuite par un petit bal avec le public. “Un drame rural qui se joue dans les champs où l’on convoque la condition humaine et les musiques traditionnelles du Centre-France, dit le metteur en scène”.
Et cela donne quoi? D’abord les compliments: qualité des masques d’animaux conçus par Yvan Bougnoux, qualité aussi des musiques. Et excellentes diction et gestualité des interprètes surtout Mélina Prost. Et il y a quelques belles images… Mais il y a un mais et même plusieurs! Le texte est souvent indigent, pas crédible un instant avec un scénario sur un thème rebattu et ici mal traité: la vie très dure des exploitants agricoles victimes du capitalisme et des fabricants d’engrais chimiques, comme de la bétonisation à outrance des terres les plus fertiles et enfin du manque de soutien des gouvernements successifs… Mais ici, le texte part dans tous les sens! Bien bavard avec de longs monologues vaguement teintés de Bertolt Brecht et de Valère Novarina, et avec des répliques de théâtre de boulevard! Sans doute au second degré mais rejoignant vite le premier… Du genre: “Vous reprendrez bien une part de désert.” Ou : “La banquise, cela me laisse de glace.” Ah! Ah! Ah! … Surtout en plein air, cela tombe à plat. Et ce pauvre texte aux allures de mauvais essai d’élève de khâgne et de vague théâtre d’agit-prop, n’en finit pas de finir, alors qu’il dure seulement soixante dix-minutes…
Le théâtre, dit de rue ou de plein air, est fondé, comme celui de salle, sur des règles précises, entre autres: un excellent rapport scène/public. Ce qui n’était pas le cas sur ce stade avec des spectateurs assis sur l’herbe, plus ou moins éloignés les uns des autres, les uns masqués et les autres pas. Comprenne qui pourra… Alors qu’il y avait des gradins où on aurait pu loger les quelque deux cent personnes présentes, tout en observant les fameuses distanciations sociales. Ce qui aurait déjà amélioré un peu les choses.
Les bons moments sont ceux où les musiciens jouent sur une estrade placée devant un grand châssis qui, à la fin, s’abattra en découvrant un tracteur… Un effet imaginé par le grand Jean-Luc Lagarce mais ensuite copié jusqu’à plus soif et qu’on aurait pu nous épargner. Mais bon… soyons indulgents, c’est une première mise en scène! Ici, le plus grave défaut reste le manque de relation entre la musique des trois instrumentistes et le jeu des acteurs. Et le travail de mise en scène souffre d’un bien mauvais rapport espace-temps. Peut-être le spectacle, une fois retravaillé en profondeur, fonctionnerait-il mieux en salle que sur l’herbe verte d’un stade. Le plein air exige une sacrée maîtrise du jeu en plein air…
Alors, que faire après cette série de quatre premières représentations? D’abord resserrer au maximum le texte existant -quarante-cinq minutes suffiraient amplement- et lui donner enfin une véritable crédibilité. Recitons, encore et toujours, Alfred Hitchkock: “Un bon film, c’est premièrement un bon scénario, deuxièmement, un bon scénario et troisièmement, un bon scénario.”
Il faudrait aussi revoir la mise en scène, avec cette fois un rythme et une progression efficaces. Désolé, ici, on est encore loin du compte! Franc-Comtois, encore un effort, et même un gros effort, comme aurait dit ou presque le marquis de Sade et demandez conseil à Hervée de Lafond et Jacques Livchine, co-directeurs du Théâtre de l’Unité et grands maîtres ès théâtre de rue et de tréteaux…En matière de gestion de temps et d’espace, ils ont acquis une expérience incomparable. Ce qui fait la force de leur dernier spectacle, La Nuit unique, créé il y a deux ans au festival d’Aurillac (voir Le Théâtre du Blog). Il dure effectivement toute une nuit avec un douzaine de comédiens-chanteurs, chaque spectateur étant installé dans un lit ou un gros fauteuil. C’est une petite merveille d’intelligence scénique, qu’il soit joué en plein air comme dernièrement à Pornichet, ou dans une salle…
Bien entendu, nous vous rendrons compte dans la mesure du possible des prochaines créations de Champ libre!
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 16 août, à Jussac (Cantal).
éclat@aurillac.net. T.: 04 71 43 43 70.