Etat général 1 : Protocole artistique porté par un collectif de six femmes artistes

© HeleneHarder 18

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Etat général 1 : Protocole artistique porté par un collectif de six femmes artistes

Pendant le confinement, on a parfois subi, sur les réseaux sociaux, des créations d’artistes soucieux de manifester leur empathie et leurs talents inemployés mais aussi… leur présomption à nous manquer. Saluons la démarche de ce collectif resté au travail, en retrait, avec l’envie de refléter et prolonger ce qui était vécu, non pour en faire un spectacle, mais pour offrir au public une rencontre décalée, inhabituelle, et inventer avec lui des outils pour interroger ce que veut dire : « faire lien ».

 Ces femmes artistes ne se prennent ni pour des sociologues ni pour des philosophes, elles ont plutôt mis en commun leur envie de prendre le temps et d’interroger la situation, ce confinement permettant de s’abstraire de l’efficacité et de la rentabilité. Ce qui, à distance dans un premier temps, a abouti à une cooptation qui a stabilisé le groupe autour de Catherine Boscowitz, Adèle Gascuel, Fanny Gayard, Catherine Hargreaves, Perrine Mornay et Lucie Nicolas, en collaboration avec Fanny de Chaillé. Elles ont proposé à la MC 93 d’entrer dans le jeu, dans tous les sens du terme : en apportant la production de cette création artistique et en essuyant les plâtres de ce protocole artistique qu’elles comptent bien proposer ailleurs. Avant cela, le Collectif 12 de Mantes-la-Jolie, le T.U. de Nantes, le T.N.G. de Lyon, l’E.CA.M.  du Kremlin-Bicêtre, les Scènes Nationales de Brive/Tulle et de Chambéry leur ont offert d’accueillir des séquences préparatoires.

 De cette mise en commun, est né un jeu d’écritures transposé en jeu de pistes, pour une soixantaine de participants. En introduction, le collectif proposait une étonnante métaphore de l’anthropologue Anna Tsing de l’Université de Stanford : dans ses travaux sur les possibilités de vie dans les ruines du capitalisme, elle décrit les stratégies biologiques du fameux champignon japonais matsutake qui apparaît dans des paysages ruinés par l’activité humaine. Souvent souterrain, son comportement est collaboratif et  extensif.  Anna Tsing va plus loin et compare le cueilleur de champignons européen, fier de sa liberté et solitaire dans la forêt,  à un travailleur précaire, ubérisé et sans contrat de travail.   A partir de ces images, nous étions invités à explorer le « théâtre-forêt », soit les entrailles de la MC93 (salles de travail, couloirs, locaux techniques). Accueillis en petits groupes aléatoires, nous avons traversé des questionnements propres à l’«état général» de chacun,  personnel, professionnel, collectif… A chacun de suivre les consignes qu’il découvrait dans une enveloppe remise à l’accueil. Selon un chronométrage éliminant ainsi bavardages et digressions, nous avons été soumis à des exercices d’invention selon plusieurs thèmes pré-établis :   »organiser le campement », « sortir des sentiers battus », « habiter le temps », « chérir le précieux »….  Rien qui relève de la réflexion existentielle mais une invitation ferme à interroger le sens des mots, à sortir du cadre, à formuler une poésie du quotidien…

Nous étions invités à manifester par des jeux impromptus, par l’invention de récits, dans le plaisir du partage, tout ce qui ne se laisse pas traquer par des logiques de rentabilité. Ce protocole joyeux et collaboratif nous entraînait en douceur sur la piste d’une réflexion plus largement politique : que souhaiterions-nous  faire des liens qui nous unissent ? Quelles histoires n’ont-elles pas encore été racontées ? S’habitue-t-on à vivre dans des ruines ?

 Cette après-midi de septembre, on a manifestement tourné le dos à des Etats Généraux de la Culture qui ont prouvé à maintes occasions la dispersion gazeuse de la parole politique. Le collectif, avec cet « Etat Général », singulier mais duplicable, offre une vraie perspective de pensée sur ce qu’on peut inventer avec peu de moyens dans ces grosses machines culturelles, en imaginant d’autres perspectives à ces institutions subventionnées, et plus largement, en examinant l’importance du service public dans nos vies. Invitées à prendre la parole en fin de parcours, des personnalités issues de divers secteurs publics se sont exprimées : psychologue clinicienne, professeur des écoles, médecin du travail, fonctionnaire départementale… Leur présence et leur motivation professionnelle étaient réconfortantes mais l’amertume se faisait souvent jour quant aux désengagements successifs de l’Etat.  Ce soir-là, un appel à la vigilance s’élevait en phase avec les convictions du Collectif comme avec le travail très militant de la directrice Hortense Archambault et de son équipe, auprès de la population de Seine-Saint-Denis.

Pour autant on aurait apprécié qu’il y ait des voix discordantes, ou moins informées qui auraient donné davantage la mesure de l’éclatement du corps social et des pulsions contradictoires qui l’habitent. Derrière la grande paroi vitrée de la MC 93 , en ce dimanche ensoleillé, on voyait nombre de familles en promenade, des femmes voilées, des  jeunes en rodéo sur la roue arrière de leurs pétaradantes motos… Il reste encore du chemin à parcourir pour que ces moments de joyeuse poésie impromptue soient partagés au-delà d’un cercle de passionnés. « Sortir du cadre » n’est pas si facile…

 Marie-Agnès Sevestre

 Etat Général 1 vu le  5 septembre à la MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

 Etat Général 2,  le 30 septembre, Comédie de Caen, 1 square du Théâtre, Hérouville-Saint-Clair ( Calvados). Horaire et lieu de rendez-vous sur le site de la Comédie de Caen.

 

 

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