INDISPENSABLE ! Soirée partagée du 8 septembre

INDISPENSABLE ! Soirée partagée du 8 septembre

 

Le Printemps de la Danse arabe et June Events, deux évènements majeurs de la danse contemporaine à Paris, ont été annulés avant l’été. La danse a été d’autant plus touchée par l’épidémie qu’elle s’est fortement métissée, internationalisée depuis quelque vingt ans et nombreux sont les  danseurs étrangers qui n’ont pas pu rejoindre les répétitions. Pour renouer avec la création et le public, les deux évènements ont donc choisi de réunir ce qui pouvait être sauvé de leurs programmations respectives avec ce programme  joyeusement nommé INDISPENSABLE !

Photo X

Photo Patrick Berger/Ateliers de Paris

 En ouverture, à la Cartoucherie de Vincennes, Danya Hammoud avec Sérénités était son titre puis Nacera Belaza avec L’Onde. La chorégraphe libanaise n’a pas renoncé à son projet, d’abord intitulé Sérénités mais, bouleversée par l’explosion de Beyrouth qui a chamboulé la vie d’une de ses danseuses, elle a choisi de décaler son travail en laissant apparaître la cicatrice laissée par l’absence de Ghita Hachido. En scène avec son autre interprète, Yasmine Youcef, sur un plateau nu et sous un plein feu, signes d’un travail en cours, elle retrace par le verbe mais aussi par le corps, le chemin que devait emprunter ce spectacle. Deux années de travail dont on suit le vocabulaire corporel : le bassin, lieu de fertilité du corps, de survie aussi ; l’avancée, une main ouverte, une main en poing fermé ; le cri muet qui s’éternise. La métaphore qu’elle utilisait lors des répétitions à Uzès (se mettre/se remettre debout) semble prendre une couleur plus tragique et plus déterminante aujourd’hui…

Avec un engagement intense qu’on sent à la fois pensé et inconditionnel, avec la foi dans la solidité de sa relation à Yasmine, et dans le dénuement avoué d’un manque total de perspective sur le devenir de sa pièce, Danya Hammoud nous a tenus au creux de sa voix. Nous avons fait avec elles cette traversée, cette migration qu’elles évoquent, nous avons entendu le murmure des oiseaux et vu la présence des animaux, nous avons fait en imagination la procession de sortie de scène et questionné en nous-mêmes : le temps est-il danse ? Mais alors d’où surgit-elle ? Des fissures de la vie ?

Danya Hammoud devait créer cette pièce au Printemps de la danse arabe puis la jouer aux festivals d’Uzès et Montpellier : autant de rendez-vous manqués… L’avenir de ce travail est donc encore incertain. En reprendre la forme initiale? Garder un décalage puisqu’une expérience pareille ne peut que recomposer sa structure narrative ? Sans présager du devenir de la pièce, Danya Hammoud et Yasmine Youcef ont tenu à ouvrir pour nous leurs carnets de travail. Nous avons senti l’économie de leurs mots et de leurs gestes et leur tristesse tenue à distance. Elles nous ont ainsi transmis la trame sensorielle, l’architecture sensible du projet.

L ONDE (Nacera Belaza 2020)

Photo Patrick Berger/Ateliers de Paris

Elle est seule, puis elles seront trois et enfin cinq, les pieds campés dans un espace réduit, le haut du corps s’agitant par vagues, les bras levés au ciel. Ces figures tournoyantes, on le devine, exploreront indéfiniment la même gestuelle. Nacera Belaza, grâce à cette intensité dans la répétition, anime l’espace autour d’elle et de ses figures. Volonté de disparaître dans un maelström musical ? A l’intérieur d’un seul mouvement, combinant une extrême fixité au sol avec une grande volubilité aérienne, elle a renoncé pour toujours au récit. D’ailleurs on n’attend plus rien.

On imagine bien que ce interprètes sont à l’intérieur d’un monde qui leur appartient, et que, grâce à ce mouvement qui n’a ni début ni fin, elles atteindront une forme de conscience ou peut-être un vide en soi. Peut-être aussi font-elles le lien entre le visible, avec parfois quelques pâles éclats de lumière sur une main et l’invisible : le Temps ? l’Infini ?

Pièce après pièce, l’expérience chaque fois renouvelée, laisse perplexe : l’intensité de la répétition est source de liberté et peut-être de joie intérieure comme dans certaines pratiques soufies. Quant à la radicalité imposée par la chorégraphe, elle séduit mais peut  lasser… Des variations, dues à des ruptures musicales, entraînent un changement de composition dans le groupe. Tournoyante, tout autant que fixe, la danse avance alors vers quelque nirvana.

Cette recherche absolue de la disparition du moi, ne s’accommode d’aucun compromis avec l’espace qui l’entoure -il est pure conscience- ni d’aucune volonté de séduction. Les corps, exclus de la jouissance, sont assignés à la conquête d’un moi intérieur, soutenus par les pulsations démentes d’une musique rituelle. Nacera Belaza avance sur son chemin et le message est clair : le public reste à sa place,  témoin d’une expérience…. Le travail de création se poursuivra encore trois semaines. Il faudra revoir la pièce aboutie, dans trois semaines pour sa création au festival de Marseille les 29 et 30 octobre.

 Cette soirée très féminine à la Cartoucherie de Vincennes, réchauffée par un soleil de fin d’été, a redonné de l’élan à la saison chorégraphique stoppée net en mars. L’engagement de ces festivals à coopérer prouve que, dans l’intérêt des artistes, les institutions peuvent conjuguer solidarité et risque de la création. Et offrir aux artistes arrêtés dans leurs recherches la possibilité de reprendre le fil de leur travail. Une belle initiative, à saluer.

 Marie-Agnès Sevestre

 Festival INDISPENSABLE !

jeudi 10 septembre :
19h30 : Thomas Hauert If only à l’Atelier de Paris.

20h : Noé Soulier Passages à la Conciergerie, 2 boulevard du Palais, Paris (V ème).

21h : Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre Glitch au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes.

vendredi 11 septembre :

19h30 : Ondine Cloez Vacances vacance à l’Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes.
 21h : Ayelen Parolin WEG au Théâtre de l’Aquarium.

 vendredi 11 et samedi 12 septembre :
 18h30 : Romain Bertet Underground au Parc Floral, route de la Pyramide, Bois de Vincennes.

 samedi 12 septembre ;

19h30 : Liz Santoro et Pierre Godard Tempéraments à l’Atelier de Paris

20h15 : Lotus Eddé-Khouri et Ch. Macé BAKSTRIT en plein air à la Cartoucherie de Vincennes.

21h : Carolyn Carlson Prologue & The Seventh man au Théâtre de l’Aquarium.

 dimanche 13 septembre :

14h30 : Ondine Cloez L’Art de conserver la santé, Jardin de l’Ecole du Breuil, route de la Pyramide, Bois de Vincennes.

15h : Gaëlle Bourges & Alice Roland Botanique des ruines, Jardin d’Agronomie tropicale, Bois de Vincennes.

18h30 : Filipe Lourenço Gouâl en plein air à la Cartoucherie de Vincennes.

 

 

 

 


Archive pour 9 septembre, 2020

Tous Azimuts à Dijon

Tous Azimuts à Dijon

 Ces Messieurs sérieux, Idem Collectif, Les Écorchés, les Encombrants et ARMO : ces compagnies dijonnaises se sont fédérées et ont choisi de faire leur rentrée ensemble après un long confinement. Le Jardin botanique de L’Arquebuse leur  a semblé être le lieu idéal pour ces trois jours de rencontres en plein air, avec un programme original. La Ville, qui consacre 25% de son budget à la Culture, leur a largement ouvert ce vaste parc municipal et a subventionné la manifestation. Les artistes ont mutualisé leur savoir-faire et leur matériel, mus par « le désir de créer en commun et de manière solidaire un événement où la diversité peut exister. En affirmant que leurs différences sont une force qui les unit. »

 Derrière le Muséum d’histoire naturelle et le Planétarium, dans les allées fleuries et sous les arbres centenaires, les promeneurs et les amateurs de théâtre ont pu, l’après-midi, assister à des répétitions, impromptus, chantiers de création… et  parler avec les artistes à la buvette ou autour d’une assiette bio. Le soir venu, on  était invité à une déambulation vers des espaces de jeu pour assister à de courts travaux:  les compagnies ne souhaitaient pas livrer des créations finies mais des formes ouvertes adaptées au lieu et aux circonstances…

 Des Etats Généraux sont venus compléter cette démarche généreuse, sous forme de tables rondes. Tous Azimuts rejoint ainsi le faisceau de démarches qui interrogent l’art et la Culture en ces temps de crise, comme ce même jour à la MC 93 de Bobigny et, en juillet, au Théâtre des Ilets de Montluçon (http://theatredublog.unblog.fr/2020/06/02/l). Les professionnels du spectacle  doivent en effet se poser les bonnes questions, sans attendre que les réponses tombent du ciel…

 Au détour de la roseraie, Antoine Lenoble à la batterie appelle à une répétition de Je suis Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, une pièce qui sera prochainement créée par la compagnie des Écorchés. Julien Barbazin dirige Benjamin Mba : c’est leur cinquième jour de travail et ils peaufinent les détails pour trouver les transitions entre le personnage de Mohamed Ali et  son interprète : un double jeu pour un seul acteur qui se projette dans la figure du boxeur… Ce travail de décryptage nous fait entrer dans la chair textuelle de l’auteur congolais, son style percutant et ses envolées lyriques, appuyés par le rythme de la batterie… Un vrai défi.

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Dansons sur nos Malheur en répétition © Mireille Davidovici

 Plus loin, Jérôme Thomas, le directeur d’ARMO : Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets, établi à Dijon et reconnu compagnie à rayonnement national et international par le  Ministère de la Culture. Le maître-jongleur répète Dansons sur le malheur : «Un ballet pour deux jongleuses et des œufs… Des œufs pour symboliser notre planète sensible.» Gaëlle Cathelineau et Elena Carretero, légères et gracieuses, tournent et virent, dansent presque en déséquilibre. Jeux malicieux de mains gantées, jonglerie et escamotages de balles rondes ou ovoïdes.  “Marcher sur des œufs“, métaphore de l’urgence climatique,  demande une belle dextérité. La pièce, prometteuse verra le jour l’hiver prochain…

 Dans le fond du jardin, Ces Messieurs sérieux, une troupe dirigée par Renaud Diligent, a entamé les répétitions de La Vie des gens -le nom de cette compagnie rend hommage aux personnages du spectacle La Classe morte (1975), dessinés par son auteur et créateur Tadeusz Kantor- avec Sébastien Chabane, Nicolas Cartier et Anne-Gaelle Jourdain. Après La Ballade du tueur de conifères de Rebekka Kricheldorf  et  Dimanche napalm  du Québécois Sébastien David, le metteur en scène a adapté Enquête sur la vie des gens d’Hervé Blutsch en pièce radiophonique. Trois acteurs déjantés se livrent à des activités bizarres tout en assurant des reportages granguignolesques depuis un studio d’enregistrement de fortune… On reconnaît ici la pâte d’Hervé Blutsch dans cette recherche pour une prochaine création

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Déambulation nocturne © Fabio Falzone

 La déambulation du soir rassemble les projets de cinq compagnies dont nous avons vu certaines répétant entre autres Dansons sur le malheur et La Vie des gens. Un cortège de spectateurs, encordés à un mètre de distance, traverse le parc, accueilli et guidé par Les Encombrants.  Étienne Grebot, en majordome autoritaire et caustique, à la tête de sa troupe, entend « rompre les frontières entre rue et salle, classique et contemporain » et pour cet événement, fait de gentils pieds de nez aux règles sanitaires, détourne le message du gouvernement en un chapelet de contrepèteries savoureuses.

Les acteurs s’adressent au public masqué et ponctuent le trajet d’extraits du provocant Discours à la Nation d’Ascanio Celestini. Un pamphlet caustique qui dénonce par l’absurde les aberrations de nos démocraties. Drôle et efficace, il s’en prend à tout un chacun et résonne opportunément en ces temps crise : « Vous voulez être différents ? Mais vous vous trompez. Mais vous les lisez les journaux ? Vous regardez la télé ? Tout le monde dit la même chose. Et celui qui dit un truc différent, celui qui s’occupe d’autre chose, disparaît. » (…) « Et puis je vous vois immobile derrière votre fenêtre fermée.. Nous sommes pareils. Déprimés et apeurés. (…) »

 Dans La Jongle des Mots, d’après l’œuvre de Christophe Tarkos, conception et mise en scène d’Aline Reviriaud, apporte un peu de poésie  à ce climat moqueur. « Je suis un poète qui défend la langue française. Contre sa dégénérescence. Je suis un poète qui sauve sa langue, en la faisant travailler, en la faisant vivre, en la faisant bouger. » disait Christophe Tarkos (1963-2004). Tenant de la poésie orale, l’écrivain marseillais trafiquait la langue et la détournait lors de performances mémorables. Sa critique de la belle prose prend la forme d’une « mastication verbale » et il développe le  concept de «  pâte-mot » : pour lui, un mot tout  seul, ça ne veut rien dire : ils naissent collés dans sa bouche… Et sortent drolatiques et impertinents. 

Aline Reviriaud a mis en scène son spectacle avec la complicité de Jérôme Thomas. En clown rêveur et  jongleur d’objets insolites il se fait acrobate pour répondre à l’acrobatie des mots qu’elle a choisis et qu’elle dits… Sous le regard interrogateur, « métaphysique », d’une petit chien savant, doux et malléable comme une peluche prénommé Socquette. Ce spectacle d’Idem Collectif, compagnie engagée sur des formes contemporaines croisant littérature, théâtre et danse, est conçu pour des bibliothèques, halls de théâtre, rue, dans l’esprit de Christophe Tarkos. Il devrait continuer à être joué en tournée.

 Enfin, Les Écorchés, dont nous avons vu les répétitions de Je suis Mohamed Ali l’après midi, nous offre une remarquable Nuit juste avant les forêts. Sous un glauque éclairage urbain, aux confins du parc, Julien Jobert balance d’un seul souffle le texte de Bernard-Marie Koltès. Sans autre appui de jeu que la  batterie lointaine d’Antoine Lenoble, comme un cœur qui s’emballe dans l’angoisse d’une nuit de pluie.

Malgré le froid qui est tombé, il nous entraîne dans une quête éperdue d’amour. Cet inconnu à la recherche d’une chambre ou d’autre chose, essaye de retenir un homme qui passe. Solitude face à une autre solitude, dans ce quartier où rôdent des « chasseurs de rats » ou de pédés, dans ces bars interlopes et dangereux. La Nuit juste avant les forêts est un blues urbain mais aussi une quête d’un coin d’herbe sous les arbres, pour respirer. Cette parole essoufflée s’adresse à nous derrière nos masques,  et nous dit tous les étouffements d’aujourd’hui, policiers, viraux, mentaux… Belle conclusion pour cette journée particulière.

 Tous Azimuts  est une réussite et on peut espérer avec ses organisateurs qu’il y aura une prochaine édition. Nous avons ce jour-là fait connaissance d’artistes engagés sur leur territoire et réunis pour changer leurs pratiques et présenter d’autres formes de dialogue avec le public. Et pour aussi, ne plus jouer la concurrence entre compagnies locales mais la complémentarité. Sans doute est-ce le prix à payer pour que le spectacle actuel trouve enfin un nouveau souffle.

 Mireille Davidovici

 Dijon le 5 septembre

 Dansons sur la malheur du 1er au 5 février tournée en Côte-d’Or avec Côté Cour; les 23 et 24 mars Cirque Jules Verne, Pôle National cirque et arts de la rue, Amiens ( Somme) ; le 14 avril, La Minoterie Dijon (Côte-d’Or) et le  14 mai Festival Cluny Danse.

 

 

 

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