INDISPENSABLE ! Soirée partagée du 8 septembre
INDISPENSABLE ! Soirée partagée du 8 septembre
Le Printemps de la Danse arabe et June Events, deux évènements majeurs de la danse contemporaine à Paris, ont été annulés avant l’été. La danse a été d’autant plus touchée par l’épidémie qu’elle s’est fortement métissée, internationalisée depuis quelque vingt ans et nombreux sont les danseurs étrangers qui n’ont pas pu rejoindre les répétitions. Pour renouer avec la création et le public, les deux évènements ont donc choisi de réunir ce qui pouvait être sauvé de leurs programmations respectives avec ce programme joyeusement nommé INDISPENSABLE !
En ouverture, à la Cartoucherie de Vincennes, Danya Hammoud avec Sérénités était son titre puis Nacera Belaza avec L’Onde. La chorégraphe libanaise n’a pas renoncé à son projet, d’abord intitulé Sérénités mais, bouleversée par l’explosion de Beyrouth qui a chamboulé la vie d’une de ses danseuses, elle a choisi de décaler son travail en laissant apparaître la cicatrice laissée par l’absence de Ghita Hachido. En scène avec son autre interprète, Yasmine Youcef, sur un plateau nu et sous un plein feu, signes d’un travail en cours, elle retrace par le verbe mais aussi par le corps, le chemin que devait emprunter ce spectacle. Deux années de travail dont on suit le vocabulaire corporel : le bassin, lieu de fertilité du corps, de survie aussi ; l’avancée, une main ouverte, une main en poing fermé ; le cri muet qui s’éternise. La métaphore qu’elle utilisait lors des répétitions à Uzès (se mettre/se remettre debout) semble prendre une couleur plus tragique et plus déterminante aujourd’hui…
Avec un engagement intense qu’on sent à la fois pensé et inconditionnel, avec la foi dans la solidité de sa relation à Yasmine, et dans le dénuement avoué d’un manque total de perspective sur le devenir de sa pièce, Danya Hammoud nous a tenus au creux de sa voix. Nous avons fait avec elles cette traversée, cette migration qu’elles évoquent, nous avons entendu le murmure des oiseaux et vu la présence des animaux, nous avons fait en imagination la procession de sortie de scène et questionné en nous-mêmes : le temps est-il danse ? Mais alors d’où surgit-elle ? Des fissures de la vie ?
Danya Hammoud devait créer cette pièce au Printemps de la danse arabe puis la jouer aux festivals d’Uzès et Montpellier : autant de rendez-vous manqués… L’avenir de ce travail est donc encore incertain. En reprendre la forme initiale? Garder un décalage puisqu’une expérience pareille ne peut que recomposer sa structure narrative ? Sans présager du devenir de la pièce, Danya Hammoud et Yasmine Youcef ont tenu à ouvrir pour nous leurs carnets de travail. Nous avons senti l’économie de leurs mots et de leurs gestes et leur tristesse tenue à distance. Elles nous ont ainsi transmis la trame sensorielle, l’architecture sensible du projet.
Elle est seule, puis elles seront trois et enfin cinq, les pieds campés dans un espace réduit, le haut du corps s’agitant par vagues, les bras levés au ciel. Ces figures tournoyantes, on le devine, exploreront indéfiniment la même gestuelle. Nacera Belaza, grâce à cette intensité dans la répétition, anime l’espace autour d’elle et de ses figures. Volonté de disparaître dans un maelström musical ? A l’intérieur d’un seul mouvement, combinant une extrême fixité au sol avec une grande volubilité aérienne, elle a renoncé pour toujours au récit. D’ailleurs on n’attend plus rien.
On imagine bien que ce interprètes sont à l’intérieur d’un monde qui leur appartient, et que, grâce à ce mouvement qui n’a ni début ni fin, elles atteindront une forme de conscience ou peut-être un vide en soi. Peut-être aussi font-elles le lien entre le visible, avec parfois quelques pâles éclats de lumière sur une main et l’invisible : le Temps ? l’Infini ?
Pièce après pièce, l’expérience chaque fois renouvelée, laisse perplexe : l’intensité de la répétition est source de liberté et peut-être de joie intérieure comme dans certaines pratiques soufies. Quant à la radicalité imposée par la chorégraphe, elle séduit mais peut lasser… Des variations, dues à des ruptures musicales, entraînent un changement de composition dans le groupe. Tournoyante, tout autant que fixe, la danse avance alors vers quelque nirvana.
Cette recherche absolue de la disparition du moi, ne s’accommode d’aucun compromis avec l’espace qui l’entoure -il est pure conscience- ni d’aucune volonté de séduction. Les corps, exclus de la jouissance, sont assignés à la conquête d’un moi intérieur, soutenus par les pulsations démentes d’une musique rituelle. Nacera Belaza avance sur son chemin et le message est clair : le public reste à sa place, témoin d’une expérience…. Le travail de création se poursuivra encore trois semaines. Il faudra revoir la pièce aboutie, dans trois semaines pour sa création au festival de Marseille les 29 et 30 octobre.
Cette soirée très féminine à la Cartoucherie de Vincennes, réchauffée par un soleil de fin d’été, a redonné de l’élan à la saison chorégraphique stoppée net en mars. L’engagement de ces festivals à coopérer prouve que, dans l’intérêt des artistes, les institutions peuvent conjuguer solidarité et risque de la création. Et offrir aux artistes arrêtés dans leurs recherches la possibilité de reprendre le fil de leur travail. Une belle initiative, à saluer.
Marie-Agnès Sevestre
Festival INDISPENSABLE !
jeudi 10 septembre :
19h30 : Thomas Hauert If only à l’Atelier de Paris.
20h : Noé Soulier Passages à la Conciergerie, 2 boulevard du Palais, Paris (V ème).
21h : Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre Glitch au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes.
vendredi 11 septembre :
19h30 : Ondine Cloez Vacances vacance à l’Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes.
21h : Ayelen Parolin WEG au Théâtre de l’Aquarium.
vendredi 11 et samedi 12 septembre :
18h30 : Romain Bertet Underground au Parc Floral, route de la Pyramide, Bois de Vincennes.
samedi 12 septembre ;
19h30 : Liz Santoro et Pierre Godard Tempéraments à l’Atelier de Paris
20h15 : Lotus Eddé-Khouri et Ch. Macé BAKSTRIT en plein air à la Cartoucherie de Vincennes.
21h : Carolyn Carlson Prologue & The Seventh man au Théâtre de l’Aquarium.
dimanche 13 septembre :
14h30 : Ondine Cloez L’Art de conserver la santé, Jardin de l’Ecole du Breuil, route de la Pyramide, Bois de Vincennes.
15h : Gaëlle Bourges & Alice Roland Botanique des ruines, Jardin d’Agronomie tropicale, Bois de Vincennes.
18h30 : Filipe Lourenço Gouâl en plein air à la Cartoucherie de Vincennes.