Tous Azimuts à Dijon

Tous Azimuts à Dijon

 Ces Messieurs sérieux, Idem Collectif, Les Écorchés, les Encombrants et ARMO : ces compagnies dijonnaises se sont fédérées et ont choisi de faire leur rentrée ensemble après un long confinement. Le Jardin botanique de L’Arquebuse leur  a semblé être le lieu idéal pour ces trois jours de rencontres en plein air, avec un programme original. La Ville, qui consacre 25% de son budget à la Culture, leur a largement ouvert ce vaste parc municipal et a subventionné la manifestation. Les artistes ont mutualisé leur savoir-faire et leur matériel, mus par « le désir de créer en commun et de manière solidaire un événement où la diversité peut exister. En affirmant que leurs différences sont une force qui les unit. »

 Derrière le Muséum d’histoire naturelle et le Planétarium, dans les allées fleuries et sous les arbres centenaires, les promeneurs et les amateurs de théâtre ont pu, l’après-midi, assister à des répétitions, impromptus, chantiers de création… et  parler avec les artistes à la buvette ou autour d’une assiette bio. Le soir venu, on  était invité à une déambulation vers des espaces de jeu pour assister à de courts travaux:  les compagnies ne souhaitaient pas livrer des créations finies mais des formes ouvertes adaptées au lieu et aux circonstances…

 Des Etats Généraux sont venus compléter cette démarche généreuse, sous forme de tables rondes. Tous Azimuts rejoint ainsi le faisceau de démarches qui interrogent l’art et la Culture en ces temps de crise, comme ce même jour à la MC 93 de Bobigny et, en juillet, au Théâtre des Ilets de Montluçon (http://theatredublog.unblog.fr/2020/06/02/l). Les professionnels du spectacle  doivent en effet se poser les bonnes questions, sans attendre que les réponses tombent du ciel…

 Au détour de la roseraie, Antoine Lenoble à la batterie appelle à une répétition de Je suis Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, une pièce qui sera prochainement créée par la compagnie des Écorchés. Julien Barbazin dirige Benjamin Mba : c’est leur cinquième jour de travail et ils peaufinent les détails pour trouver les transitions entre le personnage de Mohamed Ali et  son interprète : un double jeu pour un seul acteur qui se projette dans la figure du boxeur… Ce travail de décryptage nous fait entrer dans la chair textuelle de l’auteur congolais, son style percutant et ses envolées lyriques, appuyés par le rythme de la batterie… Un vrai défi.

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Dansons sur nos Malheur en répétition © Mireille Davidovici

 Plus loin, Jérôme Thomas, le directeur d’ARMO : Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets, établi à Dijon et reconnu compagnie à rayonnement national et international par le  Ministère de la Culture. Le maître-jongleur répète Dansons sur le malheur : «Un ballet pour deux jongleuses et des œufs… Des œufs pour symboliser notre planète sensible.» Gaëlle Cathelineau et Elena Carretero, légères et gracieuses, tournent et virent, dansent presque en déséquilibre. Jeux malicieux de mains gantées, jonglerie et escamotages de balles rondes ou ovoïdes.  “Marcher sur des œufs“, métaphore de l’urgence climatique,  demande une belle dextérité. La pièce, prometteuse verra le jour l’hiver prochain…

 Dans le fond du jardin, Ces Messieurs sérieux, une troupe dirigée par Renaud Diligent, a entamé les répétitions de La Vie des gens -le nom de cette compagnie rend hommage aux personnages du spectacle La Classe morte (1975), dessinés par son auteur et créateur Tadeusz Kantor- avec Sébastien Chabane, Nicolas Cartier et Anne-Gaelle Jourdain. Après La Ballade du tueur de conifères de Rebekka Kricheldorf  et  Dimanche napalm  du Québécois Sébastien David, le metteur en scène a adapté Enquête sur la vie des gens d’Hervé Blutsch en pièce radiophonique. Trois acteurs déjantés se livrent à des activités bizarres tout en assurant des reportages granguignolesques depuis un studio d’enregistrement de fortune… On reconnaît ici la pâte d’Hervé Blutsch dans cette recherche pour une prochaine création

Fabio Falzone TOUS Azimuts 9

Déambulation nocturne © Fabio Falzone

 La déambulation du soir rassemble les projets de cinq compagnies dont nous avons vu certaines répétant entre autres Dansons sur le malheur et La Vie des gens. Un cortège de spectateurs, encordés à un mètre de distance, traverse le parc, accueilli et guidé par Les Encombrants.  Étienne Grebot, en majordome autoritaire et caustique, à la tête de sa troupe, entend « rompre les frontières entre rue et salle, classique et contemporain » et pour cet événement, fait de gentils pieds de nez aux règles sanitaires, détourne le message du gouvernement en un chapelet de contrepèteries savoureuses.

Les acteurs s’adressent au public masqué et ponctuent le trajet d’extraits du provocant Discours à la Nation d’Ascanio Celestini. Un pamphlet caustique qui dénonce par l’absurde les aberrations de nos démocraties. Drôle et efficace, il s’en prend à tout un chacun et résonne opportunément en ces temps crise : « Vous voulez être différents ? Mais vous vous trompez. Mais vous les lisez les journaux ? Vous regardez la télé ? Tout le monde dit la même chose. Et celui qui dit un truc différent, celui qui s’occupe d’autre chose, disparaît. » (…) « Et puis je vous vois immobile derrière votre fenêtre fermée.. Nous sommes pareils. Déprimés et apeurés. (…) »

 Dans La Jongle des Mots, d’après l’œuvre de Christophe Tarkos, conception et mise en scène d’Aline Reviriaud, apporte un peu de poésie  à ce climat moqueur. « Je suis un poète qui défend la langue française. Contre sa dégénérescence. Je suis un poète qui sauve sa langue, en la faisant travailler, en la faisant vivre, en la faisant bouger. » disait Christophe Tarkos (1963-2004). Tenant de la poésie orale, l’écrivain marseillais trafiquait la langue et la détournait lors de performances mémorables. Sa critique de la belle prose prend la forme d’une « mastication verbale » et il développe le  concept de «  pâte-mot » : pour lui, un mot tout  seul, ça ne veut rien dire : ils naissent collés dans sa bouche… Et sortent drolatiques et impertinents. 

Aline Reviriaud a mis en scène son spectacle avec la complicité de Jérôme Thomas. En clown rêveur et  jongleur d’objets insolites il se fait acrobate pour répondre à l’acrobatie des mots qu’elle a choisis et qu’elle dits… Sous le regard interrogateur, « métaphysique », d’une petit chien savant, doux et malléable comme une peluche prénommé Socquette. Ce spectacle d’Idem Collectif, compagnie engagée sur des formes contemporaines croisant littérature, théâtre et danse, est conçu pour des bibliothèques, halls de théâtre, rue, dans l’esprit de Christophe Tarkos. Il devrait continuer à être joué en tournée.

 Enfin, Les Écorchés, dont nous avons vu les répétitions de Je suis Mohamed Ali l’après midi, nous offre une remarquable Nuit juste avant les forêts. Sous un glauque éclairage urbain, aux confins du parc, Julien Jobert balance d’un seul souffle le texte de Bernard-Marie Koltès. Sans autre appui de jeu que la  batterie lointaine d’Antoine Lenoble, comme un cœur qui s’emballe dans l’angoisse d’une nuit de pluie.

Malgré le froid qui est tombé, il nous entraîne dans une quête éperdue d’amour. Cet inconnu à la recherche d’une chambre ou d’autre chose, essaye de retenir un homme qui passe. Solitude face à une autre solitude, dans ce quartier où rôdent des « chasseurs de rats » ou de pédés, dans ces bars interlopes et dangereux. La Nuit juste avant les forêts est un blues urbain mais aussi une quête d’un coin d’herbe sous les arbres, pour respirer. Cette parole essoufflée s’adresse à nous derrière nos masques,  et nous dit tous les étouffements d’aujourd’hui, policiers, viraux, mentaux… Belle conclusion pour cette journée particulière.

 Tous Azimuts  est une réussite et on peut espérer avec ses organisateurs qu’il y aura une prochaine édition. Nous avons ce jour-là fait connaissance d’artistes engagés sur leur territoire et réunis pour changer leurs pratiques et présenter d’autres formes de dialogue avec le public. Et pour aussi, ne plus jouer la concurrence entre compagnies locales mais la complémentarité. Sans doute est-ce le prix à payer pour que le spectacle actuel trouve enfin un nouveau souffle.

 Mireille Davidovici

 Dijon le 5 septembre

 Dansons sur la malheur du 1er au 5 février tournée en Côte-d’Or avec Côté Cour; les 23 et 24 mars Cirque Jules Verne, Pôle National cirque et arts de la rue, Amiens ( Somme) ; le 14 avril, La Minoterie Dijon (Côte-d’Or) et le  14 mai Festival Cluny Danse.

 

 

 

 

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