Plastique danse flore animée par Frédéric Seguette: Body of Work de Daniel Linehan
Plastique danse flore, une manifestation animée par Frédéric Seguette
Body of Work de Daniel Linehan
Olivia Grandville, François Chaignaud, François Hiffler et Pascale Murtin, Pascale Houbin, Dominique Boivin, Dominique Rebaud, Frédéric Werlé mâtinent danse et performance, transforment chacun de leurs essais, réussissent quasiment tout ce qu’ils entreprennent. Avec légèreté, grâce et humour… Tous artistes décentrés ou, si l’on préfère, excentriques. Comme Daniel Linehan, un Américain sorti de chez le New-yorkais Miguel Gutierrez, passé par l’école bruxelloise d’Anne Teresa de Keersmaeker et qui se partage désormais surtout entre la France et la Belgique.
On pourrait traduire le titre de cette pièce créée l’an passé, littéralement par: corps de travail, corps au travail ou, simplement, corpus signifiant aussi «œuvres complètes» un sens auquel le créateur renvoie dans sa note d’intention. Son hypothèse, paradoxale : la danse n’est pas une «forme d’art éphémère n’existant que dans le moment de la représentation et disparaissant tout de suite après» mais une mémoire qui s’imprime pour longtemps, pour toujours ?, dans le corps de l’interprète. Les signes chorégraphiques sont donc aussi les marques d’altérations corporelles résultent du durcissement et de l’assouplissement des muscles mais aussi de l’usure et de traumatismes articulaires. Daniel Linehan fait d’ailleurs ici allusion à une vieille blessure au genou ! Chez les danseurs des cicatrices visibles et d’autres qui le sont moins, comme de persistantes traces fantômes et peuvent se réveiller à tout instant…
Body of Work constitue un lieu de mémoire. Un état de corps. Une rétrospective biographique qui ressuscite quinze années de parcours artistique. Un peu dans l’esprit d’un Michel Foucault souhaitant élaborer une généalogie ou une archéologie des concepts, Daniel Linehan nous propose une anthologie, sonore et visuelle, très personnelle. Avec sa voix off en playback, des chants d’oiseaux enregistrés la veille ou quelques heures plus tôt in situ, des commentaires dits par lui au micro, le public est immergé dans une composition quadriphonique réussie signée Christophe Rault et dans des boucles visuelles du temps écoulé sous forme de collage de fragments, florilège d’auto-citations gestuelles et souvenirs enfouis… Sur la scène à l’italienne du théâtre de la Bastille où nous le découvrîmes, au Musée du centre Georges Pompidou, un salon de la fondation Mona Bismarck ou en plein air: il s’adapte à tous les terrains de jeu.
Créateur de formes et de dispositifs, auteur d’idées, acteur et actant, comme on disait dans les années soixante-dix, il ne va pas pour autant jusqu’à mettre en cause le spectacle. Et son couplet écolo n’est pas plus politique que ça : comme sa danse, purement formel. Le chorégraphe, ici soliste, brise tout de même le miroir narcissique, dévoile les coulisses sur scène, déserte les planches pour l’orchestre, et l’orchestre pour la nature des origines, celle de l’expression corporelle libre du Monte Veritá en Suisse où enseigna il y a un siècle Rudolf Laban. À Versailles, berceau du ballet académique, Daniel Linehan a pour théâtre un jardin d’Eden avec de beaux rosiers, cognassiers, pommiers…
Sa mise à distance des codes de représentation passe par le texte mais surtout, par la danse dont il exploite les tenants et aboutissants. Là où des malins font leur miel de la parlote, voire du concept flou de performance, en lisant avec difficulté quelques lignes copiées sur le net, Linehan, lui, donne de sa personne. Il offre son corps à sa science et se met nu. Il baise religieusement au passage un pied de spectatrices élues par lui dans le public environnant. Il recourt à la dramaturgie -un « petit métier » qu’ont prorogé Pina Bausch et le « mundillo » de la danse-théâtre…
Et il évoque des épisodes de l’enfance dont la lente agonie de son père. Il l’illustre par la dépose, à même le sol, de de sa tenue de scène, une défroque, un double dérisoire, une ombre ou un épouvantail décharné. Il ne fait ni dans le narratif ni dans la fiction chère à presque tous ses collègues. Rien d’expressif ni de figuratif chez lui. Sa virtuosité technique, il la prouve, si besoin était, en jouant les derviches tourneurs façon Andy Degroat, quand il reprend un extrait de Not About Everything, le solo qui le fit connaître. En bonus, il nous gratifie d’une routine d’unijambiste qui peut faire songer au numéro de claquettes de Peg Leg Bates, un artiste afro-américain de Caroline du Sud et à la variation surréaliste, contrainte par des béquilles, de la regrettée Graziella Martinez. Cela dit, Daniel Linehan a gardé son côté lunaire. Et l’allure d’un Peter Pan de la danse…
Nicolas Villodre
Spectacle vu le 7 septembre au Potager du Roi, Château de Versailles (Yvelines).