Philippe K. ou la Fille aux cheveux noirs, texte et mise en scène de Julien Villa
Philippe K. ou La Fille aux cheveux noirs, texte et mise en scène de Julien Villa
«Il ne s’agit pas d’adapter une œuvre de Philippe K. Dick, dit l’auteur-metteur en scène. J’ai inventé Philipe K. en me nourrissant pendant un an et demi de cette œuvre gigantesque. » Il s’est plongé dans Loterie solaire, son premier roman, dans Le Maître du haut château et Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques? devenu Blade Runner de Ridley Scott. Soit quelque quarante-quatre romans et une centaine de nouvelles. Julien Villa a aussi passé deux mois aux États-Unis à peaufiner son scénario avec Vincent Arot qui joue l’animateur radio dans ce spectacle. Puis le texte a été écrit au plateau à partir des extraits retenus.
A Berkeley en 1972, à la veille des élections présidentielles, c’est la guerre au Viet nam et le mouvement hippie, Philippe K. apparaît en pleine dépression, obsédé par Richard Nixon. Il est persuadé que le président lui a volé son dernier manuscrit et qu’il hante sa machine à écrire pour lui dicter ses romans. Cloîtré dans sa chambre, bourré de médicaments, il est livré aux psychiatres par Dorothy K. sa «mère carnivore» qui fait des irruptions dans sa tanière. D’autres personnages, fictifs ou réels, vont apparaître comme un ami anglais, des voisins drogués, aussi paranoïaques que lui. Une émission de radio californienne diffuse sa nouvelle L’Imposteur. Une hippie brune s’offre à lui, une “fille aux cheveux noirs“, récurrente dans son œuvre et fantôme de sa sœur jumelle, Jane, qu’il croit avoir tuée à sa naissance… Un figure de la mort qui le hante et qui le fauchera en 1982; il avait cinquante-quatre ans et écrira son dernier livre, Substance mort, en 1975.
Qui connaît ce maître de la science-fiction, retrouvera ici un univers où humains et androïdes, imaginaire et réalité se confondent. Philippe K. en avatar de l’écrivain tel qu’il se fantasme dans ses écrits, est ici rêvé par les comédiens. «Il ne s’agit pas seulement d’écrire pour jouer, dit Julien Villa, mais aussi de jouer pour écrire. » Remarquable acteur lui-même, il a dû remplacer au pied levé celui qui était prévu pour le rôle-titre… Autour de lui, les interprètes se fondent dans cette fantasmagorie et s’aventurent de l’autre côté du miroir dans un processus de déréalisation.
La pièce trouve sa cohérence dans un travail collectif et une trame narrative que le metteur en scène a longuement mûrie, en s’inspirant des mises en abyme de livres comme Ubik ou de la nouvelle Souvenirs à vendre, adaptée au cinéma par Paul Verhoeven sous le titre: Total Recall. Les personnages, surgis dans l’appartement et comme venus de mondes parallèles, constituent l’étrange microcosme mental d’un homme engendré par sa propre légende et l’engendrant. Jouant sur l’ambiguïté, avec cette mise en scène très maîtrisée, Julien Villa nous prend par la main, en traçant non un portrait psychologique mais une rêverie théâtrale et poétique. Malgré quelques baisses de rythme, nous sommes constamment surpris et découvrons Noémie Zurletti, en matrone acariâtre et castratrice, Lou Wenzel, excellente en hippie nymphomane, Nicolas Giret-Famin, aux étrangetés d’androïde ou de pin-up bisexuelle. Ils apportent une distance comique salutaire.
Les non-initiés à cette littérature auront envie d’aller plus loin dans cet univers où l’auteur peint, comme celui de Franz Kafka et comme souvent la science-fiction, un capitalisme totalitaire et absurde. » La réalité n’est qu’une illusion, un simulacre ourdi soit par une minorité pour abuser la majorité, soit par une puissance extérieure pour abuser tout le monde.» écrit Emmanuel Carrère dans Je suis vivant et vous êtes morts, une méditation sur Philippe Kindred Dick.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 1 er octobre, programmation, au Théâtre de l’Aquarium, du Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes (et ensuite navette gratuite). T.: 01 43 28 36 36.