Les Pièces manquantes (puzzle théâtral), création collective, mise en scène d’Adrien Béal

Les Pièces manquantes (puzzle théâtral), création collective, mise en scène d’Adrien Béal

Le spectacle a été créé à partir d’un puzzle inventé à l’Atelier du Plateau en juin/juillet 2019,  pour le Féria, Festival à débordement dans le XIX ème arrondissement de Paris. Avec ses fidèles Pierre Devérines, Boutaïna El Fekkak, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc et Cyril Texier, ce metteur en scène inspiré et son Théâtre Déplié, accompagné par une fanfare de jeunes amateurs issue du Conservatoire de cet arrondissement, inventent un puzzle théâtral avec  récits et musiques…

Chaque soirée est unique: le spectacle repart à zéro avec le défi toujours d’aller plus loin, pour semer, en vingt-huit moments singuliers, les termes complémentaires d’une enquête réordonnée. Dans la perspective et la distance, ce collectif joue de multiples éléments que notre logique doit assembler pour reconstituer la réalité des faits. Selon Adrien Béal, meneur de jeu, chaque soirée est faite de pièces, écrites ou improvisées, avec un titre, des invariants et des imprévus. Le public compose avec les plans et les manques ce soir-là, de façon différente avec des pièces supplémentaires du puzzle et partage avec les acteurs l’expérience d’une remise en jeu.

© X

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Telle la toile mythique de Pénélope, un ouvrage grandement élaboré, jamais terminé et qui doit sans cesse être repris… Pour essayer de voir, à travers tel ou tel motif, l’ensemble du tableau sur le métier, il faut aller et venir, circuler sur le plateau en tri-frontal et si possible, recoller les morceaux. Et le cheminement des comédiens entraîne la pensée vagabonde des spectateurs allant et venant ici et là, comme si l’imagination voyageait encore à l’intérieur d’une fresque.

Le 20 septembre Comment vivent les autres débute d’abord par le récit de la disparition d’une adolescente sans problème selon sa belle-mère, même si on apprend qu’elle soutirait de l’argent à son père pour le moindre travail domestique. Les parents sont bientôt confrontés à d’autres  qui se trouvent dans une situation similaire : leurs jumeaux de quinze ans, un garçon et une fille, ne sont pas rentrés. Mêmes interrogations, mêmes angoisses et mêmes craintes de disparition ou enlèvement, avant que des messages n’annoncent l’éventualité d’un geste pour rompre les ponts avec leurs père et mère.

Les quatre premiers parents sont rejoints par un cinquième qui élève seul sa fille et la mère du premier adolescent évoqué. Ces six adultes, en proie à un malaise et plongés dans une attente glaçante, ont le cœur serré et l’âme en perdition. Les acteurs aguerris, entre silences installés et verbe bégayant ou éloquent, jouent ces personnages qui se culpabilisent. Le public, ému, partage leur inquiétude. Puis, le récit bifurque sur une évocation du premier père, un  fumeur régulier, qui dans le noir, se met à la fenêtre de chez lui pour saisir la vie des autres. L’idée de puzzle avec ses pièces manquantes s’impose à l’attention, quand Cyril Texier décrit l’appartement d’en face. Une mise en abyme, une métaphore du spectacle lui-même en son entier, puisqu’il imagine la vie des autres, selon un calcul de probabilités. On pense à Georges Perec qui  parle de son projet La Vie mode d’emploi dans Espèces d’espaces: «J’imagine un immeuble parisien dont la façade a été enlevée… de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les pièces qui se trouvent en façade, soient instantanément et simultanément visibles. »

Des personnages se dessinent à partir de la fiction proposée: un couple battrait de l’aile et dormirait dans des chambres séparées, à moins que ce ne soit un frère et une sœur  qui aient ici chacun la leur. Puis il y a ici, une réunion après la mort d’un être cher. Et on apprend la «libération» d’un jeune couple vivant dans l’appartement parental, peu après les décès successifs de leur père et mère. Le narrateur parle en guise de dénouement, du baiser réconciliant du premier couple. Ruse, piège et illusion suivent les lois du hasard et de la préméditation. Le public est le créateur, au même titre que le comédien, de sa propre fiction intérieure. Et une fanfare d’instruments à vent de jeunes musiciens arrive pour jouer aux quatre coins de la salle. Ils représentent, de fait, les adolescents énigmatiques disparus. Puis, réunis sur le plateau, ils sont dirigés par leur professeur de musique, qui, amoureuse d’un élève, hésite entre la vie et la mort. Et dans une scène étrange, ses parents viendront reconnaître le corps…

Un « puzzle théâtral » d’une grande proximité, entre acteurs complices et spectateurs généreux. On attend avec impatience que ce collectif s’épanouisse dans une œuvre achevée… A moins qu’il ne veuille nous instiller la frustration comme seul point de repère.

Véronique Hotte

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, jusqu’au 18 octobre. Métro: Château de Vincennes et ensuite navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 

 


Archive pour 21 septembre, 2020

Un Ennemi du peuple, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Guillaume Gras

Un Ennemi du peuple, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Guillaume Gras

 La population -entre autres, les notables- d’une petite ville d’eaux, est amenée à choisir entre santé et économie, sur fond d’embrouilles municipales. Et les enjeux de la pièce sont plus actuels que jamais. On est tenté de s’attacher au héros, le docteur Tomas Stockmann qui défend la vérité scientifique -le risque d’épidémie, c’est selon lui pour demain !- contre les intérêts à court terme des financiers et des habitants.

© X

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Ce lanceur d’alerte se voit en sauveur glorieux mais son frère Peter, maire et gestionnaire, le considère comme un dangereux anarchiste qui va détruire l’économie de l’établissement de bains, et donc de la ville. L’eau guérisseuse est polluée? C’est, dû pour Peter, aux malfaçons dans le captage des sources et aux rejets des usines voisines. Déni et camouflage sont les seules réponses.

Survivre, en se jetant dans la gueule du loup, à défaut d’un miracle. Et si ce n’était que cela : Tomas Stockmann croit avoir l’opinion publique avec lui ? Erreur : il avait compté sans la peur des habitants de perdre leur emploi ou les revenus des loyers et sans la versatilité d’une presse pas vraiment –et même vraiment pas- indépendante…

Mais le plus intéressant : Ibsen tire jusqu’au bout les fils qu’il a tendus : Tomas, le persécuté, finira logiquement en misanthrope, haïssant la masse qui, selon lui, l’a trahi… Mégalomane, il rejette la démocratie comme le triomphe des imbéciles sur la véritable élite. Le spectateur le suivra-t-il sur cette voie ? Tomas a raison : « et pourtant elle tourne… »

Guillaume Gras monte la pièce sans décor, en costumes d’aujourd’hui et le public est assis sur des gradins quadri-frontaux. Pas d’effets inutiles et un jeu au premier degré. Il laisse entendre les contradictions de chacun et celles entre les personnages. Mais certains acteurs se croient obligés de parler très fort et n’assument pas jusqu’au bout leur proximité avec le public. Mais à mesure que le personnage de Tomas Stokmann, (Nicolas Perrochet,) gagne en profondeur, l’ensemble de la pièce passe de mieux en mieux, jusqu’à la fin légèrement modifiée par rapport à l’original, sans oublier de brefs moments d’humour. Des questions sérieuses du côté de La Démocratie en Amérique de Tocqueville, posées ici avec modestie.

Christine Friedel

Jusqu’au 30 septembre, Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.

 

Aux Eclats, conception, mise en scène et scénographie de Nathalie Béasse

Aux Eclats, conception, mise en scène et scénographie de Nathalie Béasse

On avait pu voir ici de cette créatrice, Happy Child, Wonderful World, Tout semblait immobile, Roses, Le bruit des arbres qui tombent. (voir Le Théâtre du Blog) Et l’an passé, lors d’Occupation 3, elle et son équipe ont investi le Théâtre de la Bastille. Cette dernière création se présente comme une suite comique en une heure de sketches et tableaux sur le thème de la chute, avec une référence à Buster Keaton dont elle dit aimer le rapport au corps et aux objets  et aux chutes…

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Dans une salle forcément mitée avec, pour raisons sanitaires, des places condamnées tous les quelques sièges– cela fait tout drôle mais il faudra bien hélas s’y habituer- un public relativement jeune : quarante femmes et quinze hommes avec masque obligatoire bien entendu… Un pourcentage devenu presque la norme dans les théâtre parisiens… Les Dieux doivent savoir pourquoi ! La faute à cette bonne vieille télé ressuscitée pendant le le confinement? Avec un épisode du Tour de France, un film classique ou un débat politique, un télétravail en retard, un dîner entre vieux potes de lycée, la garde alternée des enfants? Qui saura jamais ?
Contre les murs noirs d’un plateau vide : côté cour, deux chaises pliantes jaunes, une plante verte en plastique. Et côté jardin, une autre plante verte en plastique, une « servante » éteinte, des tubes de carton et un gros tuyau en plastique gris debout contre le mur. Au centre de la scène, un pan de moquette marron, deux chaises en tubes inox avec siège rouge et une grande table de réunion. En fond de scène, des châssis montés sur roulettes.

La lumière reste d’abord allumée dans la salle et on entend une engueulade soignée et le bruit intense d’une perceuse et d’un moteur de camionnette; dans un renfoncement de mur, des morceaux de carreaux de plâtre qui tombent, victimes de ce percement. Une probable citation de Jérôme Deschamps qui a fait triompher la chute des objets sur la scène comme dans La Veillée, avec des panneaux de placoplâtre tombant lourdement du fond de scène du T.N.P. à Villeurbanne que venait de percer le nez d’un T.G.V. Formidable idée!   Il y a aussi derrière le bas d’un rideau des fumées blanches qui envahissent le plateau puis une nappe de liquide blanc coulant doucement comme dans cette fabuleuse image de la mise en scène-culte d’Antoine Vitez où à la fin d’Electre, on voit le sang d’Egisthe qui vient d’être tué par Oreste,  coulant doucement sous un porte…
Arrivent alors trois compères -Étienne Fague, Clément Goupille et Stéphane Imbert eux non masqués qui  font bien le boulot- chaussés de noir et en costume-cravate, gris clair pour l’un, et gris foncé pour les autres. Un peu ridicules et coincés, comme s’ils l’avaient emprunté pour aller à un mariage, ils s’assoient au premier rang en discutant. Les deux chaises contre le mur, comme les tubes, tombent alors au sol d’un seul coup. Sur une petite musique assez lancinante. Puis les acteurs mettent de superbes masques d’animaux sauvages aux dents effrayantes ou d’un homme au visage bleu, marqué d’épouvantables rides..

Il y a un très beau moment où ils installent un trône royal avec juste le tube en plastique comme siège et deux autres pour appuyer les mains, et une grande pièce de tissu faisant office de cape. Ils font prendre la pause à l’un d’entre eux avec, sur sa tête une couronne en carton doré. Et ils se font des tours avec, entre autres, une baudruche en caoutchouc remplie d’air sur laquelle l’un d’entre eux s’assied et qui imite alors le bruit d’un pet. Ils courent en rond sur la scène, s’amusent comme des enfants à se déguiser avec tout un lot de manteaux, s’engueulent puis se réconcilient… Ou très dignes et en silence, ils mangent de l’eau dans des assiettes à soupe, que, bien entendu, ils se jetteront ensuite à la figure. A la fin , des bombes à eau tombent des cintres puis un matelas, des pans entiers de placo-plâtre, des pluies de détritus et de coquillettes. Le plateau vide devient alors plein comme parfois chez Rodriguo Garcia et dans pas nombre d’autres créations contemporaines: là rien de très original dans ce travail. Enfin ce grand pipi-caca fera toujours du travail aux accessoiristes intermittents en charge du nettoyage…

«Il y a un point de départ mais ce point de départ s’effiloche, dit Nathalie Béasse.”(…) « Après, mon travail parle toujours de l’humain, de la difficulté à exprimer des choses; parfois cela passe par le corps, cette fois par le rire. Ce qui importe c’est de toucher les gens ». Et cela fonctionne? Oui, mais par instants et une partie du public s’esclaffe, notamment près de nous trois étudiantes, l’autre pas ou sourit. Le port du masque et la distance entre les sièges n’arrangent rien mais le rythme est bien lent et les gags, souvent peu efficaces. Le trio se déguise, chute régulièrement, se gifle en cadence, puis se réconcilie. Mais on a souvent l’impression d’assister à de petites scènes collées sans véritable fil rouge…

Nathalie Béasse invoque Buster Keaton: «Dans ce que je propose, les acteurs comme le public doivent lâcher prise par rapport au quotidien et par rapport à une narration classique. J’essaye d’être dans un rapport instinctif proche de l’enfant qui construit les choses, les déconstruit et les reconstruit.» Oui, malgré ce discours assez prétentieux, même si on voit que la metteuse en scène a fréquenté une école d’art (et c’est souvent intéressant sur le plan plastique), du côté spectacle, on reste sur sa faim et ces soixante minutes sont longuettes… Alors à voir? Peut-être mais à condition de n’être vraiment pas difficile!

Philippe du Vignal

Théâtre de la Bastille, 78 rue de la Roquette, Paris (XI ème) jusqu’au 8 octobre. 

Le Cargo, le  6 novembre; Segré (Maine-et-Loire) les 12 et 13 novembre; La Halle aux Grains, Blois (Loir- et-Cher), le 24 novembre.

L’Espal, Le Mans (Sarthe) , les 15 et 16 décembre, Théâtre Daniel Sorano, Toulouse (Haute-Garonne).

Théâtre Universitaire, Nantes (Loire-Atlantique) , du 26 au 29 janvier.

Comédie de Saint-Étienne, (Loire) du 17 au 19 mars.

Théâtre Quartier Libre, Ancenis (Loire-Atlantique) le 11 mai.

 

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