Un Ennemi du peuple, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Guillaume Gras
Un Ennemi du peuple, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Guillaume Gras
La population -entre autres, les notables- d’une petite ville d’eaux, est amenée à choisir entre santé et économie, sur fond d’embrouilles municipales. Et les enjeux de la pièce sont plus actuels que jamais. On est tenté de s’attacher au héros, le docteur Tomas Stockmann qui défend la vérité scientifique -le risque d’épidémie, c’est selon lui pour demain !- contre les intérêts à court terme des financiers et des habitants.
Ce lanceur d’alerte se voit en sauveur glorieux mais son frère Peter, maire et gestionnaire, le considère comme un dangereux anarchiste qui va détruire l’économie de l’établissement de bains, et donc de la ville. L’eau guérisseuse est polluée? C’est, dû pour Peter, aux malfaçons dans le captage des sources et aux rejets des usines voisines. Déni et camouflage sont les seules réponses.
Survivre, en se jetant dans la gueule du loup, à défaut d’un miracle. Et si ce n’était que cela : Tomas Stockmann croit avoir l’opinion publique avec lui ? Erreur : il avait compté sans la peur des habitants de perdre leur emploi ou les revenus des loyers et sans la versatilité d’une presse pas vraiment –et même vraiment pas- indépendante…
Mais le plus intéressant : Ibsen tire jusqu’au bout les fils qu’il a tendus : Tomas, le persécuté, finira logiquement en misanthrope, haïssant la masse qui, selon lui, l’a trahi… Mégalomane, il rejette la démocratie comme le triomphe des imbéciles sur la véritable élite. Le spectateur le suivra-t-il sur cette voie ? Tomas a raison : « et pourtant elle tourne… »
Guillaume Gras monte la pièce sans décor, en costumes d’aujourd’hui et le public est assis sur des gradins quadri-frontaux. Pas d’effets inutiles et un jeu au premier degré. Il laisse entendre les contradictions de chacun et celles entre les personnages. Mais certains acteurs se croient obligés de parler très fort et n’assument pas jusqu’au bout leur proximité avec le public. Mais à mesure que le personnage de Tomas Stokmann, (Nicolas Perrochet,) gagne en profondeur, l’ensemble de la pièce passe de mieux en mieux, jusqu’à la fin légèrement modifiée par rapport à l’original, sans oublier de brefs moments d’humour. Des questions sérieuses du côté de La Démocratie en Amérique de Tocqueville, posées ici avec modestie.
Christine Friedel
Jusqu’au 30 septembre, Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.