Adieu Michael Lonsdale

Adieu Michael Lonsdale

C’était l’honneur de la profession… Il nous a quitté à quatre-vingt neuf ans. Nous l’avions tellement vu et aimé ce monstre de travail au théâtre comme au cinéma. Parmi les acteurs de son âge, c’était un peu comme s‘il faisait partie de notre famille et nous l’avions toujours connu. Jeune, puis dans la force de l’âge comme on dit, puis un peu moins mais toujours aussi attachant.. Et depuis pas mal d’années, il faisait aussi de la peinture.

Encore lycéens, nous allions déjà au théâtre: la chance d’habiter la banlieue, ou Paris même. Pourquoi Frank V de Friedrich Dürrenmatt? Peut-être en avait-on assez de ricaner à la Comédie-Française, et puis surtout, nous avions vu La Visite de la vieille dame du même auteur, mise en scène par Hubert Gignoux… une révélation.

© Michel André Archives Sud-Ouest

© Michel André Archives Sud-Ouest


Nous voilà donc devant Frank V, l’histoire féroce et drôle d’une lignée de banquiers où, aux côtés de Jean-Roger Caussimon et Catherine Sauvage, des chanteurs-interprètes qu’on avait entendus à la radio, il y avait Tania Balachova, une petite dame aux cheveux blancs, vivace et pétillante. Et un grand jeune homme pas encore connu, un peu gauche, imposant: Michael Lonsdale… Jouait-il un personnage d’idiot ? On ne sait plus trop mais il avait une présence d’une telle densité, tranquille et inquiétante à la fois! Avec une voix douce, sans trop d’articulation mais parfaitement distincte, comme l’ont fait remarquer les critiques. Il inventait une façon de jouer unique et importante, à la fois détachée et profondément prenante.

Et quelques années plus tard en 1974,  il jouait à l’Espace Pierre Cardin dans La Chevauchée sur le lac de constance de Peter Handke, mise en scène par Claude Régy, avec Jeanne Moreau, un grand jeune homme blond alors inconnu, Gérard Depardieu. Et Delphine Seyrig (1932-1990) au visage et à la voix inoubliables à qui les jeunes actrices rêvaient de ressembler. Ce fut le seul grand amour de Michael Lonsdale: il le révélera beaucoup plus tard mais… elle n’était pas libre, amoureuse qu’elle était de Sami Frey, autre remarquable acteur… De ce spectacle exceptionnel, il nous reste quelques très belles images. Avec des acteurs verticaux, au-dessus de l’humanité, en strict costume noir et des actrices en robe du soir frémissantes de paillettes.  Tous habités de leur mystère.

La vie de Michael Lonsdale fait partie de l’histoire du théâtre contemporain et de notre histoire personnelle, à nous critiques. Et ce travailleur infatigable jouait en effet  souvent plusieurs pièces par an. Et avec les meilleurs… Souvenirs, souvenirs, nous l’avons vu si souvent et la liste des pièces où il a joué donne le vertige: L’Amante anglaise de Marguerite Duras en 1968, mise en scène par Claude Régy, l’année suivante, il enchaînait Comédie de Samuel Beckett, et Une Tempête d’après Shakespeare deux mises en scène de Jean-Marie Serreau puis  dans le années soixante dix, il retrouvait Claude Régy dans La Mère de S.I. Witkiewicz, Home de David Storey, Isma de Nathalie Sarraute,  puis L’Eden Cinéma de Marguerite Duras… C’est dire s’il connaissait bien les auteurs contemporains étrangers et français. Et il fit aussi une vingtaine de mises en scène dont en 88, au festival d’Avignon, La Vie mode d’emploi de Georges Perec.

Au cinéma, il incarna des dizaines de personnages (il incarna même un rôle méchant dans un James Bond!) et fut dirigé entre autres -excusez du peu- par Orson Welles, Joseph Losey, Louis Malle, Luis Bunuel, Jean-Pierre Mocky, Jean Eustache et François Truffaut dans Baisers volés où au moins là, il aura été marié avec Delphine Seyrig avec beaucoup de charme et d’humour. Une réplique savoureuse du marchand de chaussures au détective : «Personne ne m’aime et je voudrais savoir pourquoi. » Une phrase devenue culte et qui provoqua une intarissable vague d’amour pour l’acteur. Et il y a dix ans, il interprétait de façon remarquable,  le frère Luc  dans Des Hommes et des dieux de Xavier Beauvois.

© Nouvel Observateur

© Nouvel Observateur

 Michael Lonsdale était aussi un catholique très engagé et, en 1988, il cofonda Magnificat, un Centre Artistique chrétien pour les artistes et Il participe à la Diaconie de la Beauté qui recouvre les engagements des différentes communautés au service de la charité pour les plus pauvres. Nous l’avions aussi entendu dire des textes et poèmes, en particulier pour chaque anniversaire de la mort de Jean Tardieu,  par Françoise Dax. Mais là, on le sentait souffrant, on avait mal pour lui de reconnaître cette voix que nous aimions, cette intelligence de la lecture bqui ne le quittait pas, dans une gorge irritée et une respiration difficile. On avait envie de lui dire : «Reposez-vous! »  Il se repose.

Adieu, Michael Lonsdale et merci pour tout ce que vous aurez apporté avec humilité sans jamais vous mettre en avant,  mais avec ténacité et une telle sensibilité au théâtre comme au cinéma contemporain…

 Philippe du Vignal


Archive pour 23 septembre, 2020

La Boxeuse amoureuse d’Arthur H, chorégraphie et danse de Marie-Agnès Gillot

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La Boxeuse amoureuse d’Arthur H, chorégraphie et danse de Marie-Agnès Gillot

En 2018, le chanteur et pianiste sortait son neuvième album avec un titre-choc, dédié à sa mère et dénonçant les violences conjugales. Réalisé par Léonore Mercier, sa compagne, le clip de cette chanson où dansent Marie-Agnès Gillot, accompagnée du comédien Roschdy Zem, va connaître un grand succès.

Un spectacle d’une heure qui aurait dû être joué en mars dernier à l’auditorium de la Seine Musicale, à l’acoustique exceptionnelle réunit maintenant danseuse et musicien. Pour sa réouverture, la salle, transformée en ring de boxe, accueille ce concert chorégraphié et cette performance sportive.

Accompagnés par Nicolas Repac aux percussions,  et des sportifs : Souleymane Cissokho, champion de France de boxe,  Staiv Gentis et Tom Duquesnoy, Arthur H, impressionnant derrière son piano, chante avec une sincérité poignante et une belle musicalité. On assiste à un combat amoureux de Marie-Agnès Gillot dansant en fonction des morceaux de musique, entre les sportifs et le piano à queue.  Elle dit aussi des textes, en particulier sa lettre émouvante, écrite pendant le confinement et lue par Augustin Trapenard, le 30 avril à Lettres d’intérieur sur France-Inter (voir Le Théâtre du Blog). La danseuse concluait: «Mon doux, mon tendu, mon athlète, mon esthète et mon être. Mon cher corps. Je t’aime toujours. Attends-moi. Je reviens. » Elle est effectivement revenue et de belle manière…

Après cette lecture, Arthur H reprend cet Hymne à l’amour d’Edith Piaf qui évoque le passé de la chanteuse. Des moments pleins d’émotion avec, à la fin, la chanson qui donne son titre au spectacle : « Elle esquive les coups/La boxeuse amoureuse/Elle absorbe tout/La boxeuse amoureuse/Boum, boum, les uppercuts/Qui percutent son visage/Mais jamais elle ne cesse/ De danser, de danser/ Tomber ce n’est rien/Puisqu’elle se relève/Un sourire sur les lèvres/Un sourire sur les lèvres. » Cette soirée totalement réussie, que l’on peut revoir sur Arte.tv, a reçu les applaudissements d’un public, debout et heureux d’être revenu ici.

Jean Couturier

Spectacle joué les 21 et 22 septembre à l’auditorium de la Seine Musicale, Île Seguin, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) T. : 01 74 34 54 00.

https://www.arte.tv/fr/videos/099862-000-A/la-boxeuse-amoureuse-d-arthur-h-et-marie-agnes-gillot/

 

Big Sisters, conception et chorégraphie de Théo Mercier et Steven Michel

 

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© Erwan Fichou

Big Sisters, conception et chorégraphie de Théo Mercier et Steven Michel

En mars,, à la veille du confinement, nous avons découvert cette chorégraphie à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy où cet artiste et metteur en scène présenta en 2018 sa première pièce avec le danseur Steven Michel: Affordable Solution for better living  (voir Le Théâtre du Blog). Un spectacle qui leur valut le Lion d’Argent à la Biennale de la danse à Venise l’an passé. Cette nouvelle création pour quatre danseuses, qu’on pourrait sous-titrer Couteaux et Coquillages a vu sa tournée interrompue mais est enfin reprogrammée

 « Elles disent la colère, la haine, la révolte. Elles disent enfer, que la terre soit comme un vaste enfer en détruisant en tuant, en portant le feu aux édifices des hommes, aux théâtres, aux assemblées nationales, aux musées, aux bibliothèques aux prisons, aux hôpitaux psychiatriques, aux usines anciennes et modernes… » Des phrases de bruit et de fureur, extraites des Guérillères (1969) de Monique Wittig  et projetées en fond de scène. En même temps, s’installent de paisibles images dans un cône de lumière. Inspirés par ce long poème dramatique, les chorégraphes construisent une fresque féroce: l’épopée de femmes rebelles, déesses déchues, sorcières échevelées, déchaînant leurs pouvoirs occultes trop longtemps bridés .

Une vieille femme aux seins multiples gît, inerte, comme une déesse-mère oubliée. S’éveillant d’un lointain passé, elle nourrit ses sœurs à sa mamelle et leur transmettra sa science enfouie dans les strates du temps. Lors d’une mue impressionnante, elle va, en tenue soldatesque, leur enseigner la force du sexe faible et une danse qui tue. Les trois jeunes filles délaisseront, pour de longs couteaux, leurs rondes virginales et les grands coquillages nacrés qu’elles portent en offrande.. Périlleuses acrobaties, joutes sanglantes, rythmées par les sons étranges du compositeur Pierre Desprats. Eric Soyer a créé de belles découpes de lumière sur le plateau nu et les costumes de Valérie Hellebaut mettent en valeur la féminité des interprètes, comme leurs corps à la garçonne. Elles ont entre vingt-trois et soixante-cinq ans et de l’énergie à revendre.

« Nous dansons, car après tout c’est ce pour quoi nous nous battons : pour que continuent, pour que l’emportent cette vie, ces corps, ces seins, ces ventres, cette odeur de la chair, cette joie, cette liberté», dit Starhawk, une militante éco-féministe américaine à propos des  sorcières dans son essai Rêver l’obscur: Femmes, magie et politique. Une autre référence des chorégraphes qui ont beaucoup lu pour construire Big Sisters.
Une fois encore, Théo Mercier veut interroger les stéréotypes des représentations collectives, notamment en matière de genre. Comme dans Hybrides, le corps en question une exposition présentée au Palacio Bellas Artes de Mexico en  2018 ou Chercher le garçon, au Mac Val de Vitry-sur-Seine en 2015.  Et son complice  Steven Michel lui apporte sa maîtrise du mime, du cirque et des percussions, et surtout la rigueur de sa danse, acquise aux  Performing Arts Research and Training Studios, l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker.

Certains passages rigoureusement écrits alternent avec des moments plus libres, issus d’improvisations. Rudesse et souplesse se conjuguent. Ce spectacle, avec des gestes guerriers ou maternels, questionne les regards, fantasmes, projections en jeu dans le représentation du féminin. Se mène ici un combat de libération bien dans l’air du temps. Selon Théo Mercier et Steven Michel : «Big sisters oscille entre bataille sanglante, rituel festif et célébration jouissive de l’énergie vitale, invitant chacun et chacune à prendre conscience de son pouvoir et à le mettre en œuvre.»

Laura Belgrano, Lili Buvat, Marie de Corte et Mimi Wascher, nos grandes sœurs nous donnent l’énergie, le courage de poursuivre des luttes jamais vraiment gagnées. «Elles disent qu’elles ont la force du lion, la haine du tigre, la ruse du renard, la patience du chat, la persévérance du cheval, la ténacité du chacal. Elles disent qu’elles secoueront le monde comme la foudre et le tonnerre… » Ce spectacle troublant, en forme d’ode aux femmes, nous incite aussi à lire ou relire Monique Wittig (1935-2003), une théoricienne et militante féministe française qui déjà abordait la notion de genre…

 Mireille Davidovici

Du  21 au 25 octobre, en co-réalisation avec Nanterre-Amandiers, Centre Georges Pompidou, place Georges Pompidou, Paris IV ème).  T. : 01 44 78 12 33.

Le 18 novembre, La Soufflerie, Rezé (Loire-Atlantique) ; les 26 et 27 novembre, Le Maillon, Théâtre de Strasbourg-Scène européenne, (Bas-Rhin); le 9 février, Maison de la Culture, Amiens (Somme).

Du 3 au 6 mars 2021, Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse et le 2 juin, Theater Rotterdam, Pays-Bas.

Les Guérillères de Monique Wittig, Editions de Minuit (2009).

Femme magie et politique de Starhawk, éditions Les Empêcheurs de tourner en rond (2003).

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