Le Grand Cahier d’après le roman d’Ágota Kristóf, adaptation et mise en scène de Valentin Rossier

Le Grand Cahier d’après le roman d’Ágota Kristóf, adaptation et mise en scène de Valentin Rossier

L’œuvre est le premier roman d’une émigrée hongroise installée en Suisse où elle fuit avec son mari et leur petite fille la terrible répression soviétique qui s’est abattue sur leur pays en 1956. Tome I d’une trilogie qui comprend La Preuve et Le Troisième Mensonge. Dans un pays ravagé par la guerre, deux petits jumeaux ont été laissés par leur mère aux soins de leur grand-mère paysanne, sale et sans aucune pitié avec eux. Mais elle, le curé du village et sa jeune bonne sont leurs seuls référents adultes dans un monde impitoyable où il ne fait pas bon être enfant même à la campagne. Ils sont à la fois les victimes, les témoins et finalement les acteurs de la cruauté qui sévit partout. – Vous connaissez donc les Dix commandements. Les respectez-vous? -Non, monsieur, nous ne les respectons pas. Personne ne les respecte. Il est écrit : « Tu ne tueras point » et tout le monde tue. Voilà tout est dit ou presque de la morale, ou plutôt de l’absence de morale de ces enfants jetés dans le grand conflit meurtrier qui ne les épargnent en rien. Ils vont vite être abandonnés à eux-mêmes et devront faire seuls l’apprentissage de la vie. Ils apprendront à ne se fier à personne, à trouver de la nourriture, à vaincre par eux-mêmes la blessure et la faim et découvriront la sexualité. Leur mère reviendra les chercher mais ils n’avaient pas besoin de cela: elle sera tuée par une bombe avec un bébé qui n’est pas celui de leur père… Bref, rien ne leur aura été épargné.

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Le roman a été écrit en français, ou du moins dans une langue française qu’elle a dû adopter en arrivant par hasard dans la partie francophone de la Suisse. Ce qui donne un goût particulier, nous semble-t-il, au langage proféré par Valentin Rossier sur ce petit plateau, avec une diction et une gestuelle absolument impeccables et une immense présence. Il sait comme personne donner du poids aux mots en relatant ces immenses douleurs et blessures personnelles vécues sans espoir par les jumeaux. « Être seul en scène,dit-il,  c’est rejoindre la solitude extrême de ces enfants à travers leur récit. D’ailleurs l’interrogation demeure : s’agit-il de deux jumeaux ou d’un enfant unique? L’imaginaire d’un seul aurait-il créé un frère à son identique? « À deux, on est plus fort » : là pourrait résider, en filigrane, le moteur caché du roman. À cette question, Ágota Kristóf  m’avait répondu : « Je ne sais plus… »

Cette suite de petites scènes est à la fois simple et poignante et on ne quitte pas des yeux cet acteur qui donne la vie à ces moments qui sont le fait de toute guerre avec son atroce cortège de vols, brutalités, misère sexuelle et viols. On écoute fasciné ce monologue créé il y a quinze ans et qui pourtant n’a pas pris une ride… Le théâtre actuel souffre d’une inflation de solos mais celui-ci est exceptionnel de force et de vérité. Et même un dimanche soir, il y avait plus quelque trente cinq personnes dans cette petite salle: cela fait toujours du bien par où cela passe en ces temps difficiles et montre que les gens ne désertent pas du tout les salles…

Philippe du Vignal

Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, Paris (XVIII ème)
Le roman est paru aux éditions du Seuil.


Archive pour 24 septembre, 2020

Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, adaptation et mise en scène de Nicolas Briançon

 

Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, adaptation et mise en scène de Nicolas Briançon

Arthur Schnitzler (1862-1931) écrivain  et psychiatre viennois, symbolise la liaison miraculeuse entre  la médecine et la poésie. Sigmund Freud voyait en lui son double. Pour Heinrich Mann,  son œuvre était la douceur de la vie face à la nécessaire amertume de la mort. D’autres l’ont définie comme la métaphore de l’équilibre chez Anton Tchekhov: entre sensibilité psychologique et dureté objective. Arthur Schnitzler brosse en effet entre réalisme et impressionnisme les portraits de jeunes Viennois de la décadence bourgeoise.

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Cette nouvelle (1924) fut vite adaptée  au théâtre mais Nicolas Briançon a effacé la présence des proches de la jeune fille. Et dans ce monologue, il privilégie l’intériorisation de l’être. Issue de la bourgeoisie viennoise, elle sera contrainte à l’humiliation pour sauver de la ruine son père, un avocat en proie à des soucis d’argent, Else passe quelques jours de vacances dans une station thermale italienne où elle reçoit une lettre de sa mère. Elle la prie de solliciter d’urgence un prêt à Dorsday, un riche marchand d’art et ami de son père qui a perdu au jeu l’argent appartenant à ses pupilles. Et il sera bientôt arrêté s’il ne peut le rembourser.

 Else va voir Dorsday et lui explique les difficultés de sa famille. Cet ami consent à ce prêt mais exigera, en échange, de pouvoir contempler la nudité de cette demoiselle dont il semble être amoureux. Cela reviendrait-il à se libérer elle-même ? Else ne sait et réagit violemment. Elle y réfléchit, partagée entre la fidélité envers son père et son désir d’émancipation. Que choisir ? Abandonner ce père à son destin ou bien se « prostituer »? Hésitant entre désirs exhibitionnistes et envie d’en finir, entre aspiration à être aimée pour soi et espoir de se libérer de sa famille… Ambiguïtés des sentiments, sexe et angoisse de la mort chez Else à la fois hésitante, innocente et audacieuse… Autant de leitmotivs traversant l’œuvre singulière du célèbre écrivain autrichien.

Nous suivons l’avancée progressive jusqu’à la fin de ce monologue intérieur. Else  est  tiraillée entre la nécessité d’obéir aux injonctions familiales et l‘idée compulsive du suicide: «Rien ne presse. Cette promenade nue à travers la chambre est délicieuse. Suis-je aussi belle que dans la glace? Approchez, belle demoiselle; je veux baiser vos lèvres rouges, presser vos seins contre mes seins… Peut-être n’y a-t-il que nous au monde ? Il y a bien des télégrammes, des hôtels, des montagnes, des gares, des forêts. Mais il n’y a pas d’humains. Nous les rêvons, c’est tout… Oh ! Je ne suis pas folle. Je suis émue simplement. Et c’est bien normal, quand on est sur le point de se réincarner. Car Else, l’autre est déjà morte. Sans absorber de véronal. »

Après être descendue au salon, vêtue d’un seul manteau qu’elle ouvre face public, elle s’évanouira. On l’emporte et sa tante veut la faire interner mais la jeune endormie ne fait qu’entendre des voix. Alice Dufour, excellente de sensibilité et d’énergie, a été nommée aux Molières 2019 dans la catégorie:Révélation féminine pour son interprétation dans Le Canard à l’orange. En robe de dentelle blanche et manteau noir, un châle en soie sur les épaules et coiffée d’un petit chapeau élégant, elle évolue avec grâce, dialoguant avec l’image que lui renvoie son miroir et jouant des images-vidéo d’Olivier Simola. Une mise en scène réussie, conforme aux sous-entendus de l’œuvre d’Arthur Schnitzler. Avec les lumières de Jean-Pascal Pracht et la création sonore d’Emeric Renard pour les bruits feutrés de l’hôtel et d es balles sur le court de tennis, les rires et conversations…

 Véronique Hotte

 Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.

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